Europe : amour ou chambre à part ? Sylvie Goulard - 2013

, par Claire Versini

Europe : amour ou chambre à part ? Sylvie Goulard - 2013
CC BY-NC-SA 2.0 ALDEADLE Alliance of Liberals and Democrats for EU

Un appel à dénoncer la tyrannie et l’hypocrisie de la construction européenne dévoyée et sortir de la servitude volontaire, tel est l’objet de l’ouvrage de Sylvie Goulard, Europe : amour ou chambre à part ? publié chez Flammarion en septembre 2013.

Il s’agit d’un cri du cœur de la part d’une députée européenne qui ne souhaite pas ajouter une nouvelle couche aux critiques dont l’UE fait régulièrement l’objet, mais bien secouer celles et ceux qui, inconsciemment ou à dessein, contribuent à la dérive tyrannique de l’Europe. Cet ouvrage de conscience s’interroge sur les dysfonctionnements actuels de l’Europe intergouvernementale en se focalisant sur le rôle de la France, la part qu’elle pourrait prendre à les régler et les avantages qu’en retirerait l’Europe, ses états-membres et ses citoyens.

L’échec de l’Europe intergouvernementale

Tout au long de son plaidoyer en faveur d’une Europe plus démocratique et plus intégrée, l’eurodéputée dresse un état des lieux des forces et des faiblesses de ce à quoi ont mené plus de 60 ans de construction européenne. Si elle évoque l’extension des pouvoirs du Parlement Européen, qui a notamment permis des avancées en termes de règles sanitaires et de normalisation, et affirme que « les Européens n’ont pas à rougir de ce qu’ils ont accompli depuis 1945 » (p. 83), elle pointe surtout du doigt les défaillances de l’Europe intergouvernementale.

L’inefficience du système institutionnel d’abord. Trop complexe, et cherchant à faire plaisir à tout le monde, il ne s’est pas doté des mécanismes de légitimation nécessaire à sa démocratisation. Pas plus que des dispositifs de contrôle ou d’impulsion nécessaires à le faire tourner. Elle revient aussi sur le déficit démocratique criant de l’UE et combine ces deux critiques dans un pamphlet contre l’Europe intergouvernementale, ses prises de décision à l’unanimité qui ne peuvent servir l’Europe en tant que collectif, et ses luttes d’intérêt et de personnalités. Et de prendre la non-création d’une union politique qui aurait dû aller de pair avec la création de l’euro comme exemple de ces manques. Bien moins classique et plus polémique que nombre de ses prédécesseurs dans l’exercice de l’analyse des échecs de l’UE, Sylvie Goulard évoque aussi la trahison des élites, notamment politiques, dont le pro-européisme, qu’il soit réel ou de façade, est bien souvent plus néfaste que bénéfique à la construction européenne. Ainsi, quelle aberration démocratique que de voir le Président français siéger au Conseil européen ou la Constitution française continuer de consacrer la souveraineté et l’indépendance de la France ! Elle regrette aussi que les pro-européens « de l’arrière » (p. 58) critiquent ou encensent l’Europe sans réellement participer à sa construction ou son développement.

L’Europe parlementaire : la solution ?

Loin de s’abandonner aux facilités de la critique, Sylvie Goulard propose sa solution : l’Europe parlementaire, dans une version hybride et européenne, avec un exécutif fort « à la française » (p. 128) et un contrôle parlementaire « à l’allemande » (p.128). Parce qu’en eurodéputée qui « monte au front » (p. 58) elle a pleinement conscience de « l’insoutenable légèreté » (p. 85) avec laquelle le PE est traité par les gouvernements nationaux, au premier rang desquels le gouvernement français. Pose problème, bien sur, le fait que l’institution représentant les citoyens n’ait toujours pas le droit d’initiative législative, de pouvoir budgétaire ou de contrôle de l’exécutif. Mais peut-être pire encore, l’hypocrisie d’un gouvernement français qui lutte pour conserver le Parlement à Strasbourg tout en l’utilisant comme instance de recyclage de ses politiques nationaux "ratés". Non seulement cela prouve l’importance que l’État français accorde à cette institution, mais cela nuit gravement à la crédibilité et l’efficacité de ce dernier, et surtout à sa capacité de devenir le vecteur de la génération Erasmus qui devrait y siéger. L’auteure plaide ainsi pour une profonde réforme de cette institution « théoriquement souveraine mais subordonnée, théoriquement européenne mais nationalement élue » (p.87), afin de retrouver à la fois une légitimité démocratique mais aussi une véritable crédibilité internationale.

Parce que le Parlement Européen appelé de ses vœux par Sylvie Goulard est une institution qui représente les citoyens européens et permet de défendre l’intérêt national, et non les privilèges nationaux, au delà des frontières. Si elle met en garde contre une trop grande localisation du PE qui pourrait favoriser clientélisme et frustration, l’eurodéputée souligne aussi qu’un Parlement aux pouvoirs législatifs accrus, aux pouvoirs de contrôle plus développés, et dont le mode d’élection serait plus européen contribuerait grandement à raffermir la crédibilité européenne sur le plan international, à la fois parce qu’il serait un exemple de démocratie à l’échelle d’une fédération, et parce qu’il permettrait d’incarner l’intérêt collectif européen.

Et le fédéralisme dans tout ça ?

Quand Sylvie Goulard cite le « F word », c’est pour s’interroger sur la nécessité de changer de discours tant le terme est désormais galvaudé. Il serait ainsi nécessaire ne plus utiliser le mot puisqu’il fait peur, et de mieux expliquer l’union politique et la parlementarisation de l’UE, plutôt que de nous comporter en « enfants gâtés » qui détruisent l’héritage dont ils sont les dépositaires depuis plus de 60 ans.

Les associations européennes fédéralistes savent combien, en effet, le mot inquiète. Et il devient alors tentant de l’éviter au maximum tout en décrivant une solution rien moins que fédéraliste aux maux de l’Europe. Parce que moins de pouvoirs au Conseil et plus de pouvoirs au PE, ou un PE et une Commission moins nationalisés, n’est-ce pas fédéraliser ? De manière hybride, de manière nouvelle, à l’Européenne, Unis dans la Diversité, mais malgré tout, fédéraliser ? Eluder le mot n’évitera pas les longues explications pour rattraper le retard pédagogique sur l’Europe. C’est en transposant la défense de ses intérêts nationaux au niveau européen, explique Sylvie Goulard, que chacun des 28 Etat membres de l’UE pourra continuer de préserver sa richesse et ses spécificités. Ces dernières se développeront, comme de tous temps, à travers des interactions toujours plus fructueuses avec les autres pays européens et du monde.

Conclusion

« Les nationalistes béats sont heureux d’être nés quelque part. Avec l’UE, nous pouvons être plus fiers encore d’avoir bâti quelque chose » (p. 83). Le livre de Sylvie Goulard est un appel à ne pas ajouter à cette phrase un terrible « avec le repli sur nos privilèges, nous pouvons être triste de l’avoir détruit ». Au contraire, il s’agit de s’inscrire dans l’héritage de nos ancêtres en poursuivant cette œuvre historique, démocratique, d’ouverture et de tolérance, en dépassant nos horizons nationaux pour mieux les prolonger dans l’espace européen et les formidables opportunités qu’il nous ouvre, tant en terme de citoyenneté que de crédibilité internationale. Un livre à lire absolument pour toute personne s’intéressant un tant soit peu à l’UE, pour mieux comprendre la profondeur à la fois des maux et des perspectives de la construction européenne.

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