Pour une Europe des sciences, mais laquelle ?

, par Julien Roussel

Pour une Europe des sciences, mais laquelle ?
Le processus de Bologne doit son nom à la plus vieille université du monde, l’université de Bologne située en Italie. - Gaspa

Depuis ses origines, l’intégration européenne apparaît comme un vaste ensemble de défis, à la fois problématiques et stimulants. Communauté marchande, politique et culturelle, la construction européenne présente ainsi un cadre institutionnel original qui déploie ses spécificités dans tous les domaines de la vie économique et sociale. C’est aussi le cas pour le recherche à travers le processus de Bologne, une uniformisation pas si bénéfique.

Non des moindres, la recherche et le développement émergent dans le projet européen depuis les années 1980 et la mutation des structures commerciales, industrielles et financières du continent s’impose comme un défi clef. Comme toujours, il s’agit pour les membres de l’Union européenne, à partir de différents hymnes nationaux et de traditions pluriséculaires, de composer une partition commune aussi harmonieuse que possible. Voilà sans doute l’enjeu principal du processus de Bologne, lancé à la fin des années 1990.

La mosaïque des systèmes académiques européens

Pour les sciences telles qu’elles se conçoivent aujourd’hui dans la plupart des pays du monde, le continent européen est un berceau vieux d’une dizaine de siècles. On y trouve en effet la plus ancienne université de monde, celle de Bologne, mais également parmi les établissements les plus prestigieux du globe : Cambridge, Oxford, Zurich, Paris et Munich se situent en effet dans le top 50 des universités les plus performantes au classement de Shanghai. S’exprime par ailleurs sur le continent européen une forte diversité de systèmes de structuration de l’enseignement et de la recherche.

À grands traits, l’Europe occidentale est notamment un espace où se confrontent trois modèles dont l’influence et le rayonnement ne se sont jamais démentis. Héritage de 1789 et du Premier Empire, le modèle français se fonde sur un enseignement public géré par l’État ; il s’agit ainsi d’un système centralisé, égalitaire et disciplinaire. C’est-à-dire que tous les programmes sont gérés à Paris, tandis que les diplômes sont supposés d’égale valeur sur tout le territoire. Enfin, l’université se compose de différentes disciplines autonomes — notamment le droit, la médecine, les sciences et les lettres.

Né des réformes prussiennes du début du XIXe siècle, le modèle allemand met davantage l’accent sur la recherche. La reine des matières est bien sûr la philosophie, mais l’organisation scientifique outre-Rhin permet aussi un essor spectaculaire des sciences expérimentales ; jusqu’à nos jours, la chimie illustre par exemple l’excellence du système allemand de recherche, dont les universités s’appuient largement sur les formidables capacités de financement d’une puissante industrie exportatrice. Ce système fait par ailleurs écho au cadre institutionnel et politique de l’Allemagne, en ce qu’il est hautement décentralisé, l’enseignement supérieur et la recherche relevant de la compétence des Länder.

Souvent créées par des chartes royales, les université britanniques sont quant à elles structurées d’une manière qui garantit aux enseignants-chercheurs une large autonomie vis-à-vis des pouvoirs publics. Il s’agit d’un modèle libéral, dont l’influence sur le monde est aujourd’hui décisive. Les missions que ce modèle assigne aux établissements du supérieur sont doubles : enseigner d’abord, chercher ensuite. En cela, la Grande Bretagne constitue un trait d’union entre les deux modèles continentaux présentés précédemment.

Le processus de Bologne

Face à cette pluralité des systèmes nationaux d’organisation du monde académique, les différents acteurs (gouvernementaux, communautaires ou scientifiques) du continent européen entendent établir à la fin du XXe siècle une plus grande cohérence d’ensemble et, par là, favoriser l’émergence d’un modèle universitaire proprement européen. Cette ambition se formalise dans le processus de Bologne, décidé à la fin des années 1990.

Ce processus se résume aisément en un triptyque facile à retenir : uniformisation des systèmes éducatifs européens pour favoriser la mobilité des populations du continent, imposition d’une progression en trois cycles (licence, master, doctorat) et adaptation des enseignements ainsi que des recherches aux exigences de l’entreprise et de la compétition internationale.

Seize ans après son inauguration, les résultats de ce processus d’homogénéisation des sciences sur le continent européen sont controversés. Certes, les étudiants non-européens qui viennent séjourner en Europe sont plus nombreux dans les années 2000 que dans les années 1990, mais la mobilité des étudiants européens eux-mêmes chez leurs voisins n’a guère progressé. De plus, la mise en œuvre de certaines réformes essentielles reste problématique dans des États tels que l’Allemagne et la France.

Une Europe riche de ses diversités ?

Les enjeux du projet européen de développement scientifique et universitaire sont majeurs. Les partisans d’une élaboration fédéraliste des politiques communautaires arguent souvent de l’émergence de géants géopolitiques — les États-Unis et la Chine pour ne citer qu’eux — pour souligner la pertinence d’un renforcement des institutions européennes. La stratégie adoptée depuis plusieurs décennies, dans l’enseignement comme ailleurs, semble malheureusement trop souvent se résumer à une vague uniformisation des divers systèmes nationaux par le prisme de la compétition et de la mobilité des biens, des personnes, des services. Et si, face aux empires renaissants dans le monde, en Amérique, en Russie, en Chine ou ailleurs, la force de l’Union européenne résidait en réalité dans ses diversités ? Des diversités culturelles, économiques, linguistiques, politiques, sociales, qui font la véritable richesse de ses populations et, comme il faut finalement toujours revenir à ces termes asséchés aujourd’hui, son attractivité.

Il n’est pas impossible de trouver quelques vertus au processus de Bologne ; sans doute la mobilité des étudiants européens est-elle un souci légitime, et la meilleure reconnaissance des différents diplômes nationaux dans tous les pays membres est certainement utile. Mais les technocrates bruxellois pourraient davantage s’attacher à respecter les différentes philosophiques portées par les pays membres de l’Union ; dans le cas des sciences comme dans bien d’autres, un regard renouvelé sur les différences des modèles permettrait certainement de déceler des complémentarités fécondes — plus que des oppositions à niveler par les mécanismes du marché.

Pour passer d’un anglais d’aéroport cimentant les échanges d’enseignants-chercheurs chaque jour plus précaires à un dialogue multilingue puisant son originalité dans une pluralité de sociétés ? Il n’est pas interdit de rêver, encore qu’un réel renouveau des sciences européennes nécessiterait sûrement des changements de politique bien plus substantiels, au continent de l’austérité et de la concurrence libre et non faussée.

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