Constitution européenne

Témoignages sur le référendum en Espagne

Interview croisée Jessica Pennet/Joan-Marc Simon

, par Sophie Gérardin

Témoignages sur le référendum en Espagne

Malgré une large victoire du oui à la constitution européenne en Espagne le 20 février dernier, 42% des Espagnols ont préféré s’abstenir. Peut-on alors parler de réelle victoire pour l’Europe ? Et quelles leçons en tirer ? Jessica Pennet, présidente des Jeunes Européens France et Joan-Marc Simon, secrétaire général des Jeunes Européens Europe, étaient en Espagne lors de la campagne. Ils nous donnent leurs sentiments.

 Quelle campagne le gouvernement espagnol a-t-il mené ?

Joan-Marc Simon - Après la victoire du Parti socialiste ouvrier espagnol en mars 2004, le gouvernement a voulu intégrer en Espagne la perception d’être un véritable pays pro-européen. M. Zapatero a considéré le référendum sur la constitution européenne comme une opportunité de montrer aux Etats membres la nouvelle tendance de son gouvernement. Ainsi, la campagne du gouvernement a été en faveur de la ratification du traité constitutionnel. Son message : “Oui à la constitution signifie oui à l’Europe”. Un site internet a été lancé afin d’encourager le “oui” (www.constitucioneuropea.es), ainsi qu’une campagne publicitaire. Des copies de la constitution ont été distribuées et des animations proposées dans les écoles et universités...

Jessica Pennet - Je rejoints totalement Joan-Marc. Le gouvernement espagnol a mené deux types de campagne :
 d’une part, une campagne très institutionnelle, basée sur un message simple « les premiers en Europe » (los primeros en Europa), présentant les principaux axes de la construction européenne et rappelant aux Espagnols combien l’Europe leur avait apporté. Cependant, cette campagne a été interdite par l’autorité de contrôle qui l’estimait trop engagée. En Espagne, le gouvernement n’a pas le droit de prendre position, ni même d’inciter à aller voter,
 d’autre part, une campagne basée essentiellement sur le divertissement. Des personnalités du sport et du cinéma espagnoles commentaient dans les médias les articles de la constitution. Des tracts ont été distribués dans les stades de foot et la constitution a été annexée aux journaux du dimanche 16 janvier, mais elle n’a pas été envoyée aux foyers espagnols.

Un grand meeting européen devait être organisé à Barcelone le 11 février en présence de MM. Chirac, Schröder et Berlusconi... Mais les deux derniers étant grippé, l’événement s’est transformé en une rencontre franco-espagnole, sous haute protection policière et sous le regard vigilant de la communauté catalane, n’entraînant pas dès lors de ferveur populaire. La campagne est donc restée très superficielle et trop peu importante pour toucher tous les Espagnols.

 Ceci explique sans doute l’abstentionnisme d’une partie des Espagnols...

JP - En effet, le consensus politique autour de la question européenne n’a pas permis au débat de se créer réellement, empêchant par là même la diffusion d’une information de fond. Dès lors, les Espagnols se sont sentis peu informés et ne se sont pas vraiment mobilisés pour un enjeu dont la réponse était connue de tous...

JMS - J’ajouterais aussi plusieurs autres raisons :
 l’Europe n’attire pas vraiment : les citoyens espagnols, comme le reste des Européens, considèrent Bruxelles comme une entité trop lointaine (le taux de participation aux dernières élections européennes était de 46% en Espagne et de 45,5% en moyenne pour l’Union européenne). Ils pensent que ce qui se passe en Europe n’est pas important pour eux et que leurs voix ne sont pas entendues,
 la constitution européenne n’est pas facile à comprendre : pour voter pour quelque chose, il faut en comprendre le sens. L’immense ignorance sur le contenu du texte a montré que le gouverement n’a pas été capable de transmettre au peuple ce sur quoi portait le référendum et ce que le traité allait leur apporter au quotidien. Une partie des Espagnols a décidé de ne pas voter et de ne pas suivre les recommandations des leaders politiques,
 le référendum en Espagne n’était que consultatif. Dans tous les cas, la ratification finale aura lieu au parlement. L’abstention pourrait ainsi être comprise comme un signe de la part de ceux qui pensent que, quelque soit le résultat, le parlement aura le dernier mot. Pourquoi voter si mon opinion ne compte pas ?
 bien que les deux principaux partis aient appelé à voter oui, pendant la campagne, aucuns d’eux n’a mis l’accent sur les questions européennes. Finalement, voter pour le référendum revenait à voter pour les idées du Parti.

Quelles actions ont mené les JEF [1] espagnols pour sensibiliser la population ?

JMS - Pendant la campagne, nous avons organisé des conférences et des débats. Nous nous sommes focalisés sur le risque de faible participation en expliquant pourquoi il était important de voter, plus que de supporter le oui à la constitution (puisque la victoire du oui était pratiquement acquise). L’action la plus intéressante a été celle organisée dans les rues de Barcelone. Elle a touché des milliers de gens. A cette occasion, 3000 yahourts grecs ont été distribués grâce aux JEF Grèce qui ont voyagé avec le “Yes Bus” d’Athènes à Barcelone.

JP - Cette dernière initiative était en effet très originale ! Le vendredi 18 février, une quarantaine de jeunes Grecs ont sillonné les rues de la capitale incitant les Barcelonais à aller voter et à se préoccuper de la question européenne, en échange d’un yaourt... à la grecque.

 Aujourd’hui, quelles leçons tirez-vous du résultat espagnol, alors que les Français sont appelés à se prononcer dans deux mois ?

JP - Selon moi, les Français ont deux leçons à retenir : d’abord, faire passer un texte européen en expliquant seulement que l’Europe est bonne pour nous, n’est plus satisfaisant. Les citoyens veulent en savoir plus, se sentir impliqués : à quoi cette constitution va-t-elle servir ? Sinon, le risque est important d’ avoir une abstention aussi élevée qu’en Espagne.

Ensuite, la défense du "oui" est plus difficile que celle du "non". En effet, l’existant est facilement critiquable et un monde meilleur est toujours possible. La campagne espagnole a montré que les arguments en faveur du "non" regorgeaient de peurs et de mensonges : instauration de la peine de mort, reconnaissance de la torture, discrimination raciale... seraient ainsi consacrées par la constitution européenne ! En France, une tendance similaire semble se dessiner. Il faut lutter contre ces rumeurs !

Du côté espagnol, le pari du gouvernement a été gagné : ils ont bien été les premiers à lancer une dynamique positive de ratification référendaire... sans pour autant qu’il s’agisse d’un vrai succès... Le gouvernement a perdu une vraie opportunité d’informer les Espagnols sur les enjeux actuels de la construction européenne. Les JEF d’Espagne se sont mobilisés, mais beaucoup de travail restent encore à faire !

JMS - Jessica a raison : il est très important que les JEF continuent à faire de leur mieux pour expliquer l’importance pour l’Europe de ratifier sa constitution Car il est regrettable et inquiétant que deux fois plus de gens ont préféré s’abstenir que de voter oui. Mais je crois que ce référendum a joué un rôle en rapprochant l’Europe des citoyens car jamais l’intégration européenne n’a été autant discutée en Espagne que lors de cette campagne. Un pas de plus a été fait vers la ratification finale, mais les institutions européennes n’ont toujours pas de stratégie de communication cohérente sur la constitution européenne.

Propos recueillis par Sophie Gérardin

Photo : les militants JEF devant la « Sagrada Familia » à Barcelone.

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Notes

[1Jeunes Européens Fédéralistes

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