Fédérer l’Europe et le monde

, par Maël Donoso

Fédérer l'Europe et le monde

En cette période marquée par les élections européennes, il n’est pas inutile de prendre un peu de hauteur, et de nous rappeler pourquoi l’engagement en faveur d’une Europe politique, plus forte et plus démocratique, est nécessaire pour notre futur à long terme.

S’il fallait illustrer la nécessité historique du fédéralisme par une image, on pourrait choisir la photographie d’une ville européenne détruite par les bombes de la deuxième guerre mondiale. C’est en effet après les destructions, les ravages et les privations de la guerre que l’idée d’une Europe politique a véritablement été lancée, pour restaurer la paix entre les peuples européens et la promouvoir pour les générations à venir. Cependant, si l’image d’une cité en ruine aurait tout son sens, une telle vision n’est pas exempte de douleur et de mélancolie.

On peut lui préférer une autre photographie, américaine celle-là : celle de la planète Terre vue depuis la Lune. Ce fameux « lever de Terre », capturé par William Anders lors de la mission Apollo 8, a été considéré comme « la photographie environnementale la plus influente jamais prise » [1]. La saisissante finitude de notre planète, et le vertige à l’idée que toute l’histoire humaine se déroule à la surface d’un fragile globe bleu, font partie des sentiments les plus fortement ressentis et les plus souvent évoqués par les astronautes, et cette prise de distance a joué un grand rôle dans le développement des idées écologistes à travers le monde.

Vers la fin des frontières

Or, la fragilité qui prévaut pour les équilibres naturels de la planète vaut également pour ses équilibres humains. Prises avec du recul, l’inflexibilité des frontières et l’absence d’une gouvernance mondiale semblent ridicules, tandis que les défis auxquels l’humanité fait face réclament de plus en plus souvent des décisions prises à l’échelle globale. Par ailleurs, tant que la Terre sera divisée en États autonomes et concurrents, les risques de guerre ne pourront jamais être totalement exclus. Ce que les auteurs de science-fiction ont souvent évoqué comme une évidence mériterait d’être rappelé : à long terme, la seule solution stable sera d’unifier l’humanité dans une structure politique commune.

Dans l’idéal, cette structure serait démocratique et respectueuse de la subsidiarité, autrement dit fédérale. S’il est évident que nous sommes encore loin de pouvoir atteindre une telle organisation planétaire, beaucoup de choses peuvent déjà être faites pour contribuer à la mettre en place. En ce sens, l’Europe peut être vue comme un laboratoire, un modèle d’intégration politique qui pourrait être exporté à d’autres régions du monde, à commencer par l’Amérique latine. Promouvoir la future intégration mondiale en favorisant, dans un premier temps, les unifications politiques régionales, voilà une première voie sérieuse que les fédéralistes ont commencé à exploiter.

La deuxième voie consiste à agir directement au niveau mondial, par le biais des institutions internationales et en particulier des Nations Unies. Des évènements récents comme le G20 de Londres ont prouvé qu’une coordination mondiale est possible, même si elle reste timide et limitée aux temps de crise. Combiner une approche « de bas en haut » (former des fédérations régionales qui prépareront le terrain pour une unification mondiale) et « de haut en bas » (renforcer le niveau mondial pour assurer la coopération des puissances régionales) est sans doute une bonne solution pour en finir, à long terme, avec les frontières.

Un programme commun pour le futur

La conviction que l’humanité est capable de s’unir dans un programme commun pour le futur doit être la base des idées fédéralistes. Il semble réaliste de le croire, lorsqu’on observe les progrès considérables accomplis par l’Europe, qui en deux générations est passée d’un continent détruit par la guerre à un espace politique en pleine construction, où les notions de citoyenneté et de gouvernance européennes prennent chaque jour davantage de sens. Le travail d’intégration que nous accomplissons en tant qu’Européens peut donc servir de modèle à tous ceux qui, sur la planète, souhaitent mettre en place des procédures de coopération renforcée et d’unification politique.

Beaucoup de choses seront sans doute à réinventer. Nous pouvons apporter notre pierre à l’édifice par le dialogue, par le partage d’idées entre les différents acteurs qui souhaitent dépasser le carcan d’un monde enfermé dans ses frontières, et qui veulent pour l’humanité une gouvernance démocratique, et pour la planète un équilibre écologique. La vision à long terme d’une Terre pacifiée et durable peut être notre base commune, après quoi nous pourrons discuter des moyens d’y parvenir. Parions qu’à notre échelle, le projet qui se dessinera sera de renforcer l’intégration politique de l’Europe, et l’influence internationale du modèle européen.

Ces dernières années, les partisans de l’Europe politique ont surtout montré, à leur niveau, une approche « de haut en bas » : nous avons toujours été dans l’attente de la nouvelle Constitution, du nouveau Traité qui, en réformant les institutions européennes, allait permettre à celles-ci de se rapprocher d’une forme fédérale. Aujourd’hui, sans doute avons-nous besoin de développer davantage l’approche « de bas en haut », de construire l’Europe à partir des chantiers concrets qui attendent la prochaine législature, et de nous battre jusqu’au dernier moment pour donner du sens aux élections européennes.

La composante politique du développement durable

Gardons à l’esprit cette photographie de la Terre vue de la Lune. Même s’il est bon de rappeler les circonstances historiques dans lesquelles se sont développées les idées fédéralistes, une image comme celle-ci parlera sans doute davantage aux citoyens qui, pour n’avoir jamais connu de guerre, considèrent la paix européenne comme un fait acquis, et ne voient pas ce que l’intégration politique pourrait leur apporter de plus. En changeant de perspective, nous ne présenterons plus le fédéralisme comme une idéologie issue d’un moment particulier de l’histoire européenne, mais comme un projet de futur logique, au regard de la finitude de notre planète et de la nécessité de l’organiser au mieux.

Il n’est peut-être pas entièrement faux de présenter le fédéralisme comme la composante politique du "développement durable", si cette dernière notion est prise dans un sens très large. Car en voulant donner à l’Europe et au monde une organisation fédérale, c’est bien l’équilibre et le progrès sur le long terme que nous recherchons pour la société humaine.

Illustration : photographie du « Lever de Terre » sur la Lune, prise depuis l’orbite lunaire. Auteur : William Anders. Source : Wikimedia.

Notes

[1Selon les termes de Galen Rowell.

Vos commentaires
  • Le 11 mai 2009 à 13:31, par krokodilo En réponse à : Fédérer l’Europe et le monde

    La plupart des auteurs de SF présentent aussi un monde dans lequel se dégage une langue véhiculaire commune, le galactique, un dérivé d’anglais, ou l’espéranto (Harry Harrison). A chacun de faire le petit effort personnel pour apprendre l’espéranto et disposer ainsi d’une langue d’échange équitable. C’est dommage que pour l’instant les ONG utilisent surtout l’anglais, mais je pense que tôt ou tard elles se rendront compte de l’intérêt et de l’efficacité de l’espéranto pour leurs équipes internationales.

  • Le 12 mai 2009 à 10:13, par aragornius En réponse à : Fédérer l’Europe et le monde

    Fédérer le monde, exploiter notre planète intelligemment et pour le bien de tous... Vaste programme... Mais réalisable et tellement beau que ça vaut la peine d’y essayer !

    Et tant pis pour tous ceux qui, le sourire en coin, le sourcil cynique et l’air faussement intelligent, crieront que c’est totalement naïf et utopique. Tous les grands faits de l’humanité se sont vus accompagner de tels hurlements cacophoniques... Mais, comme le dit le proverbe : les chiens aboient, la caravane des hommes justes passe... ;-)

  • Le 31 août 2009 à 09:08, par Valéry-Xavier Lentz En réponse à : Fédérer l’Europe et le monde

    Notons que dans la série "Le Monde du fleuve" de Philip José Farmer, l’esperanto devient également une langue courante. L’un des « États » créés dans la série se nomme ainsi « Virolando ».

    Toutefois je crois que dans la plupart des cas — notamment des auteurs américains — il s’agit plutôt d’une licence scénaristique visant à écarter du récit la question des problèmes de traduction, qu’un acte prophétique. On trouve généralement une astuce « magique » pour que les personnages interagissent avec des aliens sans problème de communication dans Star Trek (le traducteur universel) ou dans Doctor Who (le Tardis qui joue ce rôle).

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