Élections en Allemagne : quel effet pour l’Europe ?

Le nouveau gouvernement changera-t-il la donne ?

, par Frank Stadelmaier

Élections en Allemagne : quel effet pour l'Europe ?

L’Allemagne a voté. Et comment ! Les grands partis en baisse, les sociaux-démocrates devant un score catastrophique, la gauche dite « radicale » en croissance. Le changement de coalition amènera un nouveau gouvernement Merkel au pouvoir : qu’en sera-t-il de sa future politique européenne ?

Angela Merkel peut-elle vraiment être satisfaite ? Compte tenu qu’en Allemagne le pouvoir passe moins par la personne que par les partis, la victoire de la chancelière ce dernier dimanche 27 septembre 2009 paraît moins convaincante. Son propre parti conservateur, la CDU, en union avec la conservatrice CSU bavaroise, ne réunit que 33,8% des votes, soit 1,4 points de moins qu’en 2005, son plus mauvais score depuis soixante ans, et loin des résultats d’un Helmut Kohl, toujours nettement au-dessus de 40% jusqu’à sa défaite contre Gerhard Schröder en 1998.

Les Volksparteien en difficulté

Quant à la SPD, la deuxième Volkspartei - « parti populaire » qui prétend héberger et équilibrer une multitude d’orientations en son sein - elle perd un tiers de son électorat, soit 11,2 points et arrive à 23,0% des votes, de loin son plus mauvais score d’après-guerre. Le parti se voit renvoyé à l’opposition après onze ans au pouvoir, onze ans marqués par une fuite colossale de membres et d’électeurs. (Victime lointaine de la défaite : Günter Verheugen qui ne sera pas renommé commissaire européen.)

Les petits partis montés en puissance

En revanche, on voit les « petits » partis atteindre leurs meilleurs scores depuis leur existence. Les Verts, présents sur la scène depuis les années 80, anciens partenaires de Schröder au gouvernement, innovateurs et pragmatiques, arrivent à 10,7% ; Die Linke (« La gauche »), héritière de l’ancien parti communiste de l’est, renforcée par des ralliés de la SPD, sous la direction du très doué Oskar Lafontaine, ancien président de la SPD, de Gregor Gysi et de Lothar Bisky, se présentant comme véritable parti social-démocrate, cauchemar de la SPD, atteint 11,9% des votes ; et les libéraux de la FDP, ancien parti du pouvoir dans la RFA, présent au gouvernement plus longtemps qu’aucun autre parti depuis 1945, regroupe 14,6% des votes, un score spectaculaire.

Les libéraux rentrent dans le jeu

C’est donc avec la FDP de Guido Westerwelle qu’Angela Merkel va former son nouveau gouvernement, la coalition dite « bourgeoise », et mettre fin ainsi à la « grande coalition » avec la SPD. Ce changement de partenaire est radical. La FDP, grand vainqueur de ces élections et en conséquence pleine d’assurance, défend une politique radicale d’économie de marché, marché du travail inclus, et de réductions d’impôts. Alors qu’Angela Merkel défendait cette même politique encore en 2005, elle a pris, pendant les années de la grande coalition, des positions plus sociales-démocrates, qu’elle est apparemment encore prête à défendre - tout du moins en partie.

Plus libéral, mais aussi plus proche des droits civiques ?

Il semble raisonnable de partir de l’hypothèse que la nouvelle politique économique sera plus libérale que pendant les onze dernières années. Au niveau européen, la FDP défend toujours et encore le pacte de stabilité. Par ailleurs, le courant des défenseurs des droits civiques de la FDP exige des changements quant au traitement des données personnelles et en ce qui concerne la législation anti-terroriste. Si cela laisse aussi espérer au niveau européen, conservateurs et libéraux se mettront néanmoins plus facilement d’accord quant à la politique économique...

La CSU rentrée dans le rang ?

Le traité de Lisbonne finalement ratifié en Allemagne la semaine avant les élections, la CSU, ponctuellement euro-sceptique, devrait préférer se tenir calme dans une coalition en principe pro-européenne, les prochaines élections bavaroises ou nationales étant loin. Cela dit, la plainte déposée par Die Linke, le député CSU Peter Gauweiler, notoire euro-sceptique, et d’autres devant la Cour constitutionnelle a amené à un changement des lois d’application du traité de Lisbonne qui donnent dès lors plus de pouvoir aux parlements allemands en politique européenne vis-à-vis du gouvernement. À voir comment les groupes parlementaires de la CSU à Berlin et à Munich réagiront...

Obstruction par la gauche au Bundesrat ?

Après les dernières élections régionales au Brandebourg et au Schleswig-Holstein, tenues également le 27 septembre, la nouvelle coalition détient une faible majorité au sein du Bundesrat, dont les pouvoirs ont également été augmentés par ces mêmes lois d’application du traité de Lisbonne. La majorité dans cette enceinte, représentation des Länder, pourrait pourtant passer à gauche avec les prochaines élections en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, en mai 2010. Si l’opposition choisit, dans ce cas, d’obstruer la politique du gouvernement, cela pourrait donc aussi, de manière générale, encombrer la politique allemande vis-à-vis de l’Europe.

La politique européenne du nouveau gouvernement allemand sera plus libérale, et elle cherchera donc très probablement en premier lieu à renforcer le marché commun, sans tout à fait oublier l’avancement de l’Europe politique. En revanche, le faible taux de participation de 70,8%, le plus faible à des élections générales en Allemagne depuis 1945, ne laisse guère d’espoir pour une prochaine sortie de l’Europe de sa crise de citoyenneté.

Illustration : photographie du drapeau allemand. Source : Flickr

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Vos commentaires
  • Le 2 octobre 2009 à 20:16, par Chloé Fabre En réponse à : Élections en Allemagne : quel effet pour l’Europe ?

    Selon moi, les élections générales allemandes illustrent le faiblesse de la social-démocratie au niveau européen. Social-démocratie qui n’arrive pas à structurer ses propositions de façon convaincante au milieu d’une crise financière et qui n’arrive pas à se distinguer de la droite européenne (et on le voit encore pour l’élection du président de la Commission européenne). Ne serait-il pas temps pour la social-démocratie de réfléchir à sa position dans un monde ouvert, libéral et capitaliste ?

    D’autre part, le taux de participation, qui fait quand même rêver, est en baisse selon l’article. Je crains que, si même les allemands perdent confiance dans la capacité du politique à gérer la vie en société, l’Europe marche lentement vers un nouveau type de fascisme proche de la « tyrannie de la majorité » de Tocqueville, que les citoyens se replient sur leur sphère privée au lieu de s’intéresser à la société.

  • Le 3 octobre 2009 à 16:35, par Frank Stadelmaier En réponse à : Élections en Allemagne : quel effet pour l’Europe ?

    Merci, Chloé, pour tes commentaires ! Je suis ravi d’avoir un écho ! J’en profite pour élaborer un peu, notamment sur la social-démocratie.

    Primo, pourtant, le taux de participation. S’il est vrai qu’il ferait rêver pour une élection européenne, il reste le plus bas depuis 1945 pour des élections générales en Allemagne. Encore en 2005 le taux de participation était à 77,7% (à ce moment-là déjà le plus bas de l’histoire). Le saut de 77,7% à 70,7% en seulement quatre ans est donc considérable. Vue cette baisse même aux élections les plus « populaires » parmi les électeurs, on doit s’attendre à des taux encore bien inférieurs pour d’autres élections, notamment européennes. (Taux de participation en Allemagne lors des élections européennes de 2009 : 43,3%.) Quoi qu’il en soit, un regard de plus prés sur les causes de cette baisse de participation aux élections générales nous amène au cœur du sujet :

    La situation de la social-démocratie. Il est à mon avis convenable de rester prudent en ce qui concerne une généralisation au niveau européen. La réussite des partis de gauche est très variée en Europe (au Portugal, M. Socrates vient d’être reconduit, comme nous le savons) ; si le cas allemand est comparable, il l’est surtout à la situation de Labour en Grande-Bretagne. Dans les deux cas, une grande partie de l’électorat traditionnellement de gauche semble reprocher aux partis leurs politiques de droite du passé Schröder/Blair, notamment en ce qui concerne la privatisation des services publiques et la libéralisation du marché du travail. En Allemagne, l’énorme croissance du taux d’abstention, on le sait à travers les sondages, est surtout due à l’abstention de ces anciens électeurs de la SPD.

    S’il est donc vrai que la SPD n’a pas su structurer ses propositions de façon convaincante, les causes en sont multiples. La SPD a, dans un premier temps, mené une politique de libéralisation et de privatisation, même, ou plutôt, surtout avant la grande coalition, ce qui lui coûte encore très cher en abstention. Dans un deuxième temps (depuis 2005), la concurrence de droite, la CDU d’Angela Merkel, a su se social-démocratiser, et cela à un tel point que les propositions de la SPD de 2009 ne semblaient plus du tout être originales. En Allemagne comme en France, c’est désormais la droite qui copie de la gauche.

    C’est ainsi que la SPD s’est fait écraser entre une CDU/CSU social-démocratisée et une deuxième gauche, dite « radicale », qui a également offert toute la gamme des propositions sociale-démocrates, mais de façon plus conséquente, étant donné son statut de parti d’opposition.

    « Ne serait-il pas temps pour la social-démocratie de réfléchir à sa position dans un monde ouvert, libéral et capitaliste ? » Tout à fait, et cette réflexion doit, à mon avis, passer par un rapprochement à une pensée de gauche plus « radicale », c’est-à-dire par un ajustement qui contrebalancerait les excès libéraux au sein de la social-démocratie (je parle de l’Allemagne, pas de la France évidemment) et qui permettrait à se positionner de nouveau au pivot d’une alternative politique. Reste à savoir si la SPD sera capable, en opposition, de faire oublier son passé libéral du début du décan, faire face à Die Linke au niveau rhétorique, tout en s’approchant d’elle pour obtenir une nouvelle option d’accès au pouvoir (la coalition « rouge-rouge-verte »).

    Une note finale, au nom de ma lutte contre les suppositions bénignes mais trompeuses envers l’Allemagne, que l’on trouve souvent en France, faisant de ma patrie une sorte de cité céleste que l’on oppose aux malheurs de la France :

    Oui, « même les allemands » ont déjà perdu depuis longtemps une grande partie de leur confiance dans leur système politique ! Au moins, certains d’entre eux ; je vous épargne les statistiques. Même s’il reste des différences, par exemple en ce qui concerne les problèmes des partis de gauche, dont j’ai essayé d’esquisser l’essentiel du côté allemand dans ce commentaire, je vous dis, amis français : ils vous sont plus semblables que vous ne le pensez, ces allemands - pour le pire ou pour le mieux.

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