Et si nous laissions les Grecs voter ?

, par Nicolas Delmas

Et si nous laissions les Grecs voter ?
José Manuel Barroso à droite, Georges Papandreou. Crédit © Union européenne, 2011

Un jour seulement après avoir annoncé qu’il soumettrait à référendum le plan entériné la veille en Conseil européen pour tenter de sauver son pays de la faille, le premier ministre grec semble avoir changé à nouveau de stratégie. Désormais, il ne serait plus forcément question d’un tel projet populiste/populaire. Il en appelle donc à l’unité nationale au sein du personnel politique hellène afin de faire face ensemble au fléau qui les menace. L’actualité a même changé la donne puisque désormais, un gouvernement d’union nationale se met en place sans M.Papandréou. Pour autant, n’est-il pas déjà trop tard ? La message dans la bouteille peut-il être encore récupéré ?

Le référendum : la sollicitation du peuple entre sagesse de la multitude et passions de l’opinion

Les dirigeants des pays européens sont loin d’être les seuls à exprimer leurs doutes sur ce processus. En effet, le professeur H.Roussillon considère que « toute décision, dans un milieu collectif, quelle que soit son importance quantitative, suppose, si elle se veut démocratique, une phase de délibération et de débat avec le pouvoir de modifier, d’amender le projet initial. » [1] . Or, le référendum se limite à un choix binaire (oui ou non).

Il est vrai que la démocratie sans pédagogie relève de la démagogie. Cependant, on est en droit de penser que la période pré-électorale peut être l’occasion d’un vaste débat sur les conséquences attachées à l’une ou l’autre des décisions. Quant à l’absence de modification, elle ne doit pas forcément être vue comme une atteinte à la démocratie puisqu’elle pourrait être compensée par la présence de plusieurs projets sur lesquels le peuple devrait donner sa préférence.

Par ailleurs, l’auteur met en cause les électeurs : « On n’ironisera pas, ceci étant trop connu, sur le fait que bien rares sont les citoyens modèles qui font l’effort de lire la question posée et, a fortiori, les longs documents qui en général l’accompagnent ? [2] » Il est tout à fait possible de lui rétorquer qu’il en va de même pour les parlementaires.

Il rappelle aussi « Comment oublier que derrière le non victorieux du référendum de 1969 se retrouvaient une foule de motivation contradictoire : additionner des choux et des carottes a toujours été dangereux, sinon immoral » [3]. Ce dernier point ne doit pas occulter une triste vérité. Tout vote subit l’influence d’événements extérieurs et est conditionné par des motivations parfois dénuées de tout lien avec le sujet dont il est question. Combien de fois des considérations partisanes ont-elles poussé des députés à ne pas donner leur voix à des textes qu’ils approuvaient ?

Compte tenu de l’importance des enjeux, il faut considérer cet appel au peuple comme la possibilité d’une régénérescence de l’instinct civique. Un vote au Parlement risquerait d’échouer pour des considérations clientélistes. Georges Gurvitch disait que « la démocratie, ce n’est pas le règne du nombre, mais le règne du droit ». Il me semble que la démocratie, c’est le règne du nombre encadrée par les règles de droit.

Le référendum grec : « Nos espoirs sont vagues, nos craintes précises » (Paul Valéry)

Il faut commencer par se pencher sur les raisons de ce soudain revirement.

Il s’explique d’abord par le contexte national. Monsieur Papandréou était soumis à une pression constante des parlementaires de son camp (sa majorité s’amenuise puisque certains députés ont quitté le parti), il lui fallait reprendre l’avantage, notamment face à son ministre de l’économie. Il se trouve que son idée, loin de plaire à son propre camp, n’a fait qu’accentuer sa déroute. Il a donc à nouveau changé de cap. En outre, il a été contraint par les bouleversements extra-nationaux qu’a entraîné son annonce. La chute brutale des marchés financiers a révélé (encore une fois) l’urgence de la situation. Désormais, il a été poussé par la création d’un gouvernement d’union. Aucun autre homme politique grec n’avait soutenu son projet.

Toutefois, les formations eurosceptiques se servent de ce retournement pour dénoncer « l’Europe technocratique » face aux « référendums démocratiques ». La bataille de la communication est engagée. Ce retrait, quelque peu forcé, pourrait finalement coûter cher à l’Union européenne. Quel intérêt de gagner l’accord des marchés si l’Europe perd l’assentiment des peuples ? « Unis à tout prix, mais unis à quel prix ? » se demandait un journaliste.

Il est évident que l’urgence de la situation impose une solution rapide. Toutefois, vu les tergiversations des gouvernements, il serait temps d’en appeler au peuple pour prendre une décision sans appel sur la question afin que les gouvernants puissent se prévaloir d’une assise claire et nette.

Bien sur qu’un référendum fait figure de « coup de poker ». Il faudrait absolument que l’ensemble des partis de gouvernement prennent parti nettement en sa faveur. Aucune tendance politique ne devrait se retrouver seule à défendre la viabilité du plan adopté en Conseil européen, le risque étant sinon que ce référendum ne serve de défouloir pour mettre en cause le parti au pouvoir. Il est évident qu’un tel vote devra éviter d’être pollué par les enjeux nationaux. La coalition qui se met en place est assurément une bonne solution pour la Grèce Elle devrait être le tremplin pour l’organisation future d’un référendum.

Un référendum pour rapprocher l’Europe de ses citoyens

La tenue d’un tel scrutin imposerait d’ailleurs un travail particulier aux associations qui promeuvent l’Europe pour faire œuvre de pédagogie. Il faudra surtout cesser de clamer « qu’ils n’ont pas le choix ». Le choix, on l’a toujours. Il faut juste exposer les conséquences qui en découlent.

C’est d’abord cela la démocratie : bénéficier d’une liberté, tout en ayant alors la responsabilité de son usage. A nous de démontrer dans le débat qui s’ouvrira que notre position est la meilleure, que nos arguments sont les plus pertinents. L’Europe ne doit pas avoir peur du peuple. Rien ne se fera sans lui.

Osons dire la vérité aux gens ! Et tâchons de leur faire confiance. Les récents sondages faits en Grèce montrent qu’environ 80% des Grecs veulent garder l’euro malgré les sacrifices qu’ils devront consentir. C’est un signe fort. Il ne faut pas oublier de plus, que c’est aux populations que s’adresse ce projet. Donnons leur une occasion de participer pleinement. Il est tout à fait possible qu’à défaut d’une solution oui/non, on propose différents plans soumis à l’approbation des Grecs, voire même des populations pour une réponse plus globale.

Il est vrai - et les récents évènements (la formation d’un gouvernement d’union nationale sans M.Papandréou) vont dans ce sens - qu’un tel référendum n’aura surement jamais lieu.

Désormais, l’Europe risque de créer une fracture irréversible avec ses citoyens. Qu’importe, que l’idée du référendum plaise ou non, elle a été lancée sur la place publique et d’autres s’en sont emparés. L’Europe sortirait grandie si elle affrontait avec succès ce test populaire. Elle pourrait enfin faire face aux défis majeurs qui l’attendent. L’Europe doit être un « plébiscite de tous les jours ». Reprenons à notre compte la maxime de Herman Van Rompuy, président actuel du Conseil européen : « Ce qui n’est pas résolu par les traités, ce sont les hommes qui doivent donner la réponse ».

Les risques d’un échec sont, je le reconnais, immenses. Mais, éviter l’appel à la population risquerait d’être tout au plus qu’une victoire à la Pyrrhus.

Notes

[1Henry ROUSSILLON, « Contre le référendum ! », Pouvoirs, revue française d’études constitutionnelles et politiques, n°77, 1996, p.184-19. Consulté le 09-11-2011 [http://www.revue-pouvoirs.fr/Contre-le-referendum.html]

[2Henry ROUSSILLON, « Contre le référendum ! », Pouvoirs, revue française d’études constitutionnelles et politiques, n°77, 1996, p.184-19. Consulté le 09-11-2011.

[3Henry ROUSSILLON, « Contre le référendum ! », Pouvoirs, revue française d’études constitutionnelles et politiques, n°77, 1996, p.184-19. Consulté le 09-11-2011.

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