Erasmus

Michel Richonnier : « il faudrait tripler le budget Erasmus »

Entretien avec le directeur des programmes Education et Jeunesse (dont Erasmus) à la Commission européenne

, par Grégoire Guillard

Michel Richonnier : « il faudrait tripler le budget Erasmus »

Alors qu’Erasmus, le programme européen d’échanges universitaires qui fait voyager près d’1 million et demi de jeunes européens, fête ses 20 ans cette année, retour sur son évolution et ses perspectives avec l’un de ses concepteurs : Michel Richonnier, directeur des programmes Education et Formation à la Commission européenne.

Taurillon : Pourriez-vous vous présenter brièvement, vos fonctions au sein de la Commission, votre lien avec le programme Erasmus ?

Michel Richonnier : Ma direction est responsable de la mise en œuvre des programmes européens en matière d’éducation et de formation, notamment Comenius (enseignement scolaire), Erasmus (enseignement supérieur), Léonardo da Vinci (enseignement et formation professionnels), Grundtvig (éducation des adultes). Pour ce faire, nous nous appuyons d’une part sur un réseau d’Agences mis en place dans tous les pays participants aux programmes, par exemple pour gérer les centaines de milliers de bourses de mobilité ou les dizaines de milliers de partenariats européens entre écoles et, d’autre part, sur une Agence exécutive pour gérer les centaines de projets transeuropéens qui visent, par exemple à moderniser les systèmes et pratiques des établissements d’enseignement supérieur ou des organismes de formation professionnelle.

Taurillon : Nous célébrons cette année l’anniversaire du programme Erasmus : quel bilan en tirez-vous ?

Michel Richonnier : On ne peut que se réjouir de son succès auprès des jeunes : les 2 millions de bénéficiaires devraient être atteints vers 2009. Ces étudiants ont bien sûr pu s’ouvrir sur la langue et la culture du pays d’accueil mais, surtout, ils ont pu aussi établir des liens et créer un réseau avec leurs collègues étudiants Erasmus d’autres pays et ainsi s’ouvrir à bien d’autres cultures. Ce faisant, les étudiants Erasmus ont pu acquérir des compétences formelles et informelles qui améliorent leur qualification et employabilité sur le marché du travail européen.

Taurillon : Le nouveau programme Education 2007 - 2013 : quelles sont les nouveautés pour le programme Erasmus ? Quels sont les défis à relever, les obstacles à surmonter ?

Michel Richonnier : Le nouvel Erasmus ne se limite plus à la seule coopération dans l’enseignement supérieur. Il intègre désormais la coopération transnationale entre Universités et Industries qui était, à l’origine du programme, c’est à dire dès 1986, le programme COMETT devenu il y a une dizaine d’année le programme Leonardo da Vinci. Cette coopération est essentielle pour aider les universités à devenir des acteurs clés, non seulement pour la diffusion des connaissances, mais aussi et peut-être surtout comme producteurs de connaissance, matière première centrale de la Société de la connaissance du XXIème siècle.

L’autre défi, c’est d’augmenter le montant de la bourse Erasmus dans de très nombreux pays. Ainsi, la bourse mensuelle moyenne s’élève à un maigre 100 euros par mois pour des étudiants allemands, autrichiens, espagnols, français ou italiens. A l’évidence ces étudiants ont besoin de compléments financiers nationaux, régionaux et surtout familiaux. De surcroît, on arrive à une situation paradoxale d’inégalité de traitement dans l’allocation de fonds européens puisque, sur un même campus, ces étudiants vont côtoyer des collègues recevant par mois de l’Union européenne 350 euros (Grande Bretagne) voir 500 euros (CY).

Comme le disait récemment l’ancien président de la Commission européenne, Jacques Delors, il faudrait tripler le budget Erasmus. Espérons qu’il sera entendu lors de la prochaine révision des perspectives financières de l’Union européenne.

Taurillon : A titre personnel, quel est l’aspect du programme que vous estimez le plus important à développer ?

Michel Richonnier : La coopération entre Universités et Industries ! Culturellement sur le continent européen, à quelques exceptions notables comme les Grandes Ecoles en France, il y a une répulsion à mélanger « production et dissémination du savoir » avec « enrichissement et business ». Or les Universités doivent jouer un rôle central au XXIème siècle. En effet, au XXème siècle, les nations qui ont compté sont celles où ont pu émerger les grandes entreprises fordiennes (comme Ford) productrices des biens de consommation de masse (électroménager, automobile). Au XXIème siècle, l’avantage comparatif des nations se mesurera à la capacité de leurs Universités d’être à la pointe de la production de connaissances.

Taurillon : Réformes des universités (notamment en France) : faut-il selon vous maintenir deux modèles de système d’enseignement supérieur, un modèle « continental » d’un coté et un modèle « anglo saxon » de l’autre ou faut-il tendre à un modèle unique européen ?

Michel Richonnier : La réponse à ma question précédente définit l’enjeu stratégique. Le monde anglo-saxon où « savoir » et « business » font bon ménage (voir les grandes universités américaines et anglaises) part avec une belle longueur d’avance comme j’ai pu le décrire il y a plus de vingt déjà ("Les Métamorphoses de l’Europe de 1769 à 2001, Flammarion 1985). Le triangle d’or « enseignement-innovation-recherche » y prospère depuis des décennies.

Mais le besoin de changement culturel et de réforme est maintenant bien accepté à travers l’Union européenne. Au plan européen, le processus de Lisbonne qui vise à faire de l’Europe une des sociétés de la connaissance les plus avancées au monde a été cautionné par tous les chefs d’Etat et de Gouvernement dès l’an 2000. Chaque pays toutefois, selon sa position de départ et son modèle culturel (notre modèle napoléonien "Université-Grandes écoles" est assez unique), suivra son propre chemin de modernisation.

Biographie de Michel Richonnier

Il est ingénieur de formation (Ecole Centrale de Paris, 1967) et économiste (PhD de l’université de San Diego, Californie, 1972). Avant d’être nommé en 2003 au poste de directeur général « Education et Culture » au sein de la Commission européenne, il a été directeur de divers programmes de Recherche et Développement : « Technologies de la Société d’information » (1998 – 2002), « Applications télématiques » (1996 – 1998). En ce qui concerne l’éducation et la formation, il a été conseiller des Commissaires européens Peter Sutherland et Manuel Marin (1985 – 1987) pour le lancement des programmes ERASMUS et COMETT. Il a occupé par ailleurs des postes au sein de différents établissements d’enseignement supérieur, tels que l’Université d’Harvard, Collège d’Europe (Bruges) et à l’Institut d’études politiques de Paris.

Il a notamment publié “Les Métamorphoses de l’Europe, de 1769 à 2001” (Flammarion, 1985, rééd. 1992) ainsi que de nombreux articles sur les affaires européennes.

Illustration :
 logo des 20 ans d’Erasmus
 « Erasmus 20ans » sur le site de l’Education Nationale concernant Erasmus
 photographie de Michel Richonnier.

Vos commentaires
  • Le 3 août 2007 à 16:05, par ? En réponse à : Michel Richonnier : « il faudrait tripler le budget Erasmus »

    A ma connaissance, il n’existe aucun bilan du programme Erasmus qui évaluerait ce que cela a apporté à l’étudiant en terme de connaissances professionnelles, avant et après. On retombe toujours sur des opinions et des expressions passe-partout comme « s’ouvrir aux autres cultures ».

    Pourquoi seulement vouloir « tripler »son budget ? Si c’est une bonne chose, il faut le rendre accessible à tous les étudiants, c’est-à-dire centupler son budget, mais n’est-ce pas un peu inflationniste pour un programme jamais évalué ?

    Par ailleurs, pourquoi ne parle-t-on jamais, nulle part, du programme Erasmus mundus, véritable cheval de Troie de l’anglais dans la science, qui annonce au monde entier que la science et la modernité européennes sont anglophones ? (Une précision pour les lecteurs qui ne connaîtraient pas ce sous-programme : l’écrasante majorité des programmes agréés en 2007 sont exclusivement en anglais, y compris en France.)

    Et le tout nouveau bébé, « Erasmus mundus window » ? Il démarre à la rentrée 2007, mais aucun détail sur les cursus agréés n’est disponible... http://eacea.ec.europa.eu/static/en/mundus/extcoop/call/index.htm

    (PS : je me répète, certes, mais les papiers à la gloire d’Erasmus aussi sont légion, souvent sans analyse ni recul.)

  • Le 3 août 2007 à 17:20, par Fabien Cazenave En réponse à : Michel Richonnier : « il faudrait tripler le budget Erasmus »

    Cher anonyme,

    Nous vous remercions de votre commentaire.

    J’espère que vous appréciez d’autant plus le fait que sur le Taurillon vous pouvez lire des papiers qui ne se contentent pas d’encenser ce programme mais qui pointent également les éléments négatifs...

    L’anglais n’est pas le seul problème de ce programme...

    Salutations européennes.

  • Le 3 août 2007 à 18:32, par krokodilo En réponse à : Michel Richonnier : « il faudrait tripler le budget Erasmus »

    Fabien, mes excuses, vous avez probablement reconnu mon argumentaire... erreur de manip.

    Effectivement, vous êtes parfois un peu critiques, mais cet article est plutôt un entretien amené par des questions tranquilles, non ? D’où mes remarques. Je n’ai pas parlé que de l’anglais, mais de l’absence d’évaluation du programme, de sa logique incertaine et de son coût, lequel serait pharamineux s’il devait être étendu à tous les étudiants. j’ai déjà détaillé ces remarques après votre précédent article, alors j’ai résumé. Les autres sous-programmes d’Erasmus sont moins connus, mais un article ou des questions sur Erasmus mundus ou « Erasmus mundus window » (!) aurait moins donné cet air de déjà vu qu’on ressent à lire cet entretien. krokodilo

  • Le 14 août 2007 à 11:54, par Grégoire Guillard En réponse à : Michel Richonnier : « il faudrait tripler le budget Erasmus »

    Bonjour,

    Je prends bien note des critiques concernant l’entretien et reconnaît la pertinence de certaines remarques. Effectivement, je n’ai pas souhaité faire un entretien polémique mais plutot mettre en avant l’existence du programme. Il mériterait d’être complété certainement. Je pourrais tout à fait recontacter l’interlocuteur de la Commission et lui soumettre une série de questions de lecteurs et autres plus polémiques.

    Bien à vous tous,

    Grégoire Guillard

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