Les politiques de voisinage : la « doctrine ULB » dans la politique étrangère polonaise

, par James Kilcourse, traduit par Iris Passy

Les politiques de voisinage : la « doctrine ULB » dans la politique étrangère polonaise
Donal Tusk, Premier ministre polonais Services audiovisuels de la Commission européenne

Le Partenariat Oriental, et particulièrement l’approfondissement des relations de l’UE avec l’Ukraine, a été l’une des priorités majeures de la présidence polonaise du Conseil de l’Union européenne. Alors que cette présidence touche à sa fin, il est opportun de se demander pourquoi la Pologne reste si étroitement liée à ses voisins de l’Est, et particulièrement l’Ukraine.

En tant que membre de l’OTAN et de l’UE, il aurait été simple pour la Pologne de tourner le dos à ses anciens voisins orientaux. Cet article se propose d’expliquer les raisons qu’elle a de ne pas le faire : en effet, la politique étrangère polonaise est encore largement structurée par ce qu’on appelle la « doctrine ULB » (pour Ukraine-Lituanie-Biélorussie), doctrine qui vit le jour à Paris dans les années 1970.

L’histoire de la Pologne et de ses frontières

Durant la période de l’entre-deux guerres, une grande partie de l’Ouest de l’Ukraine, de la Biélorussie et de la Lituanie faisaient partie de la Pologne. Dans les faits, Lwow (L’viv) et Wilno (Vilnius) étaient considérées en 1939 comme deux des quatre plus grandes villes polonaises. Le pacte Molotov-Ribbentrop et sa conséquence, l’invasion de la Pologne, en fit un pays divisé et sous occupation étrangère. Après la guerre, Staline restaura la frontière entre la Pologne et l’Union soviétique telle qu’elle avait été créée par le pacte germano-soviétique. De ce fait, la Pologne perdit ses territoires à l’Est, notamment Lwow et Vilnius, que Staline donna aux nouvelles républiques soviétiques d’Ukraine et de Lituanie.

Cette nouvelle frontière à l’Est était impossible à accepter pour le gouvernement polonais en exil à Londres, comme pour des millions de polonais ordinaires dans la nouvelle république populaire de Pologne. Cependant, tant que l’Union soviétique restait une grande puissance, la Pologne ne pouvait rien faire pour revenir sur la perte de ces territoires.

Kultura, la revue des Polonais en exil

Entre 1947 et 1989, une revue politique et culturelle appelée Kultura fut publiée à Paris par les émigrés polonais. Le fondateur et rédacteur en chef de Kultura était Jerzy Giedroyc. Grâce à ses choix éditoriaux et aux écrits de son collaborateur, Juliusz Mieroszewski, Kultura devint la publication de la diaspora polonaise la plus influente en Pologne (où elle était pourtant interdite par les autorités communistes). La ligne poursuivie par Kultura en ce qui concernait la politique orientale fut d’abord hautement controversée, que ce soit en Pologne ou parmi la communauté polonaise émigrée. Toutefois, elle allait devenir la doctrine qui définirait la politique étrangère polonaise après 1989. Selon la stratégie orientale de Kultura, la Pologne devait accepter les frontières héritées de la guerre sans se lancer dans des réclamations irrédentistes à l’égard de l’Ukraine, de la Lituanie et de la Biélorussie.

L’argument mis en avant était purement géopolitique : les « ULB » jouaient un rôle majeur pour garantir la sécurité d’un Etat souverain de Pologne, dans la mesure où leur indépendance pouvait protéger la Pologne de l’impérialisme russe. En outre, plus la position de la Pologne serait forte à l’Est, plus elle apparaîtrait comme un pays d’une importance stratégique aux yeux de l’Ouest.

Bien que ces propositions aient initialement eu à faire face à une marée de contestations de la part de polonais qui ne pouvaient concevoir une Pologne sans Lwow ni Vilnius, un consensus en faveur de cette « stratégie ULB » vit le jour en 1989. Les grèves de Solidarnosc en 1980 et 1981 furent un moment-clef, révélant à l’opposition polonaise qu’elle avait beaucoup en commun avec les autres mouvements d’opposition à l’Est, et qu’elle avait besoin d’alliés dans les pays voisins.

En Pologne, un soutien transpartisan à la « doctrine ULB » émergea en 1989. La Pologne devint l’un des premiers pays du monde à reconnaître l’indépendance de l’Ukraine, de la Lituanie et de la Biélorussie en 1991. Cette rapide acceptation des frontières issues de la guerre par la Pologne indépendante est le signe, selon Timothy [1], de la volonté d’éviter dans la région l’éclatement d’une guerre comme en Yougoslavie.

La Pologne dans l’Union européenne

Dans une interview pour un hebdomadaire local en 1998, Giedroyc disait : « il ne fait pour moi aucun doute que nous [la Pologne] devrions rejoindre l’OTAN et l’Union européenne, mais en ayant pour but de propager l’élargissement de ces institutions plus loin vers l’Est ». [2] Depuis qu’elle a rejoint l’Union, la Pologne a sans relâche cherché à mettre en œuvre exactement ce qu’il proposait.

Significativement, ce fut la Pologne qui initia le Partenariat Oriental (PO) en 2008, dans un effort pour intégrer ses voisins de l’Est à l’Union. Les quatre plates-formes thématiques du PO sont :

1) La démocratie, la bonne gouvernance et la stabilité 2) L’intégration économique 3) L’énergie et la sécurité 4) Les contacts entre les peuples.

Dans l’intitulé des deux premières plates-formes, on voit un effort pour étendre à l’Est les valeurs et les bonnes pratiques européennes. La troisième reflète l’enjeu géopolitique que constitue l’approvisionnement énergétique, tandis que la dernière se comprend dans le contexte d’une « mission civilisatrice » de la Pologne vis-à-vis de l’Est. Ces « contacts entre les peuples » visent à renforcer le dialogue interculturel, la mobilité et la coopération sociale entre les peuples d’Europe orientale et les peuples appartenant à l’Union européenne. L’un des premiers événements marquant la présidence polonaise fut la conférence de juillet 2011 sur « la dimension orientale de la mobilité », qui se rattache à la thématique de la quatrième plateforme. Son but était de renforcer à la fois la quantité et la qualité de la mobilité entre l’UE et les PECO [3].

La Pologne a aussi été la force motrice du sommet du Partenariat Oriental [4] à Varsovie en septembre 2011 , qui a recentré l’attention sur ce vecteur oriental de la politique européenne de voisinage, dans une année où l’UE en a été distraite par les turbulences connue par son flanc sud et la crise de l’Eurozone. Lors de ce sommet, Donald Tusk, le Premier ministre polonais, a réitéré son soutien à une coopération plus étroite entre l’UE et ses voisins de l’Est, et annoncé une augmentation du fond de l’UE dévolu au programme PECO de 150 millions d’euros sur la période 2011-2013. Le financement total de ce programme a désormais atteint presque 2 milliards. En 2011, la Pologne a aussi fortement poussé sa proposition pour une Fondation Européenne pour la Démocratie. Cet instrument économique a pour but de soutenir les mouvements démocratiques et les ONG dans les pays externes à l’Union [5] Les discussions pour savoir comment cette Fondation sera organisée et financée sont en cours au sein des pays membres.

Au centre de l’attention : l’Ukraine

L’Ukraine, mis à part le fait qu’elle est le plus grand et le plus stratégique des pays de l’ULB, est aussi l’Etat au futur le plus incertain. C’est pourquoi l’Ukraine se trouve au centre de l’attention polonaise. Par exemple, la première décision prise par Radoslaw Sikorski, l’actuel ministre des Affaires Etrangères de Pologne, à son entrée en fonction, fut de réduire le prix des visas pour les Ukrainiens et la seconde fut de supprimer le prix du visa pour quinze catégories de citoyens ukrainiens. Dans une interview de 2010, après avoir explicitement fait référence à Jerzy Giedroyc, Sikorski affirma que « la Pologne sera un pays en sécurité lors qu’elle aura de l’Ouest de chaque côté » [6]

L’une des initiatives vedettes de cette année de présidence polonaise fut de promouvoir la signature d’un Accord d’Association et d’un Accord de Libre Echange Approfondi et Raisonné avec l’Ukraine. Il semblait peu vraisemblable que cet objectif puisse être atteint, mais le gouvernement polonais continuait de faire tout ce qu’il peut pour assurer la signature de ces deux accords le 19 décembre lors du sommet UE-Ukraine [7]. Gage d’amitié, la Pologne et l’Ukraine vont accueillir le championnat de football de l’Euro 2012 l’an prochain. Ce sera une opportunité pour ces deux pays de faire la preuve qu’ils peuvent gérer les mouvements massifs de population qu’il y aura à la frontière entre l’Union et l’Ukraine [8]. Cela est important, étant donné que l’UE et l’Ukraine ont lancé un Plan d’Action de Libéralisation des Visas en novembre 2010 et que la Pologne reste incluse dans le régime de liberté de visas entre l’UE et l’Ukraine [9].

Conclusion

Jerzy Giedroyc a beau être mort il y a onze ans, la « doctrine ULB » proposée par Kultura dans les années 70 survit dans la politique étrangère polonaise. Aussi longtemps que ce sera le cas, les voisins de l’Est de l’Union européenne sont au moins assurés d’y trouver un allié ferme au sein de l’Union.

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Notes

[1Snyder1 pour plus d’informations à propos de l’histoire de Kultura et son influence dans la Pologne post-chute du mur, cf. Snyder, (Th.), The reconstruction of Nations : Poland, Ukraine, Lithuania, Belarus, 1569-1999, p. 217-231, Yales University, 2003

[22 Kość, Wojtek. “Prophet and Loss.Obituary : Jerzy Giedroyc (1906-2000)”, Central Europe Review, 25 September 2000. http://www.ce-review.org/00/32/kosc32.html

[66 Sikorski Radosław, O Giedroycia sporu nie ma. A conversation with A.Brzeziecki, Nowa Europa Wschodnia, 2010, nr 1, p. 69 – 77.

Vos commentaires
  • Le 3 janvier 2012 à 09:51, par Gilles En réponse à : Les politiques de voisinage : la « doctrine ULB » dans la politique étrangère polonaise

    Vilnius a ete la capitale du Grand-duche de Lituanie de 1323 a 1795. Suite a la periode troublee de l’apres Premiere Guerre mondiale, la Pologne occupera militairement la partie est de la Lituanie de 1920 a 1939, en depit des avertissements de la S.D.N.. Vilnius « territoire polonais » n’a jamais legalement existe.

    La Pologne a aujourd’hui un comportement de « grand frere » vis-a-vis de la Lituanie. Autant dire que ca deplait souverainement a celle-ci et c’est un euphemisme de dire que les relations entre les deux Etats sont mauvaises.

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