Fédéralisme

La saga des fédéralistes européens pendant et après la dernière guerre mondiale (V)

Episode 5 : 1950, année charnière

, par Jean-Pierre Gouzy

La saga des fédéralistes européens pendant et après la dernière guerre mondiale (V)

L’UEF obtint, après un long et difficile combat, les 20 et 21 janvier 1950 à Londres, que le comité exécutif international du Mouvement européen, toujours fortement influencé par les Britanniques, se rallie, enfin, au principe du pacte fédéral, mais à condition de distinguer deux aires géographiques possibles d’unité européenne et deux degrés différents de coopération et d’intégration, des pays (comme la Grande-Bretagne ou les États scandinaves) n’étant manifestement pas décidés à faire un pas tant soit peu significatif dans la voie des transferts de souveraineté.

Partout où ils étaient organisés, les fédéralistes tentèrent donc d’agir sur l’opinion publique, en association avec le Mouvement socialiste pour les États-unis d’Europe et les Nouvelles équipes internationales (démocrates-chrétiennes) en faveur des procédures du pacte fédéral. Une action populaire en profondeur fut notamment menée en France. en Allemagne, et en Italie où le projet fut même approuvé par le Parlement italien et signé par des personnalités prestigieuses comme Alcide de Gasperi et le Comte Sforza, respectivement président du conseil et ministre des affaires étrangères de la République italienne.

 Pour donner plus d’ampleur encore à leurs revendications, les fédéralistes décidèrent, en outre, d’organiser à Strasbourg, une assemblée composée de militants, d’hommes politiques et de représentants des « forces vives » européennes. à quelques pas de l’Assemblée officielle du Conseil de l’Europe. Ils donnèrent à leur assemblée officieuse le nom de Conseil européen de vigilance ou Conseil des peuples d’Europe, avec pour objectif de placer les parlementaires siégeant au sein de l’Assemblée consultative devant leurs responsabilités. Henri Frenay présida le comité international d’organisation.

Le Conseil européen de vigilance tint ses assises du 21 au 24 septembre 1950, puis le 29 novembre 1950, dans la grande salle de l’Orangerie à Strasbourg. Il proclama la nécessité pour les États démocratiques d’Europe désireux de le faire, de s’engager à signer un traité convoquant dans les meilleurs délais une Assemblée constituante européenne chargée de l’élaboration d’un pacte d’union fédérale. Mais l’appel, bien que revêtu de signatures importantes, n’obtint par le succès escompté. Le 13 novembre 1950, le secrétaire d’État travailliste britannique aux affaires étrangères, Ernest Davies, avait d’ailleurs fait savoir officiellement que le gouvernement de Sa Majesté s’opposait à toute modification du traité de Londres.

Entre la Ridderzaal et l’Orangerie, les espoirs placés dans le Conseil de l’Europe s’étaient déjà dissipés... Désormais, le centre de gravité de l’unification européenne sera ailleurs : dans la gestation d’une Europe intégrée à partir de six États, amorcée par la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA). La dernière phase de cette désintégration des perspectives d’Europe politique à partir du Conseil de l’Europe sera d’ailleurs atteinte le 11 décembre 1951, lorsque Paul-Henri Spaak décidera d’abandonner la présidence de l’Assemblée consultative dans un mouvement qualifié « d’indignation raisonnée ».

Le Labour Party, alors au pouvoir en Grande-Bretagne, condamnait à l’époque toute idée d’une assemblée supranationale, estimant qu’elle aurait « un caractère anti-socialiste ou non socialiste ». Il reprochait, par ailleurs, à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe de jouer le rôle d’une sorte d’opposition officieuse à l’égard de certains gouvernements européens, dont celui du Royaume-Uni. De leur côté, les conservateurs faisaient preuve d’une prudence de plus en plus grande à l’égard des projets européens. Le président britannique de l’exécutif international du Mouvement européen, Sir Duncan Sandys, donnera sa démission. Il était, par ailleurs, un des membres du Parti conservateur.

La déclaration de Robert Schuman

Dans un tel contexte plutôt décevant, la déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950 marqua un tournant décisif de la politique d’unification européenne. Jean Monnet qui fut l’inspirateur du projet de Communauté européenne du Charbon et de l’Acier dont Robert Schuman, ministre français des affaires étrangères, assuma la responsabilité politique, n’avait rien, lui-même, de l’homme politique traditionnel. Âgé alors de soixante ans, cet autodidacte peu connu du grand public, fut le grand inspirateur des premiers projets communautaires. Commissaire général au Plan en France, il avait été, il est vrai, successivement secrétaire général adjoint de la SDN, banquier, conseiller de divers gouvernements, membre du gouvernement De Gaulle à Alger. Efficace, discret, méthodique, il marquera pour de nombreuses années, de son empreinte, la construction de l’Europe à partir de 1950.

Il est donc juste de dire que si l’élément moteur de l’idéal européen de l’après-guerre fut le mouvement fédéraliste, Jean Monnet tiendra, à partir de 1950, une place de premier plan dans l’histoire de l’unification de l’Europe. « Ce qu’il faut, avait proclamé le congrès de Montreux de l’UEF, dès 1947, c’est créer le premier noyau des régies autonomes du charbon et de l’industrie lourde en Europe ». Cette idée avait été reprise dans une des nombreuses recommandations de l’Assemblée consultative de Strasbourg au Comité des ministres.

Elle prit corps, grâce à Robert Schuman, homme de frontières. Ministre des affaires étrangères français né allemand, il fut amené à constater le piétinement du Conseil de l’Europe. Mais, l’idée de la Communauté européenne du charbon et de l’acier fut mise concrètement en forme par Jean Monnet et son équipe. On connaît évidemment la substance de la déclaration du 9 mai 1950 qui a abouti au traité de Paris, dans le préambule duquel il était dit que la CECA serait « la première étape vers la fédération européenne », fixant ainsi l’objectif de la politique étrangère des pays fondateurs acceptant le principe d’une Haute autorité commune, de caractère supranational, pour le charbon et l’acier.

Les fédéralistes ont vu, eu tout cas, dans l’initiative Monnet-Schuman, l’action européenne la plus hardie présentée par des gouvernements depuis la guerre. Pour la première fois, on tentait, à leurs yeux, de porter au niveau gouvernemental atteinte aux principes de la sacro-sainte souveraineté nationale. Il n’échappait pas, en effet, aux partisans de l’unité européenne qu’un contrôle effectif sur le charbon et l’acier impliquerait vite l’application du même contrôle européen à d’autres domaines et appellerait, pour ainsi dire, en ces temps d’extrême tension internationale entre les mondes démocratique et communiste (guerre de Corée), l’organisation d’une communauté de défense et d’institutions politiques européennes selon les mêmes principes supranationaux.

 De fait, le conflit coréen conduisit Washington à poser le problème de la participation de l’Allemagne fédérale à la défense occidentale, et celui de la reconstitution d’une armée nationale allemande, alors redoutée dans les cercles européens, notamment en France. C’est pourquoi, les partisans de l’Europe accueillirent généralement d’une manière favorable ou résignée la déclaration du gouvernement français du 24 octobre 1950, préconisant la création d’une armée européenne intégrée, permettant la participation d’éléments allemands à la défense occidentale, mais sans reconstitution d’un état-major allemand. Au cours de l’élaboration du traité instituant la CED, l’Union européenne des fédéralistes s’efforça de jouer un rôle conforme à ses préoccupations, en soulignant la nécessité de parvenir à un pouvoir politique de caractère supranational ou fédéral, sans lequel il ne pouvait y avoir à proprement parler d’armée « européenne ».

C’est ainsi que grâce à l’activité de ses dirigeants, et notamment de son délégué général Altiero Spinelli, agissant par l’intermédiaire du parlementaire socialiste italien, Ivan Matteo Lombardo, fut introduit dans le traité de Communauté européenne de défense, signé le 27 mai 1952, un article 38 prévoyant que l’Assemblée destinée à contrôler l’armée européenne, devrait recevoir le mandat de proposer « une structure fédérale ou confédérale ultérieure, fondée sur le principe de la séparation des pouvoirs comportant, en particulier, un système représentatif bicaméral ».

Pour lire l’épisode précédant : Du Congrès de La Haye au Conseil de l’Europe (1948 - 1949) 2ème partie

Pour lire l’épisode suivant : Les années tournantes => 1951, 1952, 1953 et 1954 (1ère partie)

Illustration : drapeau européen en mouvement lors d’une action de rue des Jeunes Européens France à Tours en 2006.

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