Agée de 28 ans, Daphne Büllesbach a étudié les Affaires européennes, les sciences politiques et la sociologie à Londres et à Cambridge. Elle était chargée de coordonner les activités du Festival dans la capitale allemande. Dans un entretien accordé à Treffpunkt Europa, [la version allemande du Taurillon, NDLT], elle nous livre ses impressions. Elle évoque l’impact du Festival sur le public, parle d’une forme de « normalisation » du projet européen pour les jeunes générations et nous confie son objectif : créer une identité européenne.
Le Taurillon : Daphné, le Festival Transeuropa vient de s’achever. Avec le recul, a-t-il été un succès ? Est-ce qu’il a vraiment bien fonctionné ?
Daphne Büllesbach : D’un point de vue berlinois, la réponse est oui. Pour ce qui n’était qu’une première édition, nous avons réussi à mettre le Festival sur pied. D’autant plus qu’il se déroulait à Berlin, où l’offre politique est importante, et où il est possible de trouver chaque soir toutes sortes de manifestations. Le soir où nous avons organisé un débat pour le Festival, il y avait quatre autres événements très intéressants où chacun aurait aussi bien pu se rendre. Il était donc important que nous coopérions avec des partenaires, et nous continuerons à le faire. Je pense que le festival a été un succès, même s’il y aurait certainement pu y avoir plus de monde.
Tu penses que le Festival n’a pas eu un impact suffisant sur le public ?
Daphne Büllesbach : Non, je ne dirais pas cela. En fait, les personnes présentes étaient très engagées. Nous avons eu des discussions vraiment captivantes ; beaucoup de gens sont venus nous dire qu’ils trouvaient notre projet passionnant, et qu’ils y auraient volontiers participé !
D’après toi, pourquoi y-a-t-il eu moins de participants qu’on aurait pu s’y attendre ? Le sujet « Europe » est-il de nature à décourager le public ?
Je pense que beaucoup de gens associent l’Europe à Bruxelles, et à la bureaucratie. Mais cela ne me semble pas être la raison principale. Il y a à tout moment tellement de causes pour lesquelles s’engager ! Et peut-être aussi n’avons-nous pas été suffisamment concrets dans notre approche. C’est aussi à nous d’aller chercher les gens, pour qu’ils s’intéressent à ces sujets.
Dans les débats sur l’Europe, quels sont les thèmes qui manquent ? Quels sont ceux qui pourraient éveiller l’intérêt de la population ?
Le discours médiatique – du moins tant qu’on reste dans du mainstream [grand public, NDLT] – n’aborde qu’un aspect des choses et se focalise sur les crises. En parlant à longueur de temps de la crise de l’euro, on ne risque pas de soulever les foules, même si cela reste un thème très important ! Ce n’est pas de cette façon qu’on arrivera à créer un espace public européen, un espace réunissant des personnes intéressées, profondément européennes, et prêtes à dire : « Nous voulons pousser la coopération au-delà des frontières des Etats nationaux ; nous croyons à la coopération et à la communauté qui existent déjà. »
Irais-tu jusqu’à dire que le projet d’unité européenne est menacé ?
C’est une question difficile, d’autant que chacun parle toujours de son propre point de vue. Comme je suis quelqu’un d’optimiste, j’aurais tendance à dire que non. Nous sommes déjà allés si loin ! Non, je ne pense pas que le projet européen soit menacé. D’un autre côté, si l’on faisait un sondage, la plupart des gens répondraient probablement qu’avec l’Europe il n’est plus possible de rien entreprendre ! Alors peut-être que oui, dans la mesure où dans cette période de crise, les gens pensent à revenir aux Etats nationaux.
C’est ici qu’il faut faire une différence. D’un côté, il y a une Europe qui a été mise en place par les responsables politiques et au sein de laquelle les gouvernements coopèrent. Et cette Europe-là est actuellement mal en point : on n’y voit plus guère de solidarité. Mais en même temps, il y a aussi une Europe des citoyens européens, qui s’identifient à l’Europe mais ne peuvent se reconnaître dans les gouvernements, la Commission ou plus généralement dans les institutions présentes à Bruxelles. La différence entre ces deux contextes est pour nous très importante. Nous croyons en l’idéal d’une Communauté européenne, mais nous observons d’un œil critique ce qui nous vient de Bruxelles.
Est-ce une question de génération ? Des jeunes qui se sentiraient appartenir à la communauté européenne face à des personnes âgées plus critiques ?
Non, je ne crois pas. C’est intéressant car, au cours du Festival, on a posé une question similaire à Ska Keller, une députée de 30 ans qui siège au Parlement européen pour les Verts. Et ce qu’elle a répondu, c’est que l’Europe est pour elle quelque chose de normal. Ses collègues d’une soixantaine d’années s’émerveillent de voir des jeunes européens échanger en permanence les uns avec les autres. Pour eux, c’est vraiment quelque chose de spécial.
Mais pour nous, pour notre génération, et en tout cas pour ceux qui peuvent se le permettre, cette coopération va de soi : nous sommes la génération Erasmus. Ce sentiment de normalité, il ne faudrait pas le sous-estimer. C’est une évolution vraiment incroyable et qui n’existait pas il y a 50 ans. Pour les générations plus âgées, il y a encore quelque chose de spécial, mais pas pour nous. C’est un grand progrès qu’il faudrait poursuivre : faire en sorte que chacun s’installe encore davantage dans cette normalité. Les générations âgées restent sur cette idée qu’il est formidable de ne pas avoir eu de guerre en Europe depuis 60 ans. Pour nous les jeunes, c’est normal, et nous ne pouvons pas en tirer grand-chose. ... Pour nous, le fait de pouvoir communiquer et voyager au-delà des frontières fait partie de la réalité.
Le Taurillon : Tu penses donc qu’il est important de t’engager au sein de Transeuropa ?
Daphne Büllesbach : Je pense que les populations de l’espace européen, qui ont déjà accompli des avancées incroyables en termes d’intégration, doivent encore partager davantage et continuer d’avancer. En tant que jeunes, nous avons déjà beaucoup profité de ce processus d’intégration. Il est important que la crise ne nous fasse pas retomber dans des approches nationales, et que l’Europe fasse encore plus partie de notre normalité. Que l’on puisse dire : « Nous vivons dans un espace européen qui doit continuer à se montrer responsable et solidaire des autres Etats », au lieu d’entendre simplement : « Nous payons pour les Grecs ».
Bien sûr, il s’agit d’un cas particulier ; bien sûr cet exemple est poussé à l’extrême. Mais ce qu’il nous faudrait, c’est quelque chose que l’on puisse définir comme l’identité européenne, une identité dans laquelle les gens puissent se reconnaître. C’est sans aucun doute un projet difficile. L’autre problème, c’est que le processus d’intégration a été poussé tellement loin à l’intérieur de nos frontières, que nous sommes en train de vivre un processus inverse, de fermeture des frontières extérieures. Nous devons nous garder d’une telle dérive. Cet espace au sein des frontières de l’Europe doit être ouvert aux autres, et pas seulement réservé aux Européennes et aux Européens.
1. Le 3 août 2011 à 07:35, par Bal En réponse à : À la recherche de l’Europe des citoyens
l n’y a pas vraiment de citoyen européen ; il y a une sorte de jet-set qui profite d’institutions cadrées pour elle. On a fait une Europe administrative et commerciale basée sur une minorité. Les initiatives partent du haut vers le bas (dont je fais partie). Il fallait former des citoyens, et le reste aurait suivi. Créer des citoyens, oui, mais comment ? Pour ma part, je ne vois qu’une solution, qui a fait ses preuves autrefois : l’Education, gratuite, laïque et obligatoire. Elle a cimenté la France, et toutes les nations européennes. Le service militaire était aussi en France un moyen de cimenter notre nation ; il a été abandonné et ce n’est peur être pas si mal. Peut être aurait-il fallu créer un service civil (mixte) pour compenser ? Les citoyens n’intéressent plus les politiques actuels. Les médias sont à la poursuite de scoops qui empêchent toute réflexion à long terme. Pour ne pas paraître trop idéaliste et moralisateur, je propose une solution (pas LA solution...). 1 - Faire faire une année scolaire par tous les jeunes européens âgés de 16 ans (et plus) en dehors du pays d’origine dans un pays d’accueil européen dont ils ne connaissent pas, ou mal, la langue. 2 - Une année gratuite, laïque et obligatoire. 3 - Une année effectuée dans des campus, creusets de l’Europe, de 400 à 600 élèves, avec 8 à 10% d’encadrants, où les contacts internationaux se muiltiplient.. 4 - Une mixité absolue : sexuelle, sociale, professionelle, culturelle, etc. est nécessaire. 5 - Pour être efficace, chaque jour de cette année doit être divisé en deux activités : une d’apprentissage de la langue du pays d’accueil et de l’anglais, une autre de travail en commun (genre service civil), le travail pratique en commun accélérant l’apprentissage des langues et le rapprochement des individus. 6 - A la fin de cette année, les élèves et leurs enseignants choisiront deux représentants de promotion, un homme une femme, qui auront des devoirs et des droits différents de leurs « conscrits ». Ils seront chargés en particulier d’assurer un « ciment » relationnel avec leurs « conscrits » et leurs professeurs . Une fois rentrés dans leur pays d’origine, ils éliront deux représentants au sein de l’Europe. Dans l’Europe actuelle, cela fera 54 élus, représentants des citoyens de l’Europe car élus à la fois pas des nationaux et par des non nationaux. Ce sera la naissance de l’Europe des citoyens, en complément (et non pas en remplacement) de l’Europe administrative et commerciale. 7 - Pour une institution forte, universelle (TOUS les citoyens sont concernés), il faut une qualité irréprochable de l’ensemble du dispositif.
Certes, cette idée est à priori utopique. Comme l’était celle de Jules Ferry au XIX ème siècle de faire un école pour tous.
Il y aura une multitude de critiques et de résistance Pourtant, c’est par des institutions fortes qu’on crée des pays et non par un système corporatiste et des juxtapositions d’intérêts contradictoires. Créer ces « campus creusets » ne se ferait pas en un jour, on pourrait commencer par des « pilotes » pour créer des citoyens. Mais on n’aura pas d’Europe sans une institution analogue.
Nous sommes une poignée à travailler sur la base de cette idée. Nous aimerions qu’elle se diffuse et soit soutenue. Pour nous rejoindre, écrivez à pierre.bal@alastis .net
Merci de votre attention.
2. Le 5 août 2011 à 10:44, par HERBINET En réponse à : À la recherche de l’Europe des citoyens
De crises en récessions, les pays riches et émergents s’attendent unanimement à de lourdes dégradations. Dans la tourmente et dans la douleur, l’Europe accouche d’une économie de la zone euro en berne, l’endettement étant record, la spéculation étant une contrainte. Oscillante entre inconstance et impuissance, la digue inéluctablement rompt. Gardant le cap sur les vues libre-échangistes, les décideurs politiques et économiques paniquent face à l’amplification des inquiétudes. Eu égard les turpitudes boursières, l’or sert d’actif refuge, son cours s’envole, à l’instar de la ruée vers l’or vécue en Californie en 1848. Par ailleurs, s’ajoute à l’agenda européen le chantier de la transition démographique. Puisque que le vieillissement est plus rapide que le renouvellement démographique, les déséquilibres entre les générations s’accumulent. S’il eût été stratégique naguère d’instaurer un espace européen d’intégration, de coopération, de moralité, de liberté et de régulation, sous les auspices communs de la Paix et de la Démocratie, demain l’européanité et la soutenabilité seront des pierres angulaires à agréger aux forts enjeux du XXIème siècle. Demain le soleil ne se lèvera sur le continent européen qu’ à la maîtrise des immenses enjeux de la démographie européenne, de la soutenabilité des économies de la zone euro, de l’avènement de nos Universités européennes accompagnant les meilleurs fleurons européens gérant la soutenabilité.
L’Europe est avant tout un idéal. La démographie, l’élitisme, l’européanité et la soutenabilité impulseront une progression Humaniste pour le XXIème siècle.
Pierre-Franck HERBINET
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