Fédéralisme

La saga des fédéralistes européens pendant et après la dernière guerre mondiale (IVb)

Episode 4 : Du Congrès de La Haye au Conseil de l’Europe (1948-1949)

, par Jean-Pierre Gouzy

La saga des fédéralistes européens pendant et après la dernière guerre mondiale (IVb)

La période qui suivit le congrès de mai 1948, fut d’abord celle du renforcement de l’action européenne. Volontairement absents du congrès de La Haye, du fait du rôle prédominant que joua Churchill, les responsables du Mouvement pour les États-Unis socialistes d’Europe ne pouvant plus ignorer le retentissement du « Congrès de l’Europe », décidèrent d’adhérer au Comité de coordination des Mouvements pour l’Unité européenne, dont le président n’était autre que le propre gendre de Churchill, le « très honorable » Duncan Sandys.

Naissance du Mouvement européen

À l’automne 1948, le Comité (joint Committee) se transforma en Mouvement européen, sous la présidence honorifique de Blum, Churchill et de Gasperi. Les mouvements fondateurs continueraient cependant à jouer un rôle essentiel, partout ou l’action était possible.

La constitution du Mouvement européen eut même pour conséquence, un moment, de mettre en cause le principe de l’existence d’un mouvement fédéraliste européen autonome. Le problème se trouva, en tout cas, posé au congrès de Rome de l’UEF (Palais de Venise, du 7 au 11 novembre 1948). Finalement, le congrès réaffirma l’autonomie et l’unité de l’UEF. Henri Frenay, un des chefs de la résistance française, fut chargé de maintenir cette unité et cette autonomie. Il devint président du comité central, Henri Brugmans demeurant président du bureau exécutif. La résolution sur l’assemblée européenne adoptée par le deuxième congrès de l’UEF à Rome, proclamait notamment : « la nécessité de convoquer d’urgence une Assemblée européenne représentative » destinée à « préparer la constitution de l’Europe fédérée ». Ce même congrès de Rome sera également saisi d’un avant-projet de constitution européenne élaboré par Alexandre Marc, avec la collaboration de l’écrivain-historien fédéraliste Bernard Voyenne et de l’universitaire belge Jean Buchmann.

Naissance du Conseil de l’Europe

C’est le 5 mai 1949 qu’un traité signé à Londres porta statut du Conseil de l’Europe. Il aura donc fallu à peine un an pour que des déclarations du congrès de La Haye du 7 au 11 mai 1948 sortent les premières décisions officielles. C’est dire que la genèse du Conseil de l’Europe, bénéficiant d’un climat exceptionnellement favorable, fut particulièrement rapide.

Dès le 18 août 1948, le Comité international de coordination des mouvements pour l’Unité européenne saisit les cinq gouvernements membres du traité de Bruxelles d’un mémorandum sur les résultats du congrès de La Haye. Dans la phase préparatoire, deux thèses s’affrontèrent : la thèse franco-belge sur le rôle moteur de l’assemblée européenne, la thèse britannique favorable au primat du conseil des ministres. « Tout fut réglé, écrit l’historien Pierre Duclos [1], lorsque les 27 et 28 janvier 1949 on parvint à une transaction, en décidant d’instituer un Conseil de l’Europe composé d’un comité ministériel qui se réunira en privé et d’un corps consultatif dont les réunions sont publiques. »

En fait, c’est l’interprétation la plus minimaliste des résultats du congrès de La Haye qui a prévalu sous la pression des Britanniques, en échange d’une concession faite à leurs partenaires continentaux, et surtout français : le choix de Strasbourg, capitale de l’Alsace, comme siège du Conseil de l’Europe.

 Telle était la réalité mais, à bien des égards, nous nous trouvions dans

Conseil de l’Europe

une situation paradoxale, car l’unité politique de l’Europe était bel et bien devenue un thème d’actualité : à mesure que l’Europe libre reprenait confiance, les premiers bienfaits de l’aide Marshall commençaient à se faire sentir tandis que le 4 août 1949, Washington signait le Pacte atlantique liant pour la défense le destin de l’Europe occidentale à celui de l’Amérique du Nord. C’est donc dans une ambiance chaleureuse que le 10 août de cette même année se tint la séance inaugurale de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe à Strasbourg. Dix pays fondateurs : les cinq signataires du traité de Bruxelles (France, Grande-Bretagne, les pays du Benelux) qui avaient pris l’initiative et auxquels s’étaient associés le Danemark, la Norvège, la Suède, ainsi que l’Irlande et l’Italie. Bientôt eux-mêmes seront rejoints par la Grèce, la Turquie, l’Islande, et nombre d’autres, dont l’Allemagne fédérale en 1951.

 Dès qu’elle eut l’occasion de délibérer sur l’acte de naissance du Conseil de l’Europe, c’est-à-dire sur le traité de Londres, l’UEF exposa des vues critiques, s’en prenant notamment à la règle de l’unanimité au sein du Comité des ministres, à la limitation des sujets dont l’Assemblée avait le droit de discuter, et à son absence de pouvoirs réels. Le comité central de l’UEF demanda donc aux parlementaires les plus « fédéralistes » qui devaient siéger à Strasbourg, d’obtenir de l’Assemblée qu’elle proclame la nécessité pour les nations libres de l’Europe de signer entre elles un véritable pacte fédéral.

Or, en 1949, l’influence de la jeune Union européenne des Fédéralistes était loin d’être négligeable. Ainsi elle fut, notamment, à l’origine de la création d’un Comité permanent des communes et régions européennes, et de l’Union fédéraliste interuniversitaire présidée par Michel Mouskhély, professeur à l’université de Strasbourg. En Italie, le Movimento Federalista Europeo regroupait désormais l’ensemble des fédéralistes organisés de la péninsule et contrôlait le Mouvement européen italien lui-même. La même situation tendait à se créer en Allemagne avec l’Europa Union Deutschland, en Belgique où les fédéralistes animaient pratiquement tous les groupements constitutifs du Mouvement européen, etc.

Les fédéralistes s’efforcèrent tout d’abord, sans pour autant faire preuve d’angélisme, de tirer le meilleur parti possible du Conseil de l’Europe, lorsque l’Assemblée consultative organisa ses débats. Les parlementaires influencés par les fédéralistes étaient, en effet, nombreux dans l’Assemblée de Strasbourg. L’amendement le plus important de toute la première session fut celui de Ronald MacKay, député travailliste britannique partisan du fédéralisme. Selon cet amendement, dorénavant l’Assemblée consultative considérait comme son but et son objectif l’institution d’une autorité politique européenne « dotée de fonctions limitées mais de pouvoirs réels ».

Cet amendement, devenu recommandation de l’Assemblée fut voté sans aucune abstention par 88 voix contre 0, le 4 septembre 1949 ; mais bien qu’il ait été adopté dans les conditions les plus favorables, il n’en fût pas moins promptement enterré par le Comité des ministres, confirmant ainsi que les craintes qu’éprouvaient les fédéralistes à l’égard de l’institution strasbourgeoise ne manquaient malheureusement pas de fondement !

Cependant les fédéralistes emportèrent à Strasbourg la bataille pour la constitution d’une cour de justice européenne. Ce fut leur seul succès tangible de cette période [2]. Le principe de la Cour de justice portait, en effet, atteinte à celui de la souveraineté absolue des États, puisque individus et collectivités pourraient désormais y avoir recours pour toute mise en cause des droits garantis par le Conseil de l’Europe.

Malgré ce succès ponctuel, l’UEF fut la première, parmi les mouvements européens de l’époque, à se convaincre de l’impuissance du Conseil de l’Europe pour renverser les obstacles dressés sur la route de la fédération européenne. Pour sortir de l’impasse, elle poursuivit plusieurs pistes en faisant campagne en faveur de l’élection de l’Assemblée européenne au suffrage universel direct, réclamant par ailleurs le vote à la majorité simple au sein du Conseil des ministres qui, au surplus, devrait se transformer en Assemblée des États.

À la fin d’octobre 1949, une Assemblée générale extraordinaire de l’UEF réunie à Paris demanda à l’Assemblée du Conseil de l’Europe de rédiger, au cours de sa prochaine session, le texte d’un pacte fédéral créant une autorité européenne.

Lire l’épisode suivant : 1950, année charnière

Pour lire l’épisode précédant : Du Congrès de La Haye au Conseil de l’Europe (1946-1947) 1ère partie

Illustration :
 logo du Mouvement européen international
 logo du Conseil de l’Europe

Notes

[1dans son livre sur le “Conseil de l’Europe” publié à Paris dans la collection Que sais-je ? en 1960

[2Convention européenne des droits de l’homme incluant les mécanismes de protection (la Commission, la Cour) adoptée le 4 novembre 1950, entrée en vigueur le 3 septembre 1953

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