Le transport, un outil de l’aménagement équilibré européen

, par Michel Caniaux

 Le transport, un outil de l'aménagement équilibré européen

Les transports ont une part primordiale dans la vie des Européens. La réduction des temps de trajet et la popularisation de moyens de transports considérés auparavant comme de luxueux ont grandement contribué au rapprochement des Européens. C’est pourquoi, nous sommes allé interviewer Jean-Michel Guerre, Vice-Président du Conseil Régional d’Auvergne, Président de l’association ALTRO qui promeut le projet Via Atlantica.

Qu’est-ce que la Via Atlantica ?

Tout d’abord, il est nécessaire de parler transport, angle mort de la construction européenne. Ainsi, au Mouvement européen, vous avez un Comité d’orientation stratégique qui planche sur différents thèmes...sauf le transport, et pourtant , si les citoyens ne peuvent pas se déplacer aisément, la construction européenne sera toujours inachevée.

L’UE a donc défini 9 corridors ferroviaires comme colonne vertébrale du réseau central qui doivent être achevés avant 2030, or, on retrouve au niveau européen le même problème qu’au niveau français : la prédominance des axes nord-sud et la difficulté qui en résulte de contstruire un véritable axe est-ouest européen. Le corridor méditerranéen est une tentative incomplète et tarabiscotée. En effet, de Budapest à Lyon, rien à dire, mais, au-delà, au lieu de continuer tout droit, cap sur l’Atlantique, on tourne à gauche pour atteindre Montpellier, puis Barcelone et Algeciras. Pour ALTRO , et ses 37 collectivités françaises adhérentes, la Via Atlantica c’est depuis Budapest le prolongement vers l’Arc Atlantique de Caen, Brest à Lisbonne, pour acheminer à la fois voyageurs et fret.

Comment la Via Atlantica est-elle en phase avec le livre blanc et s’inscrit-elle dans l’Europe des transports ?

Elle s’inscrit dans les directives du livre blanc sur les transports qui fixe la feuille de route pour une Europe des transports avec la croissance des dits transports et l’appui à la mobilité tout en atteignant l’objectif de réduction de 60% des émissions de gaz à effet de serre. Or, la Via Atlantica desservira des régions désertées par toute offre ferroviaire crédible, privant aujourd’hui les habitants de celles-ci d’une véritable alternative à la route et de la possibilité de contribuer à la transition énergétique.

A l’heure des compagnies aériennes low-cost, pense-t-on sérieusement que les citoyens européens prendront le train pour aller de Lisbonne à Budapest ?

Ce ne sera pas, en effet, la majorité, quoique l’on peut très bien imaginer un train de nuit reliant les deux capitales en 14 ou 15 heures, soit le temps de l’ancien train de nuit Palatino Paris-Rome. Mais il faut avoir à l’esprit que ces corridors sont ce que les fleuves étaient au début de la civilisation, des voies de communication structurantes indispensables pour multiplier les échanges et fédérer un continent.

Ils relient en se jouant des frontières naturelles. Si on prend le Lyon-Turin, le seul tunnel de base de 53 km permettrait déjà d’économiser près d’une heure sur un parcours de 4 heures actuellement, contre trois heures par la route, mettant déjà les deux modes à égalité et permettant une transiton énergétique sur cet axe en rendant compétitif le mode ferroviaire. Ensuite, la réalisation des accès permettrait de relier les 2 villes en moins de deux heures ce qui aurait pour effet de dynamiser les échanges et le rapprochement des habitants concernés.

Cette Via Atlantica, c’est comme un boulevard sur leuel débouchent d’autres lignes qui permettent d’intéresser d’autres citoyens qui ne sont pas positionnés directementt sur ce boulevard.

Ces corridors ce sont des liens des Lisbonne-Bilbao, des Bilbao-Turin, des Brest-Bilbao, des Lyon-Venise, des Venise-Budapest, etc...

Si l’on veut faire l’Europe, il faut que les citoyens puissent se rencontrer et pour ce faire, il faut des infrastructures qui concrétisent ce lien. L’aérien n’a pas la même force, entre deux aéroports, il n’y a rien qui matérialise le lien. L’Europe est visible dans chaque gare et se banalise quand sur les panneaux d’affichage de la gare, l’habitant de Guéret voit Turin, Bilbao, il n’a plus de doute, il fait partie de la communauté, il n’en est plus exclu. Il peut alors commencer à s’y intéresser. Et il ne faudrait pas oublier le fret, les citoyens européens doivent apprendre à le considérer s’ils veulent moins de camions sur les routes, donc moins de nuisances. C’est lui aussi qui va permettre de redynamiser nos ports de l’Atlantique en en faisant des portes d’entrée/sortie du continent euroéen et, sur cet aspect, nous sommes encore en phase avec les directives du livre blanc.

Projet fédérateur qui favorisent les échanges dès sa conception, où les administrations mais aussi les citoyens, qu’il faut associer dès le départ, s’approprient le projet au vue des perspectives offertes , puis dans sa réalisation et, enfin, dans son fonctionnement.

Où en est le projet aujourd’hui ?

Sur le tronçon Budapest-Ljubjana, il n’’y a pas, pour l’instant de lignes nouvelles de programmées. Entre Ljubjana-Trieste, il y a un projet d’une vingtaine de kilomètres (Auresina-Diviaca). Il faut savoir qu’aujourd’hui, ces 2 villes distantes d’une centaine de kilomètres n’ont plus aucune relation ferroviaire, et que si l’on s’entête malgré tout à vouloir prendre le train, il faut compter près de 6 heures en passant par l’Autriche pour une heure via la route ! Les Espagnols, qui ont le premier réseau de lignes nouvelles en Europe, travaillent dur pour achever leur partie. Nous avons tissé des relations avec deux importantes associations qui travaillent également sur l’axe : la Transpadana (Ljubjana-Turin/Genova) et la Transalpine (Turin-Lyon), ALTRO reprenant Lyon-façade atlantique. Sur la partie Lyon-façade atlantique, nous sommes en attente d’études.

Où est ce que cela bloque ?

Les différents gouvernements français, toutes tendances confondues, n’ont pas la vision européenne nécessaire à l’émergence d’un véritable aménagement équilibré du territoire européen. Ainsi, dans le réseau global, complémentaire du réseau central et devant être achevé pour 2050, nous avons les projets de LGV (Lignes à Grande Vitesse) Poitiers-Limoges, Rennes-Nantes/Brest/Quimper et POCL (Paris-Orléans-Clermont-Lyon) et personne, si ce n’est la DATAR dans un document de travail de 2011, n’a voulu relier les deux projets, soit 120 à 180 km suivant l’option choisie pour le POCL, ALTRO ayant, lors du débat public, défendu l’option la plus à l’ouest et le plus au sud, pour justement amorcer cette transversale européenne dans les meilleures conditions. Malheureusement, la vision européenne a été absente et les préoccupations sont restées très clochemerlesques alors que tout le monde est gagnant dans notre schéma, la technostructure n’était pas préparée à sortir du cadre franco-français parisiano centré. Et le POCL aujourd’hui n’a pas de dimension européenne puisqu’il n’offre pas de nouvelles fonctionnalités, la ligne actuelle Paris-Lyon voyant déjà passer des Paris-Barcelone, des Paris-Milan...toutes des relations nord-sud.

L’Europe, surtout dans la situation économique actuelle a-t-elle les moyens de se payer un tel projet ?

L’Europe oui, les Etats nations, si grands soient-ils, non. Ainsi, le gouvernement avait nommé en 2012 une commission, la Commission Mobilité 21, pour faire le tri dans les projets d’infrastructures, et en particulier, dans les lignes nouvelles ferroviaires. Il en résulte qu’une seule ligne nouvelle a été retenue d’ici 2030, le Bordeaux-Toulouse, et que tous les autres projets dont ceux contribuant à la réalisation de la Via Atlantica, ont été renvoyés au-delà de 2030. C’est donc l’aveu de l’incapacité d’un Etat à équiper son territoire dans des délais raisonnables pour faire face à une augmentation démographique et à la transition énergétique. C’est donc la preuve qu’il faut, dans ce domaine comme d’autres, plus d’Europe, et vite. Cela passe par une augmentation du budget européen qui représente aujourd’hui un insignifiant 0,89% des PIB sachant que si cette part était portée à 5 ou 6%, on bénéficierait de 500 à 600 milliards, et là commenceraient les choses sérieuses. A titre de comparaison, le budget fédéral américain représente 23% du PIB. Cela passe aussi par la capacité d’emprunt de l’Europe, impossible aujourd’hui.

Aujourd’hui, l’Europe peut financer jusqu’à 40% de l’investissement se rapportant au réseau central.

Il n’y a pas de projets insolubles, c’est une question de volonté qui doit s’appuyer sur une vision claire de l’avenir. Quant aux coûts, nous n’avons pas vocation à nous installer dans la crise.

Quelle est votre stratégie pour les années à venir ?

Renforcer ce travail de conviction à l’échelle européenne qui est la bonne échelle pour travailler sur ce type de projets. Nous faire entendre à Bruxelles et permettre la prise de conscience de l’Etat français, puisqu’il s’agit d’une compétence partagée, afin qu’il prenne ses responsabilités et défende le projet avec le lancement d’études qui ont été toujours refusées comme si la peur de la remise en cause des schémas traditionnels français était la plus forte.

Créer ce désormais indispensable véritable lobby est-ouest européen à l’instar du lobby Ferrmed existant pour un axe ferroviaire fret nord-sud de Algeciras à Stockholm. Quelqu’un nous disait que la Via Atlantica s’éloignait des axes historiques. Ce à quoi, il est facile de répondre par l’affirmative puisqu’aujourd’hui, l’évolution du monde nous conduit à devoir raisonner dans un espace européen et non plus franco-français.

Le manque de vision nous prive de coopérations et de développements futurs. Un tel projet aurait, en effet, des implications même sur le territoire français avec la structuration d’un triangle de croissance Rennes-Nantes – Bordeaux – Lyon et influerait très certainement sur une reconfiguration de la carte des collectivités, régions et départements.

Le paravent des moyens est bien commode. Ensuite lorsque l’on parle d’un projet de x milliards, il ne s’agit pas de payer cash mais d’étaler dans le temps tout comme le projet qui peut être phasé, l’important est d’avoir un projet global qui guide les actions pour l’atteindre. Si l’on oublie ça, alors plus personne ne pourrait acheter de maison... A nous de faire que le transport devienne un enjeu majeur, qu’il intéresse les citoyens et soit reconnu comme un outil de l’aménagement équilibré du territoire européen, ce dernier restant encore à définir.

Ce projet est bon pour l’Europe en étant fédérateur avec 10 pays concernés, soit plus d’un tiers de l’UE, et par les nouvelles coopérations qu’il suscitera.

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