Il faut une profonde réforme de la gouvernance économique européenne

, par Jonathan Leveugle

Il faut une profonde réforme de la gouvernance économique européenne

Philippe Martin, professeur en charge du département d’économie à Science-po Paris, nous livre son analyse de la crise de la dette dans la zone euro. Selon lui, il est plus qu’urgent de mettre en œuvre une réforme de la gouvernance économique. La Commission européenne contrôlerait les déficits budgétaires et la BCE jouerait le rôle de prêteur en dernier ressort. Une plus grande intégration des politiques budgétaires et fiscales est maintenant essentielle.

Jonathan LEVEUGLE : Le sommet européen du 26/10 était parvenu à un accord sur le problème de la dette grecque. Pensez vous que ce plan est efficace pour sauver la Grèce ? N’est ce pas une cure d’austérité trop importante qui va peser sur l’économie grecque ?

Philippe MARTIN : Pour résoudre le problème de la dette grecque, deux éléments sont nécessaires.

Le premier consiste à alléger rapidement la dette publique. Même si elle vient assez tard, la décision de restructurer la dette grecque lors du sommet européen du 26 octobre est une bonne chose. Il prévoit notamment l’effacement de 50% de la dette grecque détenue par les banques. Cependant, 1/3 de la dette grecque est détenue par les Grecs eux-mêmes, 1/3 par la BCE et autres institutions publiques et le dernier tiers est détenu par les agents privés étrangers. Les institutions publiques ne sont pas concernées par cet effacement. C’est ainsi que dans la réalité la dette grecque connait au mieux un « hair cut » (baisse de la valeur) de 50% de 60%, soit 30%. Mais à cela il faut rajouter le taux de 8% de recapitalisation des banques. Donc la décision du Conseil européen ne se traduit dans la réalité que par une baisse de 22% de la dette grecque. Cette décision n’est donc pas suffisante.

Le deuxième élément nécessaire pour que la dette grecque soit soutenable, est le retour de la croissance. Or, pour le moment, on ne voit pas de stratégie de long terme pour la Grèce et à court terme, les effets des plans d’austérité ont un impact dramatique sur la croissance.

On va dans le bon sens mais les décisions viennent trop tard, trop lentement et ont peu d’effet.

J.L : La Grèce a-t-elle intérêt à sortir de l’euro ?

P.M : Je crains pour la Grèce qu’une crise financière, avec une panique bancaire, n’advienne dans les mois qui viennent obligeant le pays à sortir de la zone euro. Ce n’est pas une bonne chose, mais il n’est pas impossible qu’un jour ou l’autre, la Grèce n’ait plus le choix et qu’elle soit poussée hors de la zone euro.

Cette sortie aura des couts très importants pour l’économie grecque et ne mettra en aucun cas fin à l’austérité. En effet, d’un seul coup plus personne ne voudra prêter aux Grecs et les prêts de l’Union européenne prendront fin.

De plus, personne ne sait comment on sort de l’euro. Quand nous sommes passés à la monnaie unique, nous avons eu du temps, c’était un processus lent. La sortie se ferait en un week-end et les couts seraient gigantesques.

Malheureusement on s’achemine actuellement vers une situation où il semble difficile d’éviter cette panique bancaire poussant la Grèce hors de l’euro.

J.L : C’est maintenant l’Italie qui est sous le feu des projecteurs. Pensez vous que la crise va continuer à s’étendre à d’autres pays ?

P.M : La contagion a déjà lieu. Lorsqu’on regarde le cas italien, on voit que la différence entre le taux d’emprunt allemand et le taux d’emprunt italien est tel, que la dette italienne n’est plus soutenable. Le problème actuel, c’est que les marchés sont dans ce qu’on appelle une situation d’anticipation auto-réalisatrice, c’est-à-dire que les marchés anticipant le fait que l’Italie fera défaut, augmentent alors les taux d’intérêt et la dette devient effectivement insoutenable.

Le rôle des dirigeants européens est de réussir à stopper cette prophétie auto-réalisatrice. Mais ce que l’on constate actuellement c’est leur incapacité à régler ce problème.

J.L : On voit que la gestion actuelle de la crise n’est pas efficace. Quel rôle devraient jouer les institutions européennes et notamment la BCE pour enrayer et prévenir la crise ?

P.M : La BCE a joué un rôle positif dans l’enrayement de la crise en rachetant des dettes publiques mais c’est trop peu et elle est très loin de jouer le rôle qu’une banque centrale devrait jouer, comme on peut le voir au Japon, aux États-Unis et au Royaume-Uni., c’est-à-dire celui de prêteur en dernier ressort.

Si on compare le cas espagnol au cas anglais, on constate qu’en terme budgétaire ou en terme de dette publique, la situation anglaise est pire que celle de l’Espagne. Pourtant les taux d’emprunts espagnols sont bien plus élevés car la BCE n’est pas prêteur en dernier ressort. Ce problème structurel de l’Union monétaire européenne est à résoudre. La BCE doit accepter de jouer ce rôle de préteur en dernier ressort ou la zone euro éclatera. Il faut pour cela aller plus loin dans l’intégration et changer les statuts de la BCE.

Les Allemands ont néanmoins une certaine réticence à modifier les statuts de la BCE car se pose alors le problème de l’aléa moral. En effet, si on sait par avance que la BCE sera toujours là pour nous prêter à des taux bas, les pays seront peu incités à mener une politique budgétaire responsable à long terme. C’est pourquoi, il faut inscrire en parallèle, comme loi constitutionnelle, une règle d’or empêchant les États de mener des politiques budgétaires trop déficitaires.

J.L : Un changement de gouvernance économique européenne semble nécessaire. Quelle convergence économique et budgétaire doit-il y avoir ? Comment prendra-t-elle forme ?

P.M : Il est clair qu’il faut mettre en place une réforme très profonde de la gouvernance de la zone euro. Il faut une intégration beaucoup plus forte en matière fiscale et une surveillance entre les pays européens dans ce domaine là. Quand on partage une même monnaie, il faut une intégration beaucoup plus forte de la politique fiscale.

La Commission européenne doit pouvoir décider de ce que peut être le déficit budgétaire d’un pays, c’est-à-dire établir un taux de déficit à ne pas dépasser. Chaque pays pourra choisir démocratiquement ses orientations budgétaires, selon qu’il préfère investir dans l’éducation, la défense ou l’agriculture. De même chaque État est libre de décider s’il préfère avoir un fort taux d’imposition ou un faible taux. La règle commune concernera le niveau de déficit.

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