La loi sur la fin de vie en France peut-elle influencer le reste de l’Europe ?

, par Robin Alves

La loi sur la fin de vie en France peut-elle influencer le reste de l'Europe ?
En France, Jean Leonetti, auteur de la loi de 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, vient de rendre un rapport parlementaire avec le socialiste Alain Claeys pour engager une nouvelle réforme sur la fin de vie, ravivant ainsi le débat sur l’euthanasie. - UMP

Mardi 10 mars dernier, l’Assemblée Nationale française a discuté la loi sur la fin de vie en proposant le « droit à la sédation profonde et continue ». Ainsi, le patient « pourra réclamer de dormir avant de mourir pour ne pas souffrir ». Mêlant émotions et valeurs, au carrefour de la morale et de l’éthique, la question de l’euthanasie mobilise la société civile. Au sein de l’Union européenne, chaque pays légifère à son souhait . Mais face à de tels enjeux, une compréhension globale du contexte européen pourra nous être bénéfique afin de mieux appréhender les perspectives futures.

La fin de vie face à sa complexité

Afin de bien mesurer l’enjeu, il est nécessaire de distinguer certaines notions. L’euthanasie peut soit être active en provoquant le décès du patient par une action d’un tiers, indirecte par l’administration d’un médicament dont la conséquence non recherchée est la mort ou soit être passive si le patient refuse l’acharnement thérapeutique. Des cas de suicides assistés sont également possible si le médecin montre au patient lucide, une méthode pour mettre fin à ses jours de manière la plus sereine.

Au Moyen Age, l’Occident chrétien se préoccupait de la façon de mourir dans une perspective du salut de l’âme. Le concept d’euthanasie fut décrit pour la première fois par Thomas More dans Utopie en 1516. Depuis, selon les traditions philosophiques et religieuses de chaque société, la notion est appréhendée de manière différente. Pour la religion catholique, l’euthanasie est en opposition directe avec le 6e commandement « Tu ne tueras point ». C’est un crime qu’aucune loi humaine ne peut prétendre légitimer. L’Eglise orthodoxe l’assimile à un suicide pour la personne qui veut la subir et à un homicide pour le médecin qui la pratique.

Aujourd’hui, les progrès de la médecine sont croissants et la question de ses limites se pose. Ceci amène les professions médicales, philosophes et hommes politiques à débattre des bonnes pratiques médicales et des droits des patients. Un mouvement de revendication en faveur de l’euthanasie s’est inscrit dans la ligne de l’individualisme contemporain occidental. Certains cherchent même à dépasser la vision d’une telle liberté au profit d’une conception utilitariste de la morale. En d’autres termes, sacrifier le bonheur d’un individu au profit du plus grand nombre, et ainsi, privilégier les vies pouvant être sauvées et considérer comme un fardeau les ressources destinées à maintenir en vie des personnes ne pouvant plus rien apporter à la société. Dans tous les cas, les Etats ont du légiférer en la matière.

La fin de vie face à des législations européennes disparates

L’hétérogénéité des lois sur la fin de vie au sein de l’Union européenne est flagrante. Certains Etats privilégient certains principes éthiques, là ou d’autres Etats tranchent en faveur de principes opposés. Surtout, l’une des lignes de fracture se situe au niveau du principe de liberté individuelle, du choix personnel et de l’autonomie de la personne. L’Union européenne est partagée entre une tradition libérale favorisant le choix individuel incarné par des pays comme les Pays-Bas en opposition à une norme davantage sociale incarnée par la France ou l’Allemagne. Elle est également scindée en fonction des pratiques religieuses avec des pays de traditions catholiques imposant de sévères législations telles que l’Irlande ou des pays à tradition plutôt protestante.

De fait, les pays du Bénélux ont été les précurseurs en la matière. Les Pays-Bas sont le premier pays du monde à avoir dépénalisé l’euthanasie et le suicide assisté en 2001. L’enquête Remmelink a comparé l’évolution de l’opinion publique dans le pays entre les années 1966 et 1991. 39% des personnes en accord avec l’euthanasie en 1966 sont passés à 57% en 1991. La Belgique a suivi le mouvement en 2002 en encadrant strictement le suicide assisté. Le 13 février 2014, le Parlement belge est allé plus loin en adoptant une loi autorisant l’euthanasie des mineurs en phase terminale qui en font la demande. Quant au Luxembourg, le pays a légalisé l’euthanasie en 2009. Ces nouvelles législations ont marqué une évolution sociale et sociétale, voire une révolution.

Néanmoins, une réticence s’affiche dans la majorité des pays membres de l’Union européenne. En France, si la loi Leonetti de 2005 réprime formellement l’euthanasie, elle permet cependant la cessation de l’acharnement thérapeutique en étendant les droits du malade « à une fin digne ». En Allemagne ou en Autriche, l’euthanasie passive par consentement du patient est légale. En Espagne, les malades ont le droit de refuser d’être soignés. Au Portugal, le conseil d’éthique accorde l’arrêt des traitements pour certains cas désespérés. En Hongrie et en République tchèque, les malades incurables peuvent refuser leur traitement. En Slovaquie, le médecin peut atténuer la douleur des malades incurables. Au Royaume-Uni, la justice autorise l’interruption des soins dans certains cas. En Italie, le droit de refuser des soins est reconnu par la Constitution. Au Danemark, un patient incurable peut décider de l’arrêt des traitements. Enfin, dans quelques pays, la répression est sévère. En Grèce, tout comme en Roumanie, l’euthanasie sous toutes ses formes est interdite, pouvant atteindre une peine de 7 ans de prisons. En Pologne, l’euthanasie est passible de 3 mois à 5 ans de prison. Et en Irlande, toute forme d’assistance à la mort ou de suicide est illégale et passible de 14 ans de prison.

La fin de vie : une question propre à chaque société

Si les pays européens sont divisés, les institutions européenne restent elles en retrait. L’Union n’impose pas d’harmonisation. Dans le cadre des Traités, l’Union européenne ne dispose pas de compétences clairement établies en matière de régulation dans ce domaine. Il est difficile de concevoir des gouvernements nationaux déléguant des compétences sur l’euthanasie. En effet, l’Union européenne s’est construite prioritairement sur un axe économique, délaissant le volet social ou sociétal. Aujourd’hui, si un amorçage de l’Europe sociale est en marche, les institutions ont bien conscience que l’Union n’est pas l’échelon normatif susceptible de favoriser des consensus sur une telle question. Face à de tels clivages, le respect du principe de subsidiarité.

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a ainsi voulu rester en retrait face à une telle question, privilégiant la règle de droit à interpréter. Stéphanie Hennette-Vauchez, professeur de droit public à l’université Paris X Nanterre évoque que « le positionnement volontiers revendiqué à Luxembourg est celui d’un raisonnement purement juridique, se démarquant des sables mouvants de l’éthique ou de l’ontologie. » Le Groupe européen d’éthique évoque quant à lui que « Le pluralisme apparaît comme une particularité de l’Union européenne. Il témoigne de la richesse des traditions de ses Etats membres et appelle chacun au respect et à la tolérance mutuels ».

De même, la Cour européenne des Droits de l’Homme, qui dépend du Conseil de l’Europe, se montre très réticente. On peut notamment le constater dans l’affaire Dianne Pretty contre le Royaume-Uni du 29 avril 2002, dans laquelle la Cour a refusé de reconnaître un quelconque « droit à la mort » par le biais de l’article 2 de la Convention, consacrant le droit à la vie. Finalement, seul le Parlement européen a amorcé une initiative en 1989, où la Commission de l’environnement et de la santé publique avait adopté une motion demandant de développer les soins palliatifs et l’accompagnement des mourants dans les pays de la Communauté européenne. Mais le texte définitif n’a jamais pu entrer en vigueur en raison d’une vague de protestation concernant l’article 8 légitimant l’euthanasie, dépassant le cadre de mission confié.

Aujourd’hui, l’évolution de l’Union européenne vers une mobilité de plus en plus croissante pose de nouvelles problématiques si elle ne s’accompagne pas d’un rapprochement des législations nationales. Dans un contexte où les patients peuvent se faire soigner hors de leurs frontières, pouvons-nous encore accepter de telles disparités entre les législations nationales ? De très nombreux Européens se rendent en Suisse qui a autorisé le suicide assisté afin de pratiquer ce que l’on appelle le tourisme de la mort. Les Pays-Bas ou la Belgique vont dans le même sens. Ainsi, au-delà de ces délicates questions et des droits en découlant, c’est la maîtrise de son propre corps qui est en jeu. Tôt ou tard, l’Union européenne devra proposer un consensus.

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