Pays de l’Est, leurs fantômes et la démocratie

, par Nathan Delbrassine

Pays de l'Est, leurs fantômes et la démocratie
Déjà en 2009, à l’issue des élections parlementaires, les jeunes Moldaves avaient battu le pavé pour protester contre la corruption et le non renouvellement de la classe politique. Depuis, le pays est dans une crise politique chronique. - VargaA (CC/Wiki).

Aujourd’hui, la Pologne est au centre de toutes les polémiques, de nombreux observateurs estiment que la politique mise en œuvre par le gouvernement de Beata Szydło (PiS) porte clairement atteinte à l’Etat de droit et aux fondements de la démocratie. La Commission européenne a décidé de se saisir du dossier et d’examiner le cas polonais. Bien que l’administration de l’Etat polonais soit des plus préoccupantes, des mécanismes similaires se mettent place dans d’autres pays d’Europe de l’Est comme la Roumanie et la Serbie.

La Roumanie se débat avec son passé

En août 2015, les autorités roumaines ont voté une loi visant à interdire le culte des symboles racistes, fascistes ou le culte de toute personne s’étant rendue coupable de génocides. Cette loi serait entrée en vigueur pour surtout empêcher le culte de Nicolae Ceausescu, le président fusillé le 25 décembre 1989 et dont la moitié de la population regrette la disparition. Ce dispositif législatif prévoit jusqu’à 3 ans d’emprisonnement pour toute infraction à la loi dite « antilégionnaire ». Outre le fait que les débats parlementaires ont été « expéditifs », les spécialistes de l’histoire récente de la Roumanie n’ont pas été consultés lors de l’élaboration du texte et que les autorités ont fait preuve d’autoritarisme écartant toute possibilité de discussion, ce texte pose trois problèmes.

Le premier, depuis l’entrée de ce dispositif législatif, de nombreux historiens s’interrogent sur la marge de manœuvre que l’Etat leur laisse dans leur domaine de recherche. En effet, ceux-ci craignent de ne plus avoir les coudées franches pour traiter la question du nazisme ou plus largement de toutes les formes d’extrémismes et leurs sympathisants qui ont traversé la société roumaine.

Le deuxième, si l’objectif de cette loi est de lutter contre l’extrémisme de manière générale, le communisme brille par son absence. D’après Radu Preda, dans le Courrier international [1], c’est l’absence du communisme dans la liste des formes d’extrémismes énoncées dans la loi « antilégionnaire » qui est « le principal défaut de cette loi. Et le plus inexplicable ». Il ajoute qu’il s’agit d’une loi « procommuniste ».

Le troisième, cette loi risque bel et bien de porter atteinte au processus de résilience des affres de « l’époque communiste » de ce pays. Outre le fait que cette loi pourrait porter atteinte au travail au sein de communautés scientifiques, poser un interdit de s’interroger, un tabou, pourrait s’avérer préjudiciable pour la santé de la société roumaine. En effet, la possibilité d’évoquer et de débattre des évènements les plus sombres de son histoire et de l’histoire européenne est essentielle si l’on veut comprendre le phénomène et éviter sa répétition. De plus, ce n’est pas en niant ses traumatismes qu’ils cicatrisent, mais bien en en prenant conscience et en les identifiant comme tels par un débat libre, rationnel et ouvert. Ajoutons à cela que la notion de « culte » étant relativement floue, il est difficile de déterminer où commencent la réflexion historique, sociologique ou psychologique et l’infraction pénale.

La Serbie dans l’ombre de la Russie

Avec la chute du mur de Berlin en 1989 et celle de l’URSS en 1991, on aurait pu penser mettre un terme aux guerres de propagande. Apparemment, ce n’est pas le cas. En effet, le centre pour les nouveaux médias, Liber, a démontré l’utilisation de bots sur le réseau social Twitter par la plupart des partis politiques serbes. Un bot est agent logiciel automatique ou semi-automatique qui interagit avec des serveurs informatiques. Il peut être utilisé pour des tâches répétitives, mais aussi pour mener une attaque contre les services Internet ou pour s’inscrire sur les forums de discussion afin de les spammer [2]. La présence de bots sur les nouveaux moyens de communication, la nouvelle place publique, s’inscrit dans la pratique de l’astroturfing qui consiste en une technique de propagande pour les campagnes de relations publiques en politique et en publicité. Elle doit créer l’impression qu’une opinion est populaire quand elle ne l’est pas [3]. Cette pratique est monnaie courante en Russie, en Chine et pour certaines entreprises des Etats-Unis.

Ainsi, il s’agit, pour le pouvoir en place, le Parti serbe du progrès, de « tuer » médiatiquement toute forme de résistance ou d’opposition. Cette propagande du XXIe siècle consiste en des campagnes constantes de réponse type et nombreuses, parfois injurieuse, à toutes les opinions émises par l’opposition, de détournement des problématiques soulevées par l’adversaire politique et, si cela ne suffit pas pour faire taire les voix discordantes, en des campagnes de diffamations. Cependant, si le sujet fait preuve d’une résistance supérieure à la moyenne, les bots relayent leur propos calomnieux aux tabloïdes qui se feront un plaisir de jeter le « rebelle » en pâture à l’opinion publique qui n’aurait pas été convaincue par la première campagne sur les réseaux sociaux.

La Moldavie n’est pas en reste

Jeudi 21 janvier 2016, ils étaient 10 000 [4] réunis à Chisinau pour protester contre le tout nouveau gouvernement. La veille, Pavel Filip, fraichement désigné Premier ministre, a prêté serment en pleine nuit au cours d’une cérémonie marquée par une importante présence policière. Les manifestants ont dénoncé la rapidité avec laquelle Pavel Filip a été institué, mais aussi l’instabilité politique. La Moldavie a connu cinq gouvernements en moins de deux ans et la corruption demeure ambiante, corruption dont le dernier épisode de cette série est la disparition d’un milliard d’euros, sans que cela ne fasse bondir les autorités moldaves.

Enfin, si la Pologne occupe la scène médiatique, il ne faudrait pas que cette exposition fasse de l’ombre à d’autres démocraties d’Europe de l’Est qui montre qu’elles doivent être consolidées. Il ne faudrait pas que les élucubrations et l’ambition autoritaire du PiS nous empêche de constater que la Roumanie et la Serbie entendent porter atteinte, elles aussi, à la liberté d’expression et de conscience. Toutefois, si, dans le cas de la Serbie, il s’agit de permettre à l’opposition de remplir son rôle comme les principes de la démocratie l’exigent, dans le cas de la Roumanie, il s’agit surtout d’éviter qu’elle se nie et, par là, d’entraver son développement démocratique. N’oublions pas que si la Moldavie n’est actuellement pas membre de l’Union européenne, elle est candidate à l’adhésion. Les responsables ne peuvent rester les bras croisés et tolérer la nécrose de la vie politique moldave et de sa démocratie.

Notes

[1Le Courrier international “Roumanie. Une loi qui ne dit pas son nom”, 7 janvier 2016.

[2Le Courrier international “Serbie. Propagande 2.0”, 7 janvier 2016.

[3Ibidem.

[4Le Courrier international “Moldavie. Le nouveau gouvernement provoque la colère du peuple”, 22 janvier 2016.

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