Le Front national et l’état de l’Union

, par Bernard Guetta

Le Front national et l'état de l'Union
Meeting de 2012 du Front National Crédit photographique : Blandine Le Cain :https://www.flickr.com/photos/blandinelc/

Les affaires, oui, bien sûr. Le chômage, évidemment. L’immigration aussi, dans le Sud-Est en tout cas, mais comment ne pas voir que c’est avant tout l’état de l’Union qui explique cette spectaculaire inscription du Front national sur l’échiquier politique ?

En France, comme dans le reste de l’Europe, tout pousse à la nostalgie des frontières nationales tant les politiques menées au nom de l’Europe sont indigentes et rejetées. Qu’elles soient, économiquement parlant, nécessaires ou stupides, elles sont politiquement mortifères car elles assimilent l’Union non seulement au recul du niveau de vie et de la protection sociale mais également de la démocratie puisque la majeure partie des citoyens européens ont le sentiment d’être gouvernés par une technocratie irresponsable, celle de « Bruxelles » et de la Commission.

Les institutions européennes sont tellement illisibles et méconnues que les Européens ignorent que ce ne sont pas les commissaires qui décident des politiques de l’Union mais le Conseil européen, l’assemblée des 28 chefs d’Etat et de gouvernement qu’ils élisent dans leurs pays respectifs. La Commission ne fait qu’appliquer ce que les 28 dirigeants nationaux décident. Pour changer les politiques européennes, ce n’est pas elle qui est à changer mais la composition politique du Conseil et cette répartition des pouvoirs, surtout, qui fait que c’est l’Europe des Etats et non pas le Parlement, la représentation paneuropéenne, qui fait l’essentiel des choix pour l’ensemble des 28 pays membres.

L’Union marche sur la tête et, bien plus que du second tour des municipales, c’est ainsi des élections européennes du 25 mai qu’il faut maintenant s’inquiéter. Le FN pourrait bien en sortir premier parti de France. Des formations similaires y marqueront des points dans de nombreux pays. L’Union n’en éclatera pour autant pas car ses adversaires resteront très minoritaires au Parlement mais à ne pas entendre le message de ce premier tour, à ne pas voir à quel point le divorce s’approfondit entre les Européens et l’Europe, on courrait à la catastrophe.

Aucun pays européen n’est seul à même d’instaurer un rapport de force suffisant pour que cesse le dumping social, environnemental et monétaire dont la Chine use pour mettre à genoux des pans entiers de l’industrie européenne. En ordre dispersé, les démocraties européennes n’arriveront pas non plus à dissuader Poutine de tenter de reconstituer l’empire russe par la force ou même la guerre. Désunis, les Européens pourraient encore moins investir assez d’argent pour ne pas rater les prochaines révolutions technologiques. Ce n’est pas de se désunir mais de resserrer leurs rangs dont les Européens ont un urgent besoin.

Il leur faut réindustrialiser. Il leur faut cinq, dix, quinze nouveaux Airbus dans tous les domaines. Il leur faut un gigantesque effort de recherche dans les industries d’avenir, une politique énergétique commune, de grandes universités à même d’attirer, comme Harvard ou Princeton, les meilleurs étudiants et enseignants du monde, une défense et une diplomatie d’assez de poids pour stabiliser leurs marches orientales et méridionales et rien de tout cela ne peut se faire sans une Europe forte, c’est-à-dire unie.

Il ne reste que deux mois avant les européennes. C’est très peu mais tous les grands courants politiques européens se sont dotés de têtes de liste qu’ils veulent imposer à la présidence de la Commission. Ces élections seront pour la première fois incarnées par des hommes et des femmes chargés de défendre un programme pour l’Europe dans les 28 pays de l’Union. Pour la première fois, elles auront un double enjeu, non seulement la majorité parlementaire mais aussi l’élection du président de la Commission par la majorité que les citoyens européens auront envoyé siéger à Strasbourg.

La démocratie et l’ambition d’être de l’Europe pourraient être considérablement renforcées par cette campagne électorale. C’est l’occasion de contrer la cécité nationaliste en organisant, enfin, un débat, public et paneuropéen, le premier, sur ce qu’il faut faire en Europe, comment et à quel rythme. C’est l’occasion à ne pas rater mais il ne reste qu’une poignée de semaines.

Article publié dans Libération, le 25 mars 2014 ainsi que dans le Fédéchose numéro 163

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