Turquie : « la police peut vous arrêter pour des propos sur Facebook »

, par Pauline Delatour

Turquie : « la police peut vous arrêter pour des propos sur Facebook »
Parc Gezi à Istanbul en Turquie - Noémie Deveaux

Le Taurillon vous propose le témoignage d’un membre de l’association de la JEF-Europe sur les événements à Istanbul.

  • Lundi matin 10 juin 2013. 10h00 #Istanbul

Je sirote mon thé, en bas de chez moi, sur le bout de trottoir du bakkal du quartier. Je rumine et ressasse mes idées. L’arrestation de ces jeunes d’Izmir qui publiaient sur Facebook des informations, pour la plupart factuelles, au sujet des manifestations, m’occupe la tête. Nature du grief : « Incitation à la révolte via les réseaux sociaux ». Imparable. Et intimidant.

Certes, personne, ici, n’était dupe des limites posées à la réalisation d’une pleine liberté d’expression. Cela étant, les événements des jours passés rendent ce constat plus vif, plus palpable. Cette réalité, d’un coup, nous projette dans le « taire » ou dans le « dire ». Dans le risque ou le non-risque. Et nous sommes tous concernés : Turcs, étrangers, étudiants, journalistes, touristes, simples observateurs. Rien de simple. Encore moins lorsque la rumeur rapporte que des listes d’utilisateurs Facebook sont acheminées, de façon bienveillante, aux services de police.

Alors que dire ? La situation en Turquie est loin d’être claire et parfaitement lisible. Des affrontements violents entre manifestants et policiers ont encore lieu dans plusieurs villes et les interventions, dimanche, du Premier ministre n’appellent pas à l’apaisement. Ainsi, je me garderai de tenter une analyse fouillée des jeux d’acteurs en présence. Ce que je veux, en revanche, c’est témoigner de ce que j’ai vu ces deux derniers jours sur la place Taksim et dans le parc Gezi. Parce que je n’avais jamais vu cela de ma vie et parce que ce qui existe aujourd’hui, à ces endroits, ne pourra sans doute plus vu être demain ou dans les jours qui arrivent.

Ainsi, en l’espace de dix jours, la place Taksim et le parc Gezi sont devenus des territoires à part entière, complètement auto-gérés par le peuple, terrains de libre expression, et sans trace aucune des forces de police. Une ville dans la ville. Une sorte de village d’irréductibles Turcs.

C’est tout simplement fou. Dans le parc Gezi, des gens partout, par milliers, des tentes et des campements de fortune alignés les uns à côté des autres pour passer la nuit, des panneaux de bienvenue et des panneaux de rue reprenant les slogans utilisés par le mouvement, des stands de ravitaillement en nourriture, des expo-photos improvisées, une scène, un micro, des hauts-parleurs, une bibliothèque. On essaie de rattacher ces images à quelque chose de connu. On tente une combinaison Fête de l’Huma, fin de féria, Woodstock…. Mais non, rien de tout cela. Le parc Gezi est bien à part, unique. On le sent, à chaque pas, à cette énergie, puissante, de liberté, de vie, d’aspiration au changement, qui se transmet de témoin en témoin, de chansons en refrains. Ici, on danse et chante au rythme de la Bella Ciao version turque et du remake d’Everyday I’m shuffling. Mais, notez bien, il s’agit d’une variante. Ici, on dit : "Every day, I’m çapuling« . Une réponse toute en humour faite au Premier ministre qui dénonçait les manifestants comme des »voyous« ou des »crapules« , traduction du mot turc »çapulcu".

Quant à la place Taksim... Pareil. Un monde hallucinant, une foule qui se renouvelle et s’enrichit par l’arrivée régulière de nouveaux groupes qui apporte chacun sa touche, son originalité. Samedi soir, les supporters du club de foot de Fenerbahçe, spécialistes des fumigènes, ont indéniablement contribué au grand frisson de la soirée.

Beaucoup d’émotions, donc. Beaucoup d’incertitudes et aussi des inquiétudes. La situation à Istanbul est tout-à-fait exceptionnelle. En ce sens, elle ne pourra pas durer. La vie « normale » de la société reprendra son cours. Tôt ou tard. Demain peut-être, ou aujourd’hui ? Dans tous les cas, l’enjeu, très incertain, est de savoir COMMENT la situation normale sera rétablie. Ici, tout le monde espère qu’une sortie de crise pacifique pourra être identifiée.

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