Elections en Biélorussie le 19 décembre 2010 : l’occasion d’écarter Loukachenka du pouvoir ?

, par Horia-Victor Lefter

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Elections en Biélorussie le 19 décembre 2010 : l'occasion d'écarter Loukachenka du pouvoir ?

Le 19 décembre prochain, l’élection présidentielle aura lieu au Bélarus. Bien que dix candidats aient été enregistrés dans la course finale, Alyaksandr Loukachenka, au pouvoir depuis 1994, est sûr de se voir réélu à plus de 70% des suffrages.

Le contexte géostratégique est, cependant, très différent des trois élections précédentes (1994, 2001 et 2006). En effet, le pays s’inscrit dans un triangle relationnel avec l’Union européenne, la Russie et des pays tiers. Si, d’un côté, un rapprochement volontiers de la part de l’Union européenne peut être constaté, en dépit des constantes violations des droits humains et des principes démocratiques, le Bélarus connaît depuis près d’un an une menace sans précédent de la Fédération de Russie, qu’il réussit à contrer par le biais de l’aide ou du soutien substantiels offerts par des États tiers, tels la Chine et le Venezuela. Les États-Unis, quant à eux, ne changent pas de position et maintiennent ainsi les sanctions.

La volonté européenne de rapprochement, épicée par un jeu de sanctions peu effectif et incompréhensible

Parler de l’attitude de l’UE revient à discuter de l’action européenne prise dans son ensemble mais également de celles des États membres séparément. Leurs actions divergent entre elles mais aussi avec la politique de l’Union menée par Catherine Ashton. Les États reprochent notamment la politique des visas, l’espace Schengen étant en effet très difficilement accessible aux ressortissants bélarusses. Ceux-ci, malgré le rapprochement, sont sensibles à la politique presque agressive de l’UE à l’égard de leur pays. Les moyens mis en œuvre ne correspondent pas au but poursuivi.

Cependant, lors de sa visite à Minsk, le 15 novembre dernier, le commissaire à l’Élargissement Štefan Füle a évoqué, en faisant référence aux recommandations arrêtées par le Conseil de l’UE le 25 octobre, le travail effectué à l’égard du Bélarus sur la simplification des procédures de visa. En dépit des gestes de rapprochement,

Loukachenka accuse l’UE d’organiser une révolution, alors que, selon lui, les élections ont toujours eu lieu selon des principes démocratiques et sont conformes à la volonté du peuple bélarusse. L’UE vient récemment de prolonger pour douze mois l’interdiction d’entrée sur le territoire européen d’un certain nombre d’autorités bélarusses. Si l’interdiction est temporairement suspendue, une évaluation sera effectuée après les élections.

Mais, si la main européenne est tendue, il semble que Loukachenka n’ait vraisemblablement pas l’intention de la serrer : le Bélarus ne montre aucun signe de démocratisation, globalement, et les États membres s’empressent de le signaler et de reprocher à l’UE et au FMI de ne pas en tenir compte dans leurs stratégies. La Suède est ainsi à la tête des défenseurs des droits humains, de longue date, groupe rejoint plus récemment par le Parlement italien.

En ce qui concerne les élections, l’UE demande de manière récurrente que le principe d’élections démocratiques soit respecté, ce que Loukachenka vient de promettre de manière très surprenante devant les Polonais. A-t-il oublié qu’il a été toujours respecté ? Cependant, la réalité nous montre bien le contraire : en dépit d’une période précédente de relâchement, lors du lancement du Partenariat oriental, des acteurs dans la campagne présidentielle sont emprisonnés ou menacés, des transferts de fonds pour la campagne ne sont pas effectués, des matériaux sont confisqués. Le journaliste Aleh Byabenin, conseiller d’Andrei Sannikov, principal candidat de l’opposition, se suicide dans des circonstances tout à fait mystérieuses, à la veille de la campagne pour les élections présidentielles.

Cette volonté de rapprochement de la part de l’UE, voulue comme une alternative à la Russie, est perçue de manière très positive et ce d’autant plus que l’Union est en ce moment à la recherche d’un ambassadeur pour le Bélarus, en remplacement du chargé d’affaires, ayant jusqu’à maintenant représenté Bruxelles. Cependant, au sein des 27 États membres, dans le cadre des relations bilatérales, quatre postures peuvent être décelées. Ces processus résultent notamment du fait que la Russie et le Bélarus préfèrent négocier avec chaque États membre individuellement, plutôt qu’avec l’UE comme entité.

De manière classique, certains États veulent améliorer leurs relations avec le Bélarus, , tels que la France, avec la visite de Pierre Lellouche. La République tchèque, qui a récemment décidé d’y ouvrir une ambassade, considère que les candidats de l’opposition ont de fortes personnalités et leur promet ouvertement son appui. D’un autre côté, des États comme la Slovaquie préfèrent limiter leurs contacts avec le Bélarus en faveur de l’Ukraine. En outre, traditionnellement en relation avec le Bélarus, le Royaume-Uni et la Pologne affirment leur soutien à l’opposition, et à un éventuel gouvernement démocratique, tout comme l’Allemagne, l’un des premiers partenaires commerciaux.

Enfin, la Lituanie, a une position plus ambiguë. Le rapprochement avec le pouvoir bélarusse, notamment suite aux visites réciproques des homologues lituanien et bélarusse, se fait par tous les moyens, allant jusqu’à l’acceptation de faire transférer le pétrole vénézuélien par le port de Klapeida. On peut ainsi la qualifier d’Ukraine européenne. La Lituanie explique sa position en mettant l’accent sur la politique dissidente que le Bélarus applique vis-à-vis de la Russie.

Selon Dalia Grybauskaite, la Présidente lituanienne, « Loukachenka est un garant de la stabilité économique et politique du Bélarus », empêchant ainsi le pays voisin « de devenir une seconde Russie », ce que beaucoup craignent pour l’Ukraine. Mais, la réponse réside dans deux questions : Comment peut-on intégrer le voisinage russe ? Et comment peut-on démocratiser le voisinage russe sans l’intégrer, quand il y a une dépendance pétrolière et gazière du voisinage et de l’UE envers la Russie ? D’où le besoin d’une stratégie énergétique commune.

La Fédération de Russie et la République de Bélarus : la formalisation d’un divorce ?

C’est la conclusion que tire Novye Izvestiya, quotidien russe, du refus de Sergei Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, de rencontrer Loukachenka lors de sa visite à Minsk. Le haut dignitaire russe, qui jusqu’alors était perçu comme le premier lobbyiste du Bélarus auprès du Kremlin, est maintenant favorable à un Bélarus européen et à son intégration, notamment au Conseil de l’Europe.

Dans le cadre d’une volonté de reset avec les États-Unis et d’un rapprochement avec l’UE, la Russie rejoindrait-elle le club « démocratique » et procédera-t-elle pour la première fois en seize ans à un changement du pouvoir au Bélarus ? Si tel est le cas après les élections, comme le prédisent de nombreuses voix, la raison de ce changement sera cependant bien différente.

L’opposition que Loukachenka a manifesté ces derniers temps sur un nombre de dossiers très importants pour les autorités russes, les a plus qu’exaspérées. Ces dossiers lui sont vitaux : non reconnaissance des régions sécessionnistes géorgiennes, importation de pétrole vénézuélien, retard dans la mise en place de l’Union douanière et de l’Union étatique Russie-Bélarus, asile de l’ancien président Bakiev, etc..

La dernière goutte qui a fait déborder le vase de patience de Dimitri Medvedev a été la rhétorique antirusse de Loukachenka. Si, pour certains, les motifs qui peuvent conduire à un désaveu russe ne sont pas si importants, des gestes de la part du pouvoir russe sont toutefois sérieusement à prendre en compte. Le documentaire « Gobatka » (le Parrain), dénonçant les crimes de Loukachenka, est diffusé en Russie par des chaînes placées sous le contrôle des autorités russes.

Le soutien caché à l’opposition bélarusse à travers la campagne « Dis la vérité », depuis février 2010, le refus d’accorder une aide de 500 millions de roubles russes, la construction de pipelines contournant le territoire bélarusse, ou encore la guerre du gaz en juin dernier en sont de parfaits exemples.

Mais pour que le renversement ait lieu, il faut que la Russie trouve une alternative. Il se peut que le blog de Medvedev par l’intermédiaire duquel le président russe lance ses imprécations, ne soit pas aussi efficace qu’il ne l’a été pour l’Ukraine. En effet, Medvedev avait prévu l’élection de Yanoukovitch, perçu comme un partisan de la Russie.

Si ce dernier avait défini sa politique étrangère pour un rapprochement envers l’UE, les actions proprement dites se font attendre. Cependant, au Bélarus, il n’y a pas de véritable opposition, à part Andrei Sannikov. Celui-ci emprunte la voix médiane, comme son homologue ukrainien, déclarant la Russie partenaire stratégique de son pays, tout en restant partisan de la voie européenne. Mais Uladzimir Kolas avertit : « Si l’opposition ne s’unit pas, ce sera une trahison pour le peuple bélarusse. »

L’opposition s’imagine incarnant le combat contre le mal, enthousiasmée par la « guerre froide » installée entre Loukachenka et Medvedev, et par un potentiel soutien de la part de l’Ukraine. Cependant l’incohérence du discours entre le président russe et son Premier ministre Vladimir Poutine montre qu’il serait plus sage de ne pas nourrir trop d’espoirs.

S’inscrivant dans une opposition interne, notamment depuis la destitution du maire de Moscou par Medvedev, Poutine, bien que moins médiatisé, reste l’homme de pouvoir. Pour lui, la balle est dans le camp de Loukachenka pour faire avancer le projet d’Union étatique Russie-Bélarus pour laquelle il souhaite une monnaie unique. Les derniers sondages montrent des quotas de popularité à égalité entre Poutine et Medvedev (77% et 76%).

Si la Fédération de Russie est peut-être prête à ne pas reconnaître les résultats des élections, Loukachenka s’en contrefiche, en menaçant de sortir le Bélarus de toute organisation régionale dont la Russie fait partie. Devant l’aide offerte par le Vénézuela et la Chine, la Russie accepte maintenant de discuter le prix du gaz, qui atteint les prix les plus faibles parmi toutes les anciennes Républiques soviétiques.

Nombreuses sont les comparaisons associant Loukachenka à Ceausescu pour sa politique étrangère inféodée au pouvoir russe, ou à Youchtchenko avec l’espoir de le voir écarté bientôt du pouvoir. Une analyse plus objective montre combien ces espoirs sont faibles. Quoi qu’il en soit, Medvedev a déjà averti qu’il n’attendait rien de bon du résultat des prochaines élections. Maintenant attendons le dénouement.

Illustration : Where the West and Russia Clash

Source : Belarus Digest

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