Le manuel franco-allemand d’histoire à l’heure du bilan

, par Philippine Lefèvre

Le manuel franco-allemand d'histoire à l'heure du bilan

Le manuel commun franco-allemand d’histoire est un projet de collection scolaire en trois tomes, publiés à partir de 2006. Le troisième Histoire/Geschichte, publié le premier et destiné à la classe de Terminale, traite de l’histoire de l’Europe et du monde de 1945 à nos jours.

Il a ainsi précédé le second, adressé à la classe de Première et consacré à l’histoire de l’Europe et du monde de 1814 à 1945, paru en 2008. Le premier tome, traitant de la période de l’Antiquité à 1815 et destiné aux élèves de Seconde, a été présenté en décembre dernier à Berlin.

Un projet binational hors du commun

À l’occasion de la commémoration du quarantième anniversaire du Traité de l’Elysée, l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse a réuni à Berlin le 21 janvier 2003 le Parlement des jeunes. 500 lycéens français et allemand ont alors souhaité la création d’un « manuel d’histoire ayant les mêmes contenus pour les deux pays afin de réduire les préjugés causés par la méconnaissance mutuelle ».

Dès le lendemain, la déclaration commune prononcée à Paris par Jacques Chirac, Président de la République Française, et Gerhard Schröder, Chancelier de la République fédérale d’Allemagne, prévoyait le lancement du projet, ultime symbole de la réconciliation. Le ministère de l’Education nationale pour le côté français et le plénipotentiaire chargé des relations culturelles pour le côté allemand se sont vu ensuite confier la réalisation des ouvrages.

Le manuel a été conçu et écrit par une équipe scientifique, pédagogique et éditoriale entièrement franco-allemande, qui a voulu contribuer à créer les bases d’une conscience historique commune chez les jeunes Allemands et Français dans le processus d’unification européenne. Il avait pour but de traiter prioritairement de l’histoire européenne, tout en intégrant également les thèmes les plus importants de l’histoire mondiale du point de vue de l’Allemagne et de la France. Le manuel voulait donc croiser les regards pour enrichir la connaissance de l’histoire mondiale, mais également pour apprendre à mieux connaître l’Autre, le Français ou l’Allemand, qui a découvert les mêmes évènements avec un point de vue différent.

Richesses et difficultés d’un manuel extraordinaire : regards croisés et programmes

La diffusion d’un manuel binational, qui soit compatible avec la plus grande part des programmes français et allemands, a été au cœur des débats sur la forme de l’ouvrage. Un manuel d’appoint, bilingue ou présentant les documents dans leur langue originale, aurait été réservé aux élèves des sections européennes ou Abibac.

Le symbole devait être plus fort, et Français et Allemands ont donc décidé de créer un manuel usuel, à destination de l’ensemble des lycéens des deux pays. L’apport franco-allemand se comprend alors plus particulièrement dans les parties comparatives, dans les « regards croisés ». Histoire/Geschichte suit en effet une maquette renvoyant plutôt aux codes français, notamment par la présentation des documents, les problématiques pédagogiques centrées sur l’approche documentaire, et un récit construit expliquant les évènements à la manière d’un cours. Le projet pédagogique, cette volonté de croiser les documents, d’élargir la documentation et de faire dialoguer des points de vue différents constitue la véritable plus-value. Le premier travail des équipes franco-allemandes a porté sur l’harmonisation des programmes – une difficulté renforcée par le fait qu’il s’agit, non pas de deux programmes nationaux, mais de dix-sept programmes puisque les manuels et l’enseignement scolaires sont de la compétence des Länder en Allemagne.

Le cahier des charges assume de ne pas être en adéquation totale avec les programmes français et allemands, mettant en valeur la plus-value de l’approche bilatérale dans l’enseignement de l’histoire. La place accordée aux régimes communistes d’après-guerre ou à la guerre d’Algérie pourrait être un bon exemple de l’enrichissement des échanges des historiens. Histoire/Geschichte ne correspond alors pas tout à fait aux programmes français ou de chaque Land et les professeurs doivent ainsi composer avec un ouvrage qui, s’il apporte des choses nouvelles et aborde des sujets qui peuvent bénéficier d’un apport scientifique et didactique croisé, ne permet pas de couvrir l’ensemble des thèmes du programme.

Ce manuel extraordinaire, permettant aux professeurs d’aller plus loin dans leur enseignement par la grande richesse de l’approche, oblige également à refonder le plan du cours. Cela pourrait expliquer qu’il soit employé majoritairement par les classes pour lesquelles il semble le plus évident : binationales, Abibac et européennes – presque un manuel de civilisation finalement.

Les réformes des programmes scolaires en France ont transformé le projet. La période désormais abordée en Seconde envisage un spectre thématique allant de l’Antiquité grecque aux révolutions du XVIIIème siècle. L’intersection franco-allemande est donc, de fait, plus difficile à identifier. La réforme du lycée touche également les classes de Première et de Terminale et les bornes chronologiques des périodes qui y sont abordées sont aujourd’hui tout à fait différentes. Le cahier des charges n’est ainsi plus tout à fait compatible avec les programmes français – un obstacle qui a soulevé des difficultés, notamment quant à la publication du tome de Seconde, et qui modifie encore l’utilisation possible de chacun des tomes du manuel.

Des ambitions européennes

La préface du manuel reprend la devise de l’Union européenne « Unie dans la diversité », espérant que l’ouvrage Histoire/Geschichte s’en fasse l’illustration. L’échelle binationale est alors une étape condamnée à être dépassée par une uniformisation des programmes et des systèmes éducatifs en Europe, une étape vers un manuel d’enseignement de l’histoire à l’échelle de l’Europe et des regards nationaux croisés sur une histoire à l’échelle d’un continent.

L’ambition du manuel franco-allemand était d’être exemplaire, et d’autres coopérations suivront. De nouveaux projets ont d’ailleurs déjà vu le jour : en géographie pour la France et l’Allemagne, mais aussi en histoire pour l’Allemagne et la Pologne, la Russie et l’Ukraine ou encore la Corée du sud et le Japon. Même moins symboliques que l’histoire, toutes les matières enseignées à l’école attendent un projet d’une telle ambition, afin de faciliter les échanges entre les élèves européens.

Espérons que tous comprendront que le manuel franco-allemand d’histoire peut jouer ce rôle d’impulsion des politiques européennes en matière d’éducation.

Photo : François Mitterrand et Helmut Kohl se tiennent la main devant les tombes des soldats, le 22 septembre 1984, à l’occasion du 70ème anniversaire et du début de la guerre 14/18

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