Non, nous n’avons pas besoin de nouveaux changements institutionnels

, par Fabien Cazenave

Non, nous n'avons pas besoin de nouveaux changements institutionnels
© European Union 2011 PE-EP/Pietro Naj-Oleari http://www.flickr.com/photos/european_parliament/5814322015/

À propos de l’approfondissement de l’Europe, la dernière tendance est à la rédaction d’un nouveau traité. Est-ce vraiment nécessaire ? La réponse est non car le traité de Lisbonne est une boîte à outil nous permettant d’avancer... dès maintenant.

Dans son discours réalisé à Leipzig le 14 novembre 2011, Angela Merkel a lancé officiellement l’idée que l’Union européenne devrait voir ses traités révisés pour avancer vers plus d’intégration politique. Ce n’est pas la première fois que nous entendons cela ces dernières semaines, notamment après les derniers sommets européens.

Cela donne l’impression que l’Europe est aujourd’hui bloquée institutionnellement. Est-ce que cela veut dire que le traité de Lisbonne est un mauvais traité ? Il s’agit surtout en l’espèce d’avancer, comme la construction européenne l’a trop fait ces dernières années, à très petits pas.

Pourquoi une fuite en avant dans les traités ?

On peut se demander quelles sont les raisons de vouloir ainsi un nouveau traité. Il y en a évidement de bonnes. C’est l’occasion entre autres d’établir de nouvelles bases pour un compromis européen avec plus intégration.

Malheureusement, il y a d’autres raisons. Dans la tête de nombreux dirigeants, il s’agit de contrôler l’avancement de l’Europe par et pour les États. En effet, la crise a entraîné le retour des États sur la scène européenne. Le couple Angela Merkel — Nicolas Sarkozy a su imposer un rythme à l’Europe. Si cela a eu pour effet bénéfique d’obtenir les accords européens les uns après les autres, nous avons aussi assisté à la disparition de la Commission comme force de proposition pour faire avancer la construction européenne.

Les États avancent cahin-caha, allant de Charybde en Scylla au gré des crises nationales et des demandes des marchés financiers. Il y a nécessité de sortir de ce cercle vicieux qui voit les États réagirent à chaque fois trop peu et souvent trop tard. Une réponse politique avec une dimension européenne est attendue. C’est pourquoi un changement dans les traités pour plus d’Europe serait un des signaux espérés.

C’est la voie des diplomates qui est envisagée. Les élites européennes vont encore se rassembler en conclave pour accoucher d’un compromis, loin des citoyens. Cela permettra surtout à tout le monde de dire « nous avons gagné » puisqu’il s’agira d’un consensus. Mais ce paravent diplomatique ne cache-t-il pas le fait qu’on ne va pas au bout des possibilités offertes par le traité de Lisbonne ?

Utiliser le maximum du traité de Lisbonne est aussi une bonne idée

On peut se demander pourquoi les fédéralistes avaient soutenu le traité de Lisbonne ? Ils avaient certes été très critiques dans le fait qu’on passe d’une convention pour le traité portant constitution pour l’Europe à une conférence intergouvernementale pour le traité de Lisbonne. Mais ils l’avaient aussi accepté car il y avait des éléments importants pour le futur de la construction européenne. Nous y voyions notamment les germes d’une transformation de la Commission en un véritable gouvernement européen, responsable devant le Parlement européen.

Même si le traité de Lisbonne a entraîné pour le moment un accroissement du poids des États dans l’équilibre institutionnel européen, tout peut changer sous réserve d’une double-action.

1/ Que les partis politiques européens se prennent réellement en main.

Le Parlement européen s’est jusqu’à présent le plus souvent couché devant les coups de boutoir des Etats nationaux. Il a bien réussi à être à l’initiative de changements importants. Cependant, José Manuel Barroso a été réélu avec une majorité plus large que celle qu’il pouvait escompter après les élections européennes de 2009, en raison de la division des socialistes européens (et de l’espoir de ceux-ci d’avoir la présidence du Parlement européen en contre-partie pendant la moitié du mandat). Autre exemple, le précédent budget européen a vu les parlementaires baisser pavillon devant la volonté des États. Ceux-ci ne voulaient pas augmenter le budget et les eurodéputés ont remisé leur discours vindicatif.

Par conséquent, il est important que les groupes parlementaires se comportent comme tels. Ils ont reçu leur légitimité directement des citoyens, à l’instar des dirigeants nationaux. Ils doivent prendre conscience qu’ils sont égaux.

Ils doivent forcer la Commission européenne à se comporter comme un gouvernement responsable devant eux. Bien sûr, il est difficile de leur demander de jouer de l’arme nucléaire institutionnelle... mais peut-on demander aux Etats de se défaire eux-mêmes de leurs prérogatives au profit d’un tiers ? C’est à Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, qu’ils ont demandé de réfléchir à des changements institutionnels... pas à la Commission.

Or si le Parlement européen décide de bloquer la machine européenne tant qu’on ne lui montre par le respect nécessaire, il peut le faire désormais. Le traité de Lisbonne a considérablement augmenté ses pouvoirs et de nombreux sujets sont soumis à son bon-vouloir. Il peut aussi forcer la Commission européenne à être le chef d’une majorité parlementaire tout en gardant sa force de création de consensus pour aboutir à des textes législatifs équilibrés.

Sinon, il y aura toujours un Barroso pour dire qu’il ne faut pas faire de vagues et que tous les pro-européens doivent être ensemble sans division. Sauf que les citoyens attendent surtout qu’on leur propose un véritable choix politique. Vont-ils rester encore longtemps à voir les décisions prises d’en haut sans aucune autre alternative ? La démocratie veut que les élections dictent ces choix (même si les peuples peuvent aussi se tromper).

2/ avoir un vrai budget européen

Les dirigeants nationaux tiennent un double-langage. Ils forment le voeux que l’Europe avance plus vite mais ils refusent de donner au niveau européen les moyens nécessaires. Comment la Commission européenne pourrait-elle lancer une politique de relance par le biais de grands travaux d’infrastructures partout en Europe avec un budget de 1% du PIB des États ?

L’autonomie politique ne pourra venir que si la Commission européenne a les moyens de lancer des actions sans quémander de l’argent de poche aux États pour financer les politiques qu’elle aura décidé de mener. Aucun changement institutionnel ne permettra de changer cette donne. Il n’y a pas besoin de changements institutionnels pour permettre à la Commission européenne de collecter des fonds propres. Il suffit que le budget présenté par la Commission soit approuvé par les États et par le Parlement.

Bien sûr, les États peuvent bloquer cette proposition mais peuvent-ils réellement le faire très longtemps ? Comment pourraient-ils politiquement refuser en cette période d’austérité de donner moins d’argent à l’Europe alors qu’une taxe sur les flux financiers rapporterait plus à l’Union européenne que le budget actuel ? La contradiction serait trop forte.

La situation actuelle n’est pas tenable. Le traité de Lisbonne donne les moyens à la Commission européenne et au Parlement européen de faire face aux États. Ce n’est pas une conférence de diplomates représentants les intérêts des États nationaux qui le fera.

Par conséquent, nous n’avons pas besoin de changements institutionnels par le biais des traités. C’est dans leur tête que la Commission européenne et le Parlement européen doivent changer avant tout.

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