Des frontières taboues

, par Marie Genries

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Des frontières taboues
Entre la Hongrie et la Serbie, la police hongroise a élevé un mur de barbelés pour couper la route aux migrants. Aujourd’hui, la libre-circulation dans l’espace Schengen est menacée et la route des Balkans est fermée aux réfugiés, bloqués en Grèce. - Bőr Benedek (CC/Wiki).

Les frontières fixent le territoire des États pour asseoir l’exercice de leur pouvoir. Elles leur permettent de doter leurs ressortissants d’une identité propre et d’élaborer un imaginaire national. En Europe, elles restent intangibles et l’espace Schengen les a même abolies. Mais la crise migratoire a fait resurgir des craintes que beaucoup ont d’ores et déjà matérialisées.

Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin tombe. L’Europe fête l’ouverture dans une ambiance électrique. Le 23 février 2016, la Belgique rétablit le contrôle à sa frontière avec la France pour endiguer le flot de réfugiés venant de Calais. Aujourd’hui, partout en Europe, des murs se relèvent et des pays se referment. Un revirement politique brutal qui met à mal certains principes fondamentaux de l’Union européenne.

Les accords de Schengen assurent le libre-échange et la libre-circulation en Europe. Les citoyens européens profitent de l’abolition des frontières intérieures pour voyager, travailler, étudier ou partir à l’étranger. Ils jouent d’ailleurs parfois avec les différents systèmes économiques.

Des frontières omniprésentes

Cet espace de libre-circulation reste unique au monde. Pourtant, aucun autre lieu ne rêve de lui ressembler. Le géographe et diplomate Michel Foucher le confirme : « Jamais les frontières ne se sont aussi bien portées dans un monde pourtant globalisé ». La majorité des États vouent un culte à la frontière qui les protège de l’étranger.

Aux États-Unis, en Israël, en Corée ou à Chypre, des clôtures empêchent depuis longtemps les populations de se déplacer. Cette tendance s’invite au cœur de l’Europe. Face à l’afflux de centaines de milliers de réfugiés, certains États rétablissent la surveillance à leurs frontières, à l’instar de l’Autriche, de la Hongrie et même de l’Allemagne. La peur de l’envahissement physique, du terrorisme et du déséquilibre économique les poussent à agir. Les migrants, pour qui l’Europe apparaît comme un Eldorado, se retrouvent désormais coincés dans les Balkans qui se referment progressivement sur eux.

Ceux qui passent entre les mailles du filet sécuritaire restent bloqués à Calais et à Grande-Synthe. Ils se massent dans le nord de la France dans des camps insalubres dans l’espoir de traverser la Manche. La police britannique, en vertu d’un accord avec la France, s’affiche sur les quais pour déjouer toute intrusion sur les bateaux.

Le Royaume-Uni illustre bien le retour du repli sur soi. Le 23 juin prochain, les Britanniques voteront par référendum le maintien du pays ou sa sortie de l’Union européenne. Malgré les accords récemment signés à Bruxelles et les efforts du Premier ministre David Cameron, les derniers sondages restent très serrés.

Se dirige-t-on vers un éclatement de l’Union européenne ? Aucun État n’y gagnerait. La disparition de l’espace Schengen coûterait à l’Europe entre 470 et 1400 milliards d’euros, selon une récente étude de l’institut Prognos. Pour Michel Foucher, les frontières vont continuer à s’ouvrir. L’Allemagne a accueilli plus d’un million de réfugiés l’an dernier. 200 000 personnes franchissent quotidiennement les frontières françaises.

A la frontière entre la Slovénie et la Croatie, les citoyens s’indignent : ils jouent au volley-ball au-dessus de la ligne de démarcation et volent les barbelés. A l’autre extrémité des Balkans, la Turquie a réactivé les négociations pour adhérer à l’Union. En échange, l’organisation lui versera 3 milliards d’euros et Ankara se devra d’accueillir plus de réfugiés et de les retenir, alors que la Turquie en compte déjà plus de 2 millions.

L’Union européenne demeure ainsi écartelée entre l’ouverture prônée par les institutions européennes et des velléités de repli sur soi étatiques contraires au projet européen. Cette dualité patente risque de favoriser des tensions à tous les étages de l’Union. Un nouveau contexte de crise bouscule sérieusement le projet européen sans que l’on ne puisse affirmer de quel côté penchera la balance.

Cet article a été publié dans l’édition lilloise du Taurillon, le Ch’Taurillon du mois de mars.

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