Bernard Guetta : une « intime conviction » qui donne envie d’Europe

, par Fabien Cazenave

Bernard Guetta : une « intime conviction » qui donne envie d'Europe

Quand Bernard Guetta prend la plume, on se demande s’il sera aussi bon dans un livre que lors de ses chroniques sur France Inter. Le pari est plus que réussi puisque de son « intime conviction » nous obtenons une boussole indispensable pour aller vers l’Europe de demain.

Les premières lignes ressemblent au mantra de chaque militant pro-européen : "Je ne sais pas s’il est encore temps. Peut-être est-il déjà impossible de réconcilier les Européens et l’Europe tant ses politiques sont indigentes et ses institutions dépassées, mais je me refuse à l’admettre. Je me refuse à baisser les bras".

Dépasser l’Europe des quotas laitiers

Le début du livre nous révèle que l’auteur n’est pas né pro-européen « au berceau ». L’Europe des quotas laitiers ne l’intéressait pas. Mais avec la révolution en marche du côté de la Pologne des années 80, il a pris conscience de l’importance du projet européen. En étant si proche de ces dissidents polonais, de leurs peines et leurs espoirs, il se sentait Européen, partageant un combat commun contre le totalitarisme. La découverte d’une complexité historique commune à tout notre continent lui a fait comprendre le projet européen sous l’angle d’une démarche fédératrice.

On se passionne à lire sa mise en perspective de la chute du Communisme, du point de vue de « l’Est » avec un regard de "l’Ouest". Cela l’a obligé à se transcender : ne plus réfléchir à l’horizon de l’impact des quotas laitiers, mais bien à inventer ce que pourrait être l’avenir. Ce qui est remarquable sous la plume de Bernard Guetta, c’est son amour de la simplification de la complexité en la révélant et en la prenant dans son ensemble. Il ne cache pas les incompréhensions qu’il a eu avec ces intellectuels polonais qu’il a tant aimé. Il ne cache pas la part d’ombre et de lumière de ses plus proches, notamment sa mère. Elle lui a transmis par son histoire de juive tentant d’échapper à la folie de la Seconde Guerre Mondiale l’enseignement que la nationalité ne définissait pas le comportement. Le manichéisme ne sert à rien quand on parle des individus durant la guerre. Il ne sert donc à rien non plus de vouloir l’appliquer aux individus nés derrière une frontière dans une Europe en Paix.

Ne pas en rester aux institutions figées de l’Europe d’aujourd’hui

Ce livre n’en reste pas aux rencontres et à l’histoire personnelle, même si elle est passionnante, de Bernard Guetta. Au contraire, le chroniqueur de « Géopolitique » sur France Inter nous livre ses analyses de la situation en Russie, en Iran ou en Turquie. Cette partie du livre, qui ne traite pas directement de l’Europe, démontre à quel point le monde autour de nous n’est pas figé. Il est dès lors impossible de considérer l’Union européenne comme quelque chose qui ne peut plus évoluer. De ce point de vue, le chapitre sur « l’Etat de l’Union » est terrible. Les institutions de l’Union européenne ne sont plus acceptables du point de vue du citoyen. Les nombreux exemples à l’appui sont implacables même si l’auteur démontre qu’il y a une logique à ce qu’elles en soit arrivées là. Or il devient question de la survie du projet, ce qui est bien plus essentiel que celle des institutions.

Bernard Guetta voit dans le contrat passé entre chrétiens et sociaux démocrates la raison de l’asymétrie dans laquelle l’Europe se retrouve aujourd’hui. Selon lui, les institutions européennes sont le fruit de l’équilibre trouvé entre une vision d’Europe des Etats (via les chrétiens démocrates) et une autre des citoyens (via les sociaux démocrates). On aurait aimé que l’auteur aille plus loin à ce moment-là sur les besoins de la gauche européenne de se ré-inventer, d’européaniser une politique faisant la part belle au « welfare state » (l’Etat-providence), d’imaginer une politique de relance ne se limitant pas aux frontières nationales dans un marché commun.

Cependant ce fédéraliste européen ne tombe pas dans le confort de la simple analyse et des imprécations. Il propose dans la dernière partie de son livre deux principales lignes directrices pour rétablir le lien de confiance nécessaire entre citoyens et institutions européennes.

Tout d’abord, faire des élections européennes le moment où les citoyens de notre continent décident s’ils veulent une Commission de gauche ou de droite. Il réussit à démontrer que cette politisation de la vie publique européenne ne serait pas qu’un simple moment sans lendemain, en attendant que les Etats reprennent la main. Cela changerait tous les rapports de forces, notamment entre le Conseil européen et la Commission. Autre proposition : que l’Europe lance de grands projets et de grands travaux pour qu’il y ait une vraie politique de relance au niveau supranational. Il est vrai qu’il est impératif que nous sortions de nos guerres économiques entre entreprises nationales. L’auteur rappelle à dessein que dans le même temps nous devons faire face à une concurrence d’entreprises ayant une assise dans des Etats-continents...

Penser un monde européen post-Etat-Nation

Au final, nous avons là le livre d’un parfait fédéraliste : l’amour de la complexité pour faire avancer le réel, l’envie de donner à chaque individu le pouvoir de réellement choisir son avenir, la conscience de la diversité source d’avantages et non d’inconvénients, la volonté de faire avancer dans le même temps le politique et le citoyen.

On aimerait qu’il insuffle plus encore l’envie de Révolution aux parlementaires européens pour qu’ils se libèrent du carcan imposé par les dirigeants nationaux. Mais il nous donne surtout une leçon primordiale tirée de l’expérience de la lutte polonaise contre le Communisme soviétique : alors même que la tyrannie était encore là, il fallait prendre les avancées une par une pour mettre en place les conditions de l’arrivée d’un temps post-communiste. Une chose pourtant impensable à l’époque. Un peu comme l’Europe politique alors que l’imaginaire de beaucoup ne peut pas imaginer un monde post-Etat-Nation.

Vos commentaires
  • Le 12 mars 2014 à 11:40, par renaud En réponse à : Bernard Guetta : une « intime conviction » qui donne envie d’Europe

    J’ai lu le Guetta en même temps que le Klossa intitulé « Une jeunesse européenne » et je vous invite à lire les deux, Guetta étant plus dans une dynamique journalistique et d’observateur d’une époque passée malgré ses propositions, Klossa étant plus dans une dynamique d’écrivain dans la lignée du Monde d’hier de Zweig mais aussi d’une dynamique de l’acteur engagé qui refuse le déclin et trace l’avenir. Intéressant d’un point de vue stylistique car on voit bien le guetta journaliste dont a le sentiment en le lisant d’écouter une longue chronique sur Inter et de l’autre le Klossa écrivain qu’on ne connaissait pas comme tel. On voit aussi deux générations qui ont une vision différente de l’avenir parce que leur horizon de vie est simplement différent même s’ils semblent partager l’essentiel.

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