Notre France de Raphaël Glucksmann

Une lecture progressiste de l’identité française

, par Valéry-Xavier Lentz

Notre France de Raphaël Glucksmann
Raphaël Glucksmann, essayiste et documentariste. Photo Allary Éditions

Le projet de Raphaël Glucksmann dans Notre France vise à proposer, en réponse aux nationalistes réactionnaires, une vision progressiste de l’identité française. Il dénonce aussi une gauche devenue incapable de proposer dans le débat public les thèmes qui ont fait l’identité française : ouverture, universalisme, cosmopolitisme.

La démarche est rafraîchissante. Alors même que les porte-paroles de la gauche dite de gouvernement cèdent sans combattre aux oukases des tenants d’une vision autoritariste et passéiste de la France, il est essentiel de proposer une grille de lecture alternative aux Zemmour et Buisson et aux thèmes que la fachosphère, encouragée par la Russie de Poutine, installe progressivement comme une nouvelle pensée unique, repris plus ou moins consciemment par nombre de responsables politiques et acteurs médiatiques a priori considérés comme modérés.

Toutefois, le choix de recourir à la forme du roman national, fut-il progressiste, est-il approprié ? Les fédéralistes ayant déjà réfléchi à la nature de l’idéologie nationaliste — déconstruite notamment par Mario Albertini — et aux pièges du discours identitaire, verront a priori avec suspicion une telle entreprise. Les constructions théoriques les plus progressistes en apparence peuvent en effet dès lors que l’on entreprend de justifier une approche exclusivement nationale, vite dériver. On se souviendra du célèbre discours de Renan qui, tout en proposant la rupture théorique avec une vision ethnique de la nation, posa les bases de la justification de l’irrédentisme français vis-à-vis de l’Alsace-Moselle et donc les conditions de la guerre contre l’Allemagne.

Notre France n’est toutefois pas un ouvrage théorique. Il reformule tout au plus une thèse trop souvent oubliée sur la nature profondément progressiste de l’identité française. C’est à partir d’une accumulation de références à des événements historiques, à de grands ouvrages de la littérature et de la philosophie que Raphaël Glucksmann trace progressivement le portrait de ce qu’il présente comme le visage de la France. À chaque fois, il démontre la contradiction entre les ruptures symboliques et politiques opérées et la France rance que veulent nous imposer les réactionnaires.

Comme Renan, il commence par déconstruire la vulgate réactionnaire, le récit du « c’était mieux avant » faisant appel à la reconstruction doctrinale d’un passé imaginaire. Il abat les mythologies trompeuses des liens du sang, de la terre, du culte, de la langue et du lien politique incarné par l’État qui sont autant de « tranchées imaginaires », de « miradors conceptuels » visant à figer et imposer une identité fantasmée.

Raphaël Glucksmann rappelle pourtant que dès le Moyen-Age, une autre France existe, celle dépeinte dans le Roman de Renart et dont le protagoniste, « notre père à tous », ne respecte rien ni personne, et a déclaré la guerre à tous les animaux établis.

L’essentiel du livre consiste en un rappel méthodique de la réalité d’une autre France, « notre France », cosmopolite, universaliste, révolutionnaire, européenne, existentialiste, rabelaisienne, cartésienne, voltairienne.

Il dépeint notamment sa vision à travers un discours imaginaire, celui d’un président de la République qui ne se serait pas égaré mais aurait panthéonisé les résistants de l’Affiche rouge [1] pour réaffirmer avec force leur caractère français.

Une France profondément européenne

Un chapitre entier est consacré à l’Europe. « Comment gagner la bataille des idées quand on n’en a aucune ? » demande Glucksmann, après avoir rappelé la piteuse prestation d’un Jacques Chirac lors du débat référendaire de 2005. Pourtant, « les grands noms de notre histoire (…) étaient profondément européens ». Beaucoup d’auteurs progressistes ont connu l’exil et ont enrichi leur vision au contact de l’expérience des pays voisins. Une attention toute particulière est portée à Victor Hugo et à son discours au Congrès de la paix de 1849 à Paris. « L’union de l’Europe n’est pas née dans l’esprit de technocrates hors-sols. Elle fut d’abord rêvée par des philosophes et des poètes, des aventuriers et des citoyens ».

Jean Monnet et Robert Schuman œuvrèrent d’abord à concrétiser cet héritage intellectuel. Mais le succès de leur approche repose sur l’action de dirigeants devant garder à l’esprit l’objectif de la fédération européenne. Or une nouvelle élite « qui n’a pas connu la guerre et se moque de la vision de Victor Hugo » arrive aux affaires, elle ne propose plus aucun horizon mobilisateur démocratique, suscitant l’hostilité croissante envers ce qu’est devenu l’idée européenne.

Glucksmann affirme que les deux visions, nationale-souverainiste et démocratique européenne, correspondent toutes deux à une idée bien réelle de l’esprit français. Mais « l’entre-deux post-politique actuel ne s’inscrit dans aucun récit français. Il est condamné. Évitons que la vieille idée française de fédération européenne ne meure avec lui ».

Mythe vs. mythe

La France de Raphaël Glucksmann est aussi naturellement celle dans laquelle se reconnaissent presque tous les militants de l’Europe fédérale. Elle n’en reste pas moins une construction mythique — au sens de récit visant à fonder une pratique sociale, à présenter une vision du monde — tout autant que celui auquel il s’oppose.

L’auteur souligne d’ailleurs que la confrontation de ces deux visions se renouvelle à chaque génération. L’identité d’un peuple n’est ni univoque ni immuable mais le résultat de débats et de luttes. Son diagnostic du « trouble de la personnalité » de la France actuelle vient de l’abandon du combat par une gauche méfiante envers toute idéologie après avoir souffert d’une overdose et ne proposant plus aucun horizon, aucune grille de lecture du monde, cédant le champ politique à un discours contre-révolutionnaire qui imprègne la doxa jusque dans ses rangs.

Le risque de la formulation d’un récit national tel que celui auquel se livre Glucksmann est de servir un projet nationaliste c’est-à-dire l’affirmation d’une vision uniforme et homogène d’une communauté portée par un État — ou visant à revendiquer la création d’un État — pour renforcer son emprise mentale sur ses ressortissants et donc son pouvoir. Relisez à ce sujet “L’État national” de Mario Albertini .

L’écueil est en partie évité car il ne propose pas une vision exclusive de toute autre : il ne dépeint pas « la France » mais « notre France » et n’en fait jamais un sujet d’orgueil déplacé qui viendrait marquer la supériorité supposée de la communauté nationale française sur d’autres communautés nationales. Toutefois il s’en approche malheureusement quand il propose un service civique obligatoire, même pas européen, visant à contribuer à un melting pot national, seule mesure concrète évoquée dans le livre en dehors d’une exhortation à réaffirmer dans l’espace publique une vision ouverte de la France.

Les fédéralistes européens doivent s’intéresser aux débats sur l’identité — non seulement pour pouvoir contester et déconstruire les conneries des fadas de la France rance et de leurs cousins européens — mais aussi pour être en mesure de proposer leur propre vision, le fédéralisme impliquant une philosophie particulière du rapport entre l’individu et les communautés humaines et politiques dans lesquelles il évolue, et de la forme de démocratique qu’elle implique. La contribution de Raphaël Glucksmann au débat sur l’identité française ne s’inscrit pas directement dans cette approche mais est parfaitement compatible et mérite à ce titre notre attention.

Notes

[1Cf. Affiche rouge.

Vos commentaires
  • Le 4 janvier 2017 à 16:56, par Thomas En réponse à : Notre France de Raphaël Glucksmann

    Article méprisant et grossier (« les conneries des fadas de la France rance... »). Sur le fond : vouloir à tout prix rendre indissociables les valeurs progressistes/universalistes et la cause fédéraliste causera très certainement la perte de cette dernière (c’est déjà hélas à l’œuvre... l’idéal européen, associé à une UE passoire et sans consistance identitaire, est battu en brèche partout. Bravo).

  • Le 6 janvier 2017 à 08:21, par Valéry En réponse à : Notre France de Raphaël Glucksmann

    J’imagine que vous vous sentez visé par mon propos. Si c’est effectivement le cas je suis ravi qu’il vous déplaise.

    Pour revenir au fond :

    1) Il est possible de défendre l’unité européenne tout en ayant avec une vision réactionnaire et une approche ethnique du peuple européen. C’est le cas de quelques groupuscules d’extrême-droite qui prônent un nationalisme européen ? Voir par ex. Les nationalistes européens. Mais en général les tenants d’une telle vision sont plus des européistes que des fédéralistes. C’est ainsi le cas de l’organisation PanEurope et se ses différentes incarnations. Cette vision est naturellement pour moi condamnable puisqu’elle se contente de transposer les perversions françaises à un niveau européen. Voir aussi Pourquoi une Nation européenne est indésirable

    2) Vous associez dans votre propos les valeurs progressistes à l’absence d’identité alors que au contraire l’article et le livre qu’il décrit démontre qu’il existe une vision de notre identité collective qui ne soit pas celle des réactionnaires, de la fachosphère et des collabos de notre ennemi Poutine.

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