Quel bilan pour la présidence belge de l’Union européenne ?

, par Anne-Laure Maclot

Quel bilan pour la présidence belge de l'Union européenne ?

Paradoxe belge : toujours paralysée, incapable de former un gouvernement depuis bientôt 200 jours, la Belgique conclut sa douzième présidence tournante de l’UE sur un bilan très positif ! Les avancées, notables dans les domaines économique et de l’environnement, sont plus faibles sur les plans social et de l’élargissement de l’UE. Mais au bout du compte, la capacité de la Belgique à générer du compromis est toujours un modèle pour les autres membres de l’Union ! Détail du bilan...

La Belgique a pendant six mois été l’hôte des sommets et rencontres des chefs d’Etat et de gouvernement des 27. Sa présidence du Conseil de l’Union européenne s’achève. Le temps de dresser le bilan est venu.

La Belgique a entamé sa présidence le 1er juillet alors qu’elle se trouvait en pleine crise politique. En effet, sa situation nationale, qui inquiète depuis plusieurs mois, connait un point d’orgue depuis juin dernier, lorsque suite à la chute du gouvernement Leterme, les élections ont mené à la victoire de la Nouvelle Alliance flamande en Flandre et du Parti socialiste en Wallonie.

Depuis, les tensions communautaires ne cessent de se manifester, tandis que le pouvoir est entre les mains d’un gouvernement fédéral en affaires courantes. Toutefois, la Belgique, réputée pour mener des présidences efficaces, a encore une fois fait mouche. L’on parle d’une cinquantaine d’acquis et d’avancées.

Un démarrage selon les règles du Traité de Lisbonne

Cette présidence s’est déroulée dans un contexte nouveau. Le Traité de Lisbonne, entré en vigueur l’année passée, modifie l’exercice de la présidence tournante. Ainsi les présidences du Conseil européen, doté d’un président permanent, en la qualité d’Herman van Rompuy, et du Conseil des Affaires étrangères, présidé par la Haute Représentante Catherine Ashton, ont échappé à la présidence semestrielle belge.

Un des grands objectifs a été la création d’un Service européen pour l’Action extérieure (SEAE), visant à créer une politique extérieure européenne plus cohérente et plus visible. L’acte de base régissant la constitution et le fonctionnement de ce service diplomatique a été approuvé rapidement, suivi d’un accord avec le Parlement au sujet des instruments internes de mise en œuvre.

Une avancée majeure pour la démocratie européenne, largement saluée par la presse, réside dans l’élaboration de l’initiative citoyenne européenne, suite à un accord passé entre la présidence belge et le Parlement européen. Elle permet, via pétition, à un million de citoyens européens et ressortissants d’un nombre significatif d’États membres, d’appeler directement la Commission à soumettre une proposition sur des questions présentant pour eux un intérêt et relevant des domaines de compétence de l’Union européenne (UE).

Le traité conférant de nouvelles prérogatives à l’UE, le budget 2011 se devait mécaniquement d’être plus important. Les négociations entre le Conseil et le Parlement ont été très rudes, toutefois « le Parlement européen a finalement approuvé la position du Conseil sans amendement », s’est félicité le porte-parole de la présidence belge, Olivier Chastel. Ce consensus a permis d’éviter une situation critique dans laquelle l’Union aurait été privée de nouveaux instruments européens, notamment en matière de supervision financière.

Des avancées multiples

« Ensemble, vers une Europe en action » a ainsi intitulé le Ministre des affaires étrangères, Steven Vanackere, le bilan de la présidence. Parmi les thèmes phares figurent naturellement la lutte contre la crise économique, les avancées dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, de l’asile et de l’immigration ainsi que les domaines du climat, de l’environnement et de l’énergie.

Les priorités portaient naturellement sur l’Europe économique. En insistant sur la possibilité d’une croissance économique durable, les Ministres de l’Economie et des Finances des 27 ont travaillé dur afin de renforcer la gouvernance économique de l’Union. Grâce à des rencontres régulières et à un esprit de cohésion sous la direction de Didier Reynders, ils sont parvenu à des résultats largement honorables. Le Conseil a introduit un « semestre européen » en réorganisant le calendrier de la coordination des politiques économiques. Dès 2011, les projets budgétaires annuels de chaque pays accompagnés des programmes de réformes structurelles seront soumis à un contrôle commun européen dès le premier semestre. Par ailleurs, le renforcement de la surveillance et de la réglementation du secteur financier sera assuré grâce à la création d’agences européennes chargées de contrôler les banques, les sociétés d’assurances ainsi que les marchés financiers. Sans compter la création d’un Comité européen du Risque systémique (CERS) censé prévenir les crises du système financier.

Enfin, la croissance économique durable passe également par des réformes structurelles. La mise en œuvre de la stratégie « Europe 2020 » a fait l’objet de discussions, tandis que deux dossiers bloqués depuis plusieurs années ont connu une issue heureuse. Il s’agit du brevet européen, qui depuis 34 ans, n’avait pu aboutir en raison de conflits linguistiques, l’Italie et l’Espagne n’admettant pas que leur langue ne compte parmi les idiomes officiels. Une coopération renforcée entre une douzaine d’Etats membres a été instaurée, ce qui, malgré le risque d’une Europe à deux vitesses, peut laisser présager d’une avancée pour les secteurs innovants et ainsi pour la compétitivité mondiale. Le deuxième dossier qui concerne les administrations publiques a abouti à une directive fixant les délais et le niveau des intérêts en cas de retard de paiement.

En ce qui concerne le volet justice et affaires intérieures, la présidence était censée poursuivre le travail accompli sous présidence suédoise en 2009. Des avancées certaines ont dès lors été réalisées. La lutte contre le terrorisme, qui avait déjà donné du grain à moudre lors de la précédente présidence belge, en raison des attentats du 11 septembre, figurait sur l’agenda. Le Conseil a approuvé les mandats autorisant la Commission à renégocier les accords avec les Etats-Unis, le Canada et l’Australie sur la délivrance des données sur les passagers. Puis, le paquet asile, devant aboutir en 2012 à un régime d’asile commun, a connu un succès concernant la directive sur les résidents de longue durée. En outre, les progrès enregistrés en matière de lutte contre la traite des êtres humains, de législation sur le divorce, du droit à l’information dans le cadre des procédures dans les affaires pénales et par rapport à la directive concernant l’exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie seront poursuivis dans le futur.

Le climat a aussi été à l’honneur, grâce à l’accord sur la révision de la directive Eurovignette pour la fiscalité des poids-lourds, ouvrant la voie au principe de pollueur-payeur sur la route. En matière d’environnement, la présidence a décroché un accord entre le Conseil et le Parlement sur la révision de la directive limitant l’utilisation de substances dangereuses dans certains appareils électriques et électroniques. De plus, un premier accord a été obtenu au sein du Conseil en vue de limiter l’utilisation de biocides. Enfin l’Europe de la santé a vu la conclusion d’un des plus importants paquets législatifs de la présidence. Deux directives pourront être votées par le Parlement européen début 2011 : la directive des soins transfrontaliers qui permettra à tous les patients de se faire soigner dans le pays de leur choix, avec notamment à la clé, un droit au remboursement comme si le soin avait été prodigué dans le pays de nationalité et la directive relative à la falsification des médicaments, par laquelle la traçabilité du médicament est enfin organisée au niveau européen depuis sa production jusqu’à sa délivrance au patient.

La présidence belge sur la scène internationale

L’Union était présente à trois conférences internationales : sur la biodiversité à Nagoya en octobre, à Cancún fin novembre-début décembre pour la conférence climat et à Punte del Este en Uruguay en novembre au sujet de la lutte contre le tabagisme. Le rôle important de coordination de l‘UE couplé à une position unanime, sous l’impulsion de la présidence, sont autant de signes positifs de son engagement au sein des discussions multilatérales.

D’autres rencontres à visée économique se sont déroulées à Bruxelles. Le sommet UE-Asie (ASEM) début octobre a réuni 50 chefs d’Etat et de gouvernement deux jours durant. Ce sommet, préparé de longue date, a été un succès logistique unanimement acclamé, grâce à la virtuosité des organisateurs, et a permis d’exposer une très belle vitrine de Bruxelles et de la Belgique aux délégations asiatiques, dont certaines comptaient plus d’une centaine de personnes. Reste que politiquement, les avancées ne furent pas aussi conséquentes que l’on avait pu l’espérer.

En marge de l’ASEM s’est tenu le sommet UE-Corée du Sud qui a mené à la signature et l’application provisoire d’un accord de libre-échange entre les deux parties. Enfin, la présidence s’est accordée avec le gouvernement malaisien sur le commencement de négociations en vue d’un accord de libre-échange et a conclu un accord avec la Chine sur la protection des indications géographiques.

Les Journées européennes du développement cette année à Bruxelles ont accueilli une trentaine de chefs d’Etat et de gouvernement, ainsi que des Ministres de l’UE et des pays partenaires pour deux jours de conférences, débats et workshops. 5000 représentants d’ONG de développement ont formé un village européen du développement où chacun était libre de venir se promener, se rencontrer et échanger, dans une ambiance et un climat chaleureux et responsable.

Quelques nuances

2010 aura été l’année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Malgré les nombreuses manifestations, débats et conférences, l’Europe sociale n’aura, sous présidence belge, pas eu autant de succès que l’Europe économique. La ministre des Affaires sociales, Laurette Onkelinx, et la ministre de l’Emploi, Joëlle Milquet, ont pourtant défendu ensemble le bilan social de la présidence belge. Il se limite à des conclusions sur la gouvernance de la stratégie européenne de l’emploi dans le contexte de la Stratégie « Europe 2020 » et du semestre européen et à la formulation d’avis : le « Joint Assessment Frameworks », un instrument d’analyse et de surveillance des orientations de l’emploi, et l’évaluation du Programme National de Réforme en matière d’emploi dans le cadre du semestre européen. Madame Milquet de conclure : « Je vous accorde que tout n’est pas simple et que ce n’est pas gagné. Mais nous avons montré à ceux qui n’ont pas de fibre sociale, et ils sont nombreux, que l’emploi, c’est dans l’intérêt majeur des politiques de croissance et des politiques de compétitivité. »

Enfin, les dossiers de l’élargissement n’ont pas beaucoup avancé non plus. Aucun nouveau chapitre d’adhésion avec la Turquie n’a été ouvert. Toutefois, les négociations d’adhésion avec l’Islande ont été officiellement ouvertes, tandis que le Monténégro a obtenu le statut de pays candidat à l’adhésion. Il s’agit d’un bilan positif pour ce pays qui achève sa douzième présidence.

Dans quelques jours, la Hongrie, troisième pays de la troïka Espagne-Belgique-Hongrie, exercera la première présidence de son histoire. Elle entend bien continuer à travailler à une sortie de crise et sur la gouvernance économique, tout en mettant en avant d’autres priorités, notamment l’élargissement aux Balkans ou les questions énergétiques. La loi récemment votée par le Parlement hongrois sur le contrôle des médias crée des controverses qui n’augurent pas d’un départ gagnant. Affaire à suivre.

illustration : logo de la présidence belge du Conseil de l’Union européenne

source : site de la présidence belge du Conseil de l’Union européenne

Vos commentaires
  • Le 30 décembre 2010 à 16:30, par Cédric En réponse à : Quel bilan pour la présidence belge de l’Union européenne ?

    La présidence belge a clairement dérogé à l’esprit du traité qui veut que chaque pays soit représenté au Conseil par ses ministres en fonction (« Le Conseil est composé d’un représentant de chaque État membre au niveau ministériel, habilité à engager le gouvernement de l’État membre qu’il représente » (TUE 16.2.)). En effet, le représentant de la Belgique qui présidait le Conseil était tantôt un ministre régional flamand, tantôt un ministre régional wallon, tantôt un ministre fédéral sortant sans mandat politique.

    Mais paradoxalement, la présidence belge a probablement été la présidence la plus efficace de ces cinq dernières années. Plus efficace bien sûr que les catastrophiques présidences tchèque ou espagnole. Plus efficace aussi que les très discrètes présidences slovènes ou suédoises. Plus efficiente dans tous les cas qu’une présidence française qui a permis quelques grands coups médiatiques pour pas moins de 190 M€.

    C’est bien la preuve, s’il en faut encore une, que l’UE fonctionnerait mieux si le Conseil n’était plus composé de ministres en fonction, mais de délégués indépendants, voire de représentants élus.

    Au 1er janvier, le Conseil sera présidé par la Hongrie du Fidesz, dictature molle dont le premier ministre a déclaré vouloir faire de son parti un parti unique, et où l’application de la loi sur le contrôle des média s’annonce très méticuleuse. Une manifestation est prévue le 4 janvier prochain devant le siège de la radio publique hongroise pour protester contre l’arrestation d’un journaliste qui a tenté, sans qu’on le laisse faire, d’observer une minute de silence à l’antenne pour dénoncer la nouvelle loi.

    Avec un Conseil présidé par un tel gouvernement démocrate (PPE !), comment l’UE pourra-t-elle encore parler de droits de l’Homme ? Le Conseil a atteint le fond, il est indispensable d’appeler à le réformer en profondeur.

  • Le 30 décembre 2010 à 18:01, par Marie Thureau En réponse à : Et la présidence hongroise ?

    L’Europe est précieuse parce qu’elle est la seule à défendre des valeurs qui ne sont respectées nulle part ailleurs : « respect de la dignité humaine, liberté, démocratie, égalité, Etat de droit, respect des droits de l’homme, y compris des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidartié et l’égalité entre les femmes et les hommes » (TUE, article 2).

    La récente loi, dont le troisième volet a été voté le 20 décembre en Hongrie alors que les institutions européennes étaient en « vacances », enlève toute forme de liberté aux médias hongrois qui auront le choix entre la censure (ou l’auto-censure) et des amendes particulièrement dissuasives si la nouvelle Autorité nationale des médias et des communications considère qu’ils diffusent des informations « erronées » ou qu’elles « manquent d’objectivité politique ». Cette autorité est, bien entendu entre les mains du Fidesz, le parti de Viktor Orban, le premier ministre ! Quant à la culture, elle est également très encadrée : licenciements, démissions, programmations modifiées, subventions supprimées...

    L’article 7 du TUE prévoit qu’« un tiers des Etats membres, du Parlement européen ou de la Commission, le Conseil à la majorité des quatre cinquièmes de ses membres après approbation du Parlement européen, peut constater qu’il existe un risque clair de violation grave par un Etat membre des valeurs visées à l’article 2 ».

    Il serait incompréhensible que l’on ne considère pas comme une « violation grave » de ces principes (et pas seulement comme un « risque ») l’atteinte à la pluralité, à la liberté, à la démocratie que constitue la loi récemment votée en Hongrie !

    La bonne formule n’est certainement pas « Circulez, y’a rien à voir ! » l’UE souffre de n’avoir pas appliqué les règles qu’elle prétendait s’imposer ! Le Traité de Lisbonne doit être respecté sans concessions... surtout lorsqu’il s’agit de démocratie !

  • Le 31 décembre 2010 à 12:30, par HR En réponse à : Quel bilan pour la présidence belge de l’Union européenne ?

    « Le Conseil a atteint le fond, il est indispensable d’appeler à le réformer en profondeur. »

    Erreur. En réalité, en 2010, le Conseil a atteint le sommet. J’ai proposé à Le Taurillon un article à ce sujet, qui tente d’expliquer comment, après sa ratification, la crise a révélé quel est « l’esprit du traité ».

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