2022 : l’année de l’Europe de Joe Biden

, par Florian Brunner

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2022 : l'année de l'Europe de Joe Biden
Source : Commission européenne

Le voyage de Joe Biden en Europe a été marqué par le choc final d’une rhétorique tumultueuse. Cette dernière séquence était l’aboutissement d’un processus diplomatique prometteur, permettant d’ouvrir une nouvelle ère occidentale. Les États-Unis s’écartent de leur rivalité avec la Chine, pour régénérer leurs relations avec l’Europe et affronter la menace russe. La politique étrangère de Joe Biden trouve enfin un nouvel élan et démontre une énergie créatrice, à la hauteur d’une période redoutable.

L’éloquence spectaculaire de Joe Biden

Joe Biden a entrepris une tournée diplomatique offensive, en Europe, du 24 au 26 mars 2022. Cette opération s’est révélée globalement plus concluante, que le précédent voyage du président américain sur le territoire européen qui s’était déployé du 10 au 16 juin 2021 et s’était achevé par un entretien convenu, avec le despote Vladimir Poutine. Désormais les deux hommes sont devenus des adversaires directs, engagés dans un conflit hybride de grande ampleur. Habitué à une éloquence spectaculaire face à Vladimir Poutine, Joe Biden n’a pas dérogé à ce rituel. Le 17 mars 2021, dans une interview de la chaîne américaine ABC, le président des États-Unis avait qualifié Vladimir Poutine de « tueur ». Interrogé en Pologne, à Varsovie, le 26 mars 2022, durant une rencontre avec les réfugiés ukrainiens, Joe Biden a soutenu la même rhétorique en désignant cette fois Vladimir Poutine comme « un boucher ». Le président américain confirmait ainsi la ligne dure qu’il avait adoptée face à l’autocrate russe, depuis le début de son mandat.

Ce même jour, au château royal de Varsovie, Joe Biden, en dirigeant de la superpuissance militaire et économique américaine, a tenu un discours lyrique et féroce à l’encontre de Vladimir Poutine. Après une séquence très consensuelle avec ses alliés européens, le Président des États-Unis a haussé le ton face à l’ennemi russe désigné et a asséné une série d’attaques, qui lui ont permis d’afficher avec force sa détermination et son autorité, et ainsi de réaffirmer son leadership martial. Joe Biden s’est affiché en chef de guerre occidental, en envoyant un avertissement direct à Vladimir Poutine : « ne pensez même pas à vous déplacer sur un seul pouce du territoire de l’OTAN » et en rappelant la prépondérance de l’article 5 du Traité de Washington « Nous avons une obligation sacrée — nous avons l’obligation sacrée, en vertu de l’article 5, de défendre chaque pouce du territoire de l’OTAN avec toute la force de notre puissance collective. » Le message était clair : si la Russie prenait l’initiative d’engager ses forces sur le sol d’un État membre de l’OTAN, les États-Unis se tiendraient résolument aux côtés de leurs alliés, dans une riposte militaire d’une efficacité redoutable. Les difficultés majeures de la Russie sur le territoire ukrainien, affaiblissent fortement sa crédibilité militaire. Dans ce contexte, Joe Biden a choisi de rappeler avec vigueur la supériorité militaire de l’OTAN et sa forte mobilisation sur le flanc oriental :

« La Russie voulait moins de présence de l’OTAN à sa frontière, mais maintenant nous avons une présence plus forte, une présence plus grande, avec plus de cent mille soldats américains ici, avec tous les autres membres de l’OTAN. »

Joe Biden s’est affiché en leader intraitable, porte-parole d’un monde libre, engagé désormais dans un long combat :

« C’est pourquoi je suis revenu en Europe cette semaine avec un message clair et déterminé pour l’OTAN, pour le G7, pour l’Union européenne, pour toutes les nations épris de liberté : nous devons nous engager maintenant à être dans cette lutte à long terme. Nous devons rester unifiés aujourd’hui et demain et après-demain et pour les années et les décennies à venir. »

« Pour l’amour de Dieu, cet homme ne peut rester au pouvoir »

Par le choix de mots forts, le président des États-Unis a lancé une attaque frontale contre Vladimir Poutine, alors que ce dernier est désormais affaibli dans une invasion laborieuse de l’Ukraine. Ciblant le danger que représente le despote russe, Joe Biden a asséné à la fin de son discours : « Pour l’amour de Dieu, cet homme ne peut rester au pouvoir », soulignant ainsi l’irresponsabilité d’un dictateur isolé, dont les desseins demeurent encore indéterminés, notamment dans l’emploi d’armes de destruction massives, tant biologiques que nucléaires. Cette formule finale, qui a suscité de nombreuses réactions, peut également s’interpréter comme un appel lancé vers la société et les dirigeants russes, afin de faire tomber un homme représentant une menace sérieuse pour la paix mondiale. Le président français, Emmanuel Macron, et le chancelier allemand, Olaf Scholz, ont pris leurs distances avec la rhétorique retentissante de l’hôte de la Maison Blanche, afin de maintenir une position plus ouverte au dialogue avec Vladimir Poutine et de préserver un canal diplomatique orienté vers Moscou. En réalité, ces nuances occidentales se révèlent complémentaires. Dans ce moment de haute intensité stratégique, il est nécessaire pour l’Occident d’affirmer à la fois la force de son hard power et une réelle capacité de médiation.

Un cycle inédit d’ascension stratégique et sécuritaire

La puissance de la menace russe a unifié l’Occident et généré une réelle dynamique pour les démocraties. Le 4 mars 2022, Francis Fukuyama, concepteur de la prophétie de La Fin de l’Histoire, affirmait dans un article du Financial Times :

« Les Ukrainiens, plus que tout autre peuple, ont montré ce qu’est la vraie bravoure et que l’esprit de 1989 reste vivant dans leur coin du monde. Pour le reste d’entre nous, il a sommeillé et est en train d’être réveillé. »

En attaquant La Fin de l’Histoire, Vladimir Poutine a provoqué la régénération d’une énergie pacificatrice et démocratique, qui s’affirme dans le monde. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, mène une importante campagne d’influence au niveau international, en réalisant notamment plusieurs vidéoconférences, comme devant le Congrès américain, les parlements allemand, français ou israélien, ou lors du Conseil européen et du Forum de Doha au Qatar. Le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a déclaré lors d’une Conférence de presse, le 22 mars 2022 :

« Poursuivre la guerre en Ukraine est moralement inacceptable, politiquement indéfendable et militairement absurde […] Il est temps d’arrêter les combats maintenant et de donner une chance à la paix ».

Le 26 mars 2022, en Pologne, au château royal de Varsovie, Joe Biden a réaffirmé la certitude d’une lutte entre un monde libre et une force autoritaire :

« Nous sommes repartis dans la grande bataille pour la liberté : une bataille entre la démocratie et l’autocratie, entre la liberté et la répression, entre un ordre fondé sur des règles et un ordre gouverné par la force brute. »

Joe Biden, Ursula von der Leyen, Charles Michel, Emmanuel Macron et Josep Borrell, bénéficient tous d’un moment politique de forte intensité, leur permettant d’engager l’Occident et l’Union européenne, dans un cycle inédit d’ascension stratégique et sécuritaire. Durant son dernier déplacement en Europe, Joe Biden a incarné de manière bien plus convaincante un leadership mondial pour la démocratie, que lors de ses laborieuses premières tentatives. L’organisation mitigée d’un Sommet mondial sur la démocratie, qui s’était déroulé dans un format virtuel les 9 et 10 décembre 2021, n’avait engagé aucun élan décisif.

Joe Biden, dans les pas d’Henry Kissinger et de Richard Nixon

La politique étrangère américaine n’est pas parvenue à empêcher la guerre en Ukraine, tout comme les initiatives diplomatiques des Européens. Mais désormais l’action internationale des États-Unis semble déterminer une direction claire et même innovante. Joe Biden s’inscrit dans la continuité d’Henry Kissinger et de Richard Nixon, en s’attelant à la refondation des relations euro-américaines. Rompant avec l’unilatéralisme de Lyndon B. Johnson, Richard Nixon avait entrepris directement après son entrée en fonction à la présidence des États-Unis, de se rapprocher de ses alliés européens. Du 23 février au 2 mars 1969, Richard Nixon réalisait un voyage diplomatique à travers l’Europe, en se rendant à Bruxelles, Londres, Bonn, Berlin, Rome, ainsi qu’au Vatican. Cette première tournée européenne avait donné au président américain, la volonté d’inscrire l’unité euro-américaine dans une nouvelle ère. L’achèvement de la guerre du Vietnam avait conduit Henry Kissinger et Richard Nixon, à ambitionner de porter une « année de l’Europe » en 1973, c’est-à-dire de créer un moment diplomatique décisif, redéfinissant les relations euro-américaines, prenant acte d’une ascension de la Communauté économique européenne (CEE) sur la scène mondiale, repensant le rôle de l’OTAN et générant une reconfiguration institutionnelle, ainsi qu’une nouvelle vision politique commune. Cette « année de l’Europe » se révéla confuse et mitigée, alors que le processus global finira par se heurter au choc du Watergate et à la démission de Richard Nixon.

Le président des États-Unis peut faire de l’année 2022, une réelle « année de l’Europe »

Après un retrait chaotique d’Afghanistan opéré en août 2021, Joe Biden est désormais au cœur d’une refondation inédite de la sphère occidentale, de l’influence des démocraties et de l’action de l’OTAN, face à l’affirmation de la menace russe. Ce moment unique lui permet de donner un élan inespéré, aux marqueurs de sa politique étrangère. La rivalité sino-américaine est une réalité, mais les États-Unis ne sont pas parvenus à accomplir leur dessein depuis Barack Obama, c’est-à-dire à opérer un pivot définitif vers l’Asie. Joe Biden doit délaisser la Chine, pour se concentrer sur l’avènement d’une surprise stratégique et la montée en puissance d’une menace inattendue. Le président des États-Unis peut faire de l’année 2022, une réelle « année de l’Europe ». C’est-à-dire la première phase d’une ambitieuse régénération euro-américaine et occidentale. Ce second voyage en Europe pour Joe Biden, est la démonstration de sa volonté politique de s’engager résolument dans une nouvelle ère, en accordant une considération particulière pour l’Union européenne. Sa présence au Conseil européen du 24 mars 2022 a été un geste diplomatique particulièrement fort. Joe Biden réaffirme un leadership américain, en faisant le constat à la fois des limites de la puissance américaine et de l’existence d’une capacité politique, économique et coercitive européenne. Le président des États-Unis pose les fondations d’un leadership partagé avec les Européens, une action qui dépasse la volonté initiale de Richard Nixon et Henry Kissinger, et qui correspond pleinement à la répartition de la puissance au XXIème siècle.

Le 26 mars 2022, dans son discours au château royal de Varsovie, Joe Biden a brandi une action d’envergure dans l’héritage du plan Marshall, avec pour ambition de contribuer à l’autonomie énergétique de l’Union européenne :

« Premièrement, l’Europe doit mettre fin à sa dépendance vis-à-vis des combustibles fossiles russes. Et nous, les États-Unis, vous aiderons. »

La politique étrangère de Washington peut fonder sa volonté de renouveau des relations euro-américaines, dans un environnement international de haute intensité et sur des initiatives stratégiques de grande ampleur. Cette dimension décisive permet à Joe Biden de s’écarter enfin des dérives déclaratoires d’un projet occidental en manque de sens, pour organiser un dispositif sécuritaire déterminant. Sun Tzu écrivait dans L’Art de la Guerre : « Qui excelle à la guerre dirige les mouvements de l’autre et ne se laisse pas dicter les siens. ». Les États-Unis ont retrouvé une capacité d’action considérable et ont engagé un ensemble d’initiatives, afin de contraindre les mouvements de la Russie et de ne pas se laisser enfermer dans les plans de Vladimir Poutine. Le talent de Joe Biden a été de comprendre qu’une refondation des relations euro-américaines, élaborée sur l’ascension d’une Europe géopolitique, lui permettrait d’accroître l’effondrement de son adversaire, un adversaire dont il est résolu à provoquer la chute.

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