Interview de Sandrine Bélier, tête de liste Europe Ecologie dans l’Est

, par Théo Guarniero-Muller

Interview de Sandrine Bélier, tête de liste Europe Ecologie dans l'Est

A quelques heures du terme de la campagne officielle, la tête de liste Europe Ecologie pour la circonscription de l’Est répond aux questions du Taurillon. Nucléaire, Europe politique, l’avenir du budget européen, Sandrine Bélier passe en revue les grands enjeux auxquels le prochain Parlement devra répondre.

Le Taurillon : Pourquoi briguez vous un mandat européen ?

Sandrine Bélier : Parce qu’il y a urgence à proposer, enfin, des solutions de sortie de crise aux Français et aux Européens. D’une triple crise : à la fois économique et financière, sociale, et environnementale. Cette crise est globale et nécessite des réponses globales. Et pour répondre à des défis qui dépassent les frontières, il faut une action à l’échelle du continent. Vous savez, je viens de la société civile. Je n’étais pas destinée à entrer en politique.

Mais quand vous êtes négociatrice du Grenelle, que vous voyez des écologistes, des syndicalistes ouvriers, représentants du Medef et de la FNSEA – autant dire des personnes peu habituées à parler d’une seule et même voix -, se metre, tous ensemble, d’accord sur des solutions d’avenir, génératrices d’emplois et respectueuses de l’environnement, il y a de quoi être particulièrement effaré de constater que le politique ne prend pas le relais derrière. De voir que l’ensemble des partis traditionnels préfèrent à cette boîte à outils, livrée clé en main, remettre au goût du jour des plans de relance à l’ancienne, comme si on était en 1960. Parce qu’à la crise financière survenue fin 2008, ce n’est pas en se projetant vers l’avenir qu’on a tenté de répondre : c’est en relançant la constructions d’autoroutes, c’est en allouant des subventions à l’industrie automobile sans aucune éco-conditionnalité susceptible de pérenniser le secteur dans les années à venir.

Quand vous êtes face à cela, deux solutions s’offrent à vous : baisser la tête, jeter l’éponge en clamant haut et fort que les partis traditionnels n’ont rien compris mais que vous ne pouvez rien y faire, qu’ainsi va le monde. Ou alors, deuxième posture, et c’est là la mienne et celle du Rassemblement Europe Ecologie, vous dites « vous ne voulez pas comprendre, vous voulez continuer à nous mener droit dans le mur, reproduire les mêmes erreurs que celles qui nous ont mené là où nous en sommes ? Ok. Et bien nous, nous allons nous battre au Parlement pour que cela n’arrive pas. Cette boîte à outils dont vous ne voulez pas, nous allons la porter au Parlement européen, nous, écologistes, issus de France Nature Environnement, Greenpeace, de la Fondation Nicolas Hulot, des personnalités comme José Bové ou Eva Joly, et Verts Européens réunis.

Tout cela est bien concret. Si Europe Ecologie s’est affirmé en moins de six mois comme la quatrième force politique du pays, si le parti Ecolo dépasse les 20% d’intentions de vote en Belgique, c’est peut-être aussi parce que les solutions que nous portons sont les seules qui soient aujourd’hui pertinentes et porteuses d’espoir. Et cela, de plus en plus nombreux sont les Européens qui le comprennent.

Le Taurillon : Quelles sont, selon vous, les priorités de l’Union Européenne pour les cinq années à venir ?

Sandrine Bélier : La première est la sortie de crise, la bataille de l’emploi. Mais pour cela, une approche globale est nécessaire. J’entends par là qu’il y a urgence à traiter simultanément économie, social et environnement. Les trois sont indissociables. Lutter contre la crise environnementale passe par notre rapport à l’emploi. Redresser l’économique en préservant l’environnement agit sur le social. Ce triptyque est essentiel. Prenez l’exemple du secteur automobile.

Ce secteur doit être aidé mais pas comme il l’a été : les aides financières doivent être accompagnées d’une obligation d’affecter 10% de cette somme à la R&D « verte », 10% à la formation des ouvriers afin de les aider à se former à l’évolution du secteur (vers de nouveaux emplois par exemple), 10%, enfin, affecter un salaire de transition à une personne venant de perdre son emploi, pour lui permettre de faire face durant cette période et entreprendre une formation. De même les règles sociales et environnementales imposées aux entreprises doivent être identiques d’un pays membre à l’autre.

Tout cela, c’est ce que nous portons au sein du Bruxelles de l’Emploi dont la vocation est de permettre, via une transformation de l’économie par l’écologie, de créer 10 millions d’emplois en cinq ans. Cela, une fois encore, est possible pour peu qu’on en ait la volonté et le courage politique. Vous ne pouvez pas faire l’Europe en jouant systématiquement sur ses divisions sociales, fiscales, économiques et environnementales. Vous ne pouvez pas unir plus de 455 millions d’individus autour d’un même projet en les opposant les uns aux autres. L’Europe ne doit avoir qu’une vitesse : celle de l’intérêt collectif. Et cela passe par le projet de société porté par Europe Ecologie.

Seconde priorité : la Réforme de la PAC : celle-ci doit être entièrement renégociée. Cela signifie par exemple le retour aux quotas laitiers, abandonnés par Michel Barnier au nom de la France – un point qu’il serait peut-être bon de rappeler car, oui, Paris a non seulement accepté de relever les quota mais a également donné son accord pour leur suppression en 2015 ! La politique agricole que nous voulons mettre en place devra être réorientée vers la régulation des échanges agricoles, le développement de produits alimentaires de qualité et accessibles à toutes et tous pour lutter contre la malbouffe, vers le soutien et l’extension de l’agriculture biologique, paysanne et familiale, vers la préservation des ressources naturelles et la mise en place d’échanges équilibrés et équitables avec nos partenaires commerciaux.Cela passe par un pacte écologique intégrant une réaffectation des aides agricoles vers les producteur et non plus les intermédiaires, par un soutien à l’agriculture de proximité et de saison.

L’Union doit également devenir une zone sans OGM. Elle doit se fixer comme objectif de produire 30% d’agriculture biologique en 2020 et de tendre vers 100% d’agriculture durable. De récentes études suisses et américaines le démontrent : le bio peut nourrir la planète, pour peu que, là encore, la volonté politique suive. Pour peu que l’on décide de faire passer la santé devant le marché !

Troisième priorité, peut-être plus personnelle, mais pour laquelle les Verts européens se sont toujours battus au Parlement européen : la défense de nos droits fondamentaux. La défense des libertés publiques et numériques. La bataille menée contre Hadopi à Strasbourg, autour de l’amendement 138, en est un exemple. Là où Catherine Trautmann cédait finalement face à l’Etat français et aux lobbies, les Verts, conduits par Daniel Cohn-Bendit n’ont rien lâché. Mieux, ils ont su créer une très large majorité anti risposte graduée. Cette exemple est pour moi très symbolique du poids que nous pouvons avoir au sein du Parlement.

Cette bataille nous l’avons mené ensemble, les Verts européens, Europe Ecologie et des Internautes comme ceux regroupés autour de la Quadrature du Net ou du Pacte pour les libertés numériques. Mais ce n’est qu’une victoire. Bien d’autres combats devront être menés pour protéger les citoyens européens de certaines dérives étatiques. Je pense ici à la politique sécuritaire menée par Wolfgang Schäuble en Allemagne, à celle menée en France par Nicolas Sarkozy et le projet de loi Loppsi2 qui a pour point commun avec celui défendu par le ministre allemand de l’INtérieur de chercher à mettre Internet sous complète surveillance policière. Ceci est inadmissible et le rôle du Parlement est de combattre cela. Et croyez bien que je m’y emploierai.

Le Taurillon : Une des quatre priorités de la présidence française de l’UE a été le changement climatique. Y a-t-il eu des avancées et quelles sont vos propositions dans ce domaine ?

Sandrine Bélier : Oui, comme dit déjà, on a privilégié le béton, l’autoroute et la voiture sur le développement soutenable... Les quelques mesures qui ont été prises restent symboliques. Un coup de peinture verte ne suffit pas à transformer une société. Et c’est bien de transformation dont nous avons besoin. Nos propositions vont en ce sens. Une première est de remplacer le traité Euratom par un texte instaurant une « Communauté des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique » chargée de préparer un futur énergétique 100% sobre, efficace et renouvelable, notamment en améliorant l’organisation institutionnelle et le suivi des politiques. Le financement de la recherche sur le nucléaire sera réorienté vers la sobriété, l’efficacité et les énergies renouvelables.

Seconde proposition, instaurer une Contribution climat-énergie européenne, à même de combler l’écart entre les mots –le "plus grand défi planétaire du siècle"– et les actes. Il s’agit d’établir une taxe fiscale européenne sur la consommation d’énergie, qui donne un prix à la contrainte énergétique et climatique, et de l’appliquer à la consommation de combustibles fossiles –pétrole, gaz naturel, charbon– et d’électricité d’origine non renouvelable. Elle sera destinée à tous les acteurs économiques – entreprises, administrations, collectivités territoriales et ménages– afin d’encourager les changements de comportement et de favoriser les investissements sobres en énergie.

Troisième proposition, développer, avec les acteurs de l’économie sociale, un système européen de « chèques Eco-Energie » sur le modèle des chèques déjeuners ou des chèques énergies renouvelables développés dans certaines régions françaises. Ces chèques pourront être utilisés pour faciliter et démocratiser des démarches environnementales liées à la vie quotidienne (achat de panneaux solaires, chaudières bois… ; la réalisation de diagnostics énergétiques ; abonnements aux transports en commun ou aux systèmes d’autopartage, etc..).

Enfin, la révision de la stratégie européenne de lutte contre la perte de la biodiversité sera bien entendu, au regard de mes engagements passés et des enjeux qu’elle porte, un chantier dans lequel je m’investirai plus particulièrement.

Le Taurillon : L’Europe doit-elle continuer de développer l’énergie nucléaire ?

Sandrine Bélier : Non, nous devons en sortir. Là aussi il y a urgence. Sans même parler du devenir des centrales de type Fessenheim, en Alsace, nous ne pouvons pas hypothéquer notre avenir en continuant à entasser indéfiniment sur notre sol des déchets nucléaires. Un responsable associatif anti-nucléaire a eu une phrase très simple et très juste à la fois, lors d’une de nos récentes discussions en Lorraine : « ce n’est pas parce que vous cacherez les déchets nucléaires sous terre qu’il seront moins néfastes et dangereux pour notre santé et l’environnement ».

Et puis, là aussi on en revient à l’approche combinée écologie-économie-social. Pour seul exemple, la sortie du nucléaire en Allemagne a permis de créer près de 300.000 emplois en 10 ans, rien qu’avec le développement de l’éolien et de la biomasse... Avouez que cela fait réfléchir, qui plus est en période de crise... Et cela passera aussi par une réflexion sur la production et la sécurité énergétique dans l’ensemble de l’UE, et en particulier dans les pays d’Europe centrale qui envisagent à présent d’investir dans le nucléaire pour espérer réduire leur dépendance (jusqu’à 100%) au gaz russe.

Le Taurillon : Pour vous, le Président de la Commission européenne doit-il être issu de la majorité politique du Parlement européen ?

Sandrine Bélier : Aujourd’hui, à défaut d’être élu au suffrage universel direct, oui. Mais nous trouvons scandaleux que la droite anticipe déjà le résultat en proposant la reconduction de J.M. Barroso. Mais cette fois le Parlement européen aura son mot à dire. Lorsque le traité de Lisbonne sera ratifié par l’Irlande (au mois d’octobre, nous l’espérons !), le Président Barroso et sa Commission devront repasser devant le Parlement et nous verrons alors si la majorité absolue nécessaire à son maintien existera au sein du Parlement nouvellement élu. Pour nous, une chose est certaine, nous voterons contre la Commission Barroso. Nous pourrons alors compter ceux qui refusent de reconduire pour 5 ans un homme qui résume à lui tout seul l’obstination ultralibérale, l’incurie de la commission et sa soumission aux Etats membres.

Notre message est simple et clair : les élections européennes doivent devenir transnationales. Les citoyens doivent voter pour des listes pleinement européennes, identiques d’un Etat à l’autre, conduites chacune par une tête de liste. Ce vote doit également avoir lieu le même jour. Et du parti remportant les élections doit être issu le président de la Commission ou, à terme, imaginons, de l’Union européenne si nous parvenons enfin à créer cette Europe politique qui nous fait tant défaut aujourd’hui. Cette personne, pourrait très bien être la tête de liste du parti majoritaire. Je pense que la démocratie aurait beaucoup à y gagner.

Le Taurillon : Les Jeunes Européens reconnaissent les succès de l’intégration et défendent l’idée d’une Europe fédérale. Pensez-vous qu’à terme la fédération soit la meilleure réponse aux enjeux qui nous attendent ?

Sandrine Bélier : Indirectement, je viens de répondre à votre question. Oui : pour être politique, l’Europe doit devenir fédérale - ou elle ne sera pas ! Tant que nous n’aurons pas franchi cette étape, l’Europe peinera à avancer sur nombre de points et sera celle des Etats avant d’être celles des citoyens. Mais si l’Europe à laquelle j’aspire est indéniablement celle des citoyens, son fédéralisme reste à inventer et pour cela un chantier prioritaire s’ouvre à nous, celui de la rédaction d’une véritable constitution !

Illustration : Portrait de Sandrine Bélier

Source : Europe-Ecologie

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