La zone euro, noyau d’une fédération européenne

, par Professeur Dusan Sidjanski

La zone euro, noyau d'une fédération européenne

Les élections européennes seront l’occasion d’un bilan général de l’Union européenne (UE), des progrès dans la lutte contre la crise financière et des dégâts subis par l’économie et la société européenne. Le lent redémarrage de la croissance ne suscite pas une nette diminution du chômage ; les faillites d’entreprises, la paupérisation et la dépression des citoyens ont cassé la dynamique européenne. La stratégie de Jean Monnet de l’engrenage secteur après secteur aboutissant à l’Union politique est arrivée à sa limite. Pire, la spirale ascendante (spillover) a été inversée sous le choc de la crise et sous l’effet de l’austérité.

Certes une panoplie de mesures ont été prises qui ont évité l’éclatement de la zone euro. Mais des questions cruciales demeurent sans réponse : l’euro peut-il survivre à long terme sans une véritable union économique et en absence d’un fédéralisme fiscal et budgétaire ? Qui plus est, la « zone à 18 » peut-elle survivre et croître sans une Union politique et une forte cohésion sociale ? Il est de plus en plus évident que les Etats membres de la zone sont confrontés à un choix déterminant : s’engager sur la voie de l’Union politique fédérale ou accepter à terme la mort de l’euro. Depuis l’apparition de la monnaie il y a quelques millénaires, nous savons que battre monnaie est un acte souverain, symbole du pouvoir politique.

Aucune monnaie n’a survécu sans communauté politique, Cité ou Etat. Il s’ensuit qu’il est urgent de consolider la zone euro et de l’encadrer par une Union fédérale.

Plus d’union économique

Or paradoxalement, le noyau pionnier des 18 continue à fonctionner à l’intergouvernemental dans une Union au sein de laquelle la méthode communautaire tend à se généraliser dans le volet « communauté économique ». D’où l’urgence de convertir la zone euro à la méthode communautaire en associant la Commission et le Parlement européen dans leur dimension à 18 au processus de décision à la majorité qualifiée de la zone. Un pas dans cette direction a été franchi par l’instauration du sommet de la zone euro. A son tour, la Banque centrale européenne qui a pris des responsabilités accrues pourrait être dotée à l’avenir des compétences en matière de dette, comme de croissance et de l’emploi. Des propositions abondent concernant le Fonds européen de stabilisation (MES), le Fonds de relance économique, l’adoption d’un budget de 3 % du PIB de la zone.

Le débat sur la politique macro-économique bat son plein dans un langage incompréhensible pour la grande majorité de citoyens. Pour eux, les soucis portent sur la précarité de leur travail, sur le coût de la vie de famille, bref sur le quotidien bien éloigné de la haute politique de dirigeants européens. Ils ressentent dans leur peau les effets de l’austérité, des coupes budgétaires opérées dans le social, dans l’éducation, accompagnées des diminutions de salaires et du pouvoir d’achat. Le rêve de la prospérité promise par l’Union de l’Europe s’est transformé en cauchemar, sans espoir en vue. Le moment n’est-il pas venu de lancer un projet européen ?

L’austérité fait le lit de nationalismes qui émergent à nouveau, de concert avec des poussées de partis, et de mouvements extrémistes soutenus par le désespoir des couches sociales sacrifiées. D’où l’accroissement surprenant des partis de droite extrême, tels que le Front national en France et son allié hollandais, ou de mouvements d’extrême gauche, protestataires anti-européens auxquels l’Union et Bruxelles servent de bouc émissaire. La situation politique en Grèce est dramatique où la majorité gouvernementale tient à un fil. Dans les sondages, le parti Syriza au profil douteux figure en tête, suivi de la Nouvelle Démocratie et en troisième position se projette la menace du mouvement néo-nazi « l’Aube dorée ». Celui-ci se distingue par son racisme, sa violence qu’il compense par l’aide qu’il apporte à la couche la plus fragilisée de la population.

Plus d’union politique

Le berceau de la démocratie est en danger, sur lequel on ferme les yeux tout en laissant la Troïka poursuivre sa politique d’austérité. Le cas de la Grèce est loin d’être isolé. La récente élection d’un néo-nazi à la tête de la région de Banska Bystrica en Slovaquie est là pour nous rappeler que la xénophobie et l’europhobie incarnées dans une campagne anti-Roms menacent les valeurs fondamentales de l’Europe. A cela s’ajoute une pléthore de mouvements populistes. Se propageant par les réseaux sociaux, tous semblent converger vers la déstabilisation des systèmes politiques, et plus en profondeur des tissus économiques et sociaux. Autant de dangers convergents qui obscurcissent le ciel européen et face auxquels les mesures projetées s’annoncent impuissantes.

Des forces centripètes sont à l’oeuvre à l’intérieur de plusieurs pays européens. Au Royaume-Uni, alors que l’Ecosse se prépare pour un référendum sur son indépendance, le gouvernement Cameron sous la pression de l’UKIP et d’un groupe de sa majorité a promis d’organiser un référendum sur l’appartenance à l’UE. La Belgique n’est pas en reste de même que la Catalogne, dont le gouvernement exige de Madrid un référendum sur son indépendance. A la renaissance des nationalismes se greffent les mouvements indépendantistes des régions. Pour satisfaire du moins en partie ces revendications qui conduisent à la multiplication de mini-Etats, ne faudrait-il pas créer au sein de l’Union politique un « Sénat des régions », à l’instar de celui proposé par les Länder lors des négociations du Traité de Maastricht ? De la sorte, tout en renforçant l’autonomie des régions et des métropoles, on garantirait leur participation à la fonction législative.

La crise qui menace la démocratie de l’UE appelle à un sursaut de la part des responsables et des citoyens européens. Il est pressant de prendre au sérieux les avertissements de la Chancelière Merkel évoquant le danger que courent tant l’euro que l’Union, à défaut d’une Union politique qui serait dotée d’un gouvernement et d’une deuxième chambre. A ces appels font écho les discours du Président Hollande en faveur d’un gouvernement économique et d’une stratégie globale comprenant une véritable politique extérieure et de défense commune de l’Europe parlant d’une voix. Les interventions de la France au Mali et en RCA sont autant d’exemples d’actions et d’initiatives qui à l’avenir devraient s’inscrire dans une stratégie globale.

Oser la Fédération européenne

Au plan mondial, la nouvelle répartition des pouvoirs et les défis que représentent les puissances émergentes (la Chine, l’Inde, le Brésil, le retour en force de la Russie), exigent une réponse commune si l’Union a l’ambition d’être un acteur influent au sein du G 20 et dans les affaires du monde. L’acuité des conflits dans l’environnement de l’Union comme les menaces de la part des groupes terroristes et des organisations criminelles sont autant d’appels à la création d’une fédération européenne. C’est dire

que le temps presse pour qu’une initiative soit lancée par le moteur franco-allemand, soutenue par l’Italie ainsi qu’assistée par la Commission et le Parlement européen. S’il est difficile de concevoir une Union politique des 28, il est néanmoins urgent de commencer par la zone euro, tout en laissant l’accès ouvert à d’autres Etats membres. L’histoire des fédérations qui ont réussi montre qu’elles se sont formées autour d’un noyau fédérateur.

L’Union politique contribuerait à restaurer la cohésion et la solidarité européennes. Elle rendrait possible le recours aux eurobonds en soutien au New Deal européen comprenant le financement des grands travaux d’infrastructure et de communication, de la recherche et de l’innovation qui suppose un nouvel élan d’éducation et de formation. Un ensemble d’actions immédiates donnant une forte impulsion à l’emploi et au tissu d’entreprises petites et moyennes, principaux pourvoyeurs d’emplois. Il en résulterait une relance de la dynamique de l’intégration au sein de la zone euro et par conséquent au sein de l’UE.

Il ne reste qu’à souhaiter que la campagne électorale qui s’ouvre porte principalement sur les projets de Fédération européenne concis et lisibles, sur le New Deal européen. Thèmes centraux qui sont susceptibles de faire renaître l’espoir auprès des citoyens de l’UE.

Extrait de bepa monthly brief, publié intialement dans le numéro 163 de Fédéchose

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