Allemagne et liberté de la presse

Rapport « Goodbye to Freedom »

, par Horst Keller, Traduit par Fabrice Pozzoli-Montenay

Allemagne et liberté de la presse

Le rapport sur la liberté de la Presse en Europe « Goodbye to Freedom » vient d’être publié par l’Association des Journalistes Européens. Le Taurillon a décidé de publier le résultat de cet énorme travail. Aujourd’hui, voici la situation en Allemagne.

Situation générale

Les médias allemands bénéficient de la protection de la constitution de 1949, la Loi Fondamentale, qui garantit leur liberté de travail et le droit de ne pas dévoiler leurs sources. Ces garanties ont été confirmées à plusieurs reprises dans le passé, et récemment en 2007 dans un jugement de la Cour Constitutionnelle. En août cependant, la décision de juges allemands de lancer des poursuites criminelles contre dix-sept journalistes de grands médias nationaux, incluant Der Spiegel, Die Welt, et Die Zeit, pour la publication de documents classifiés fournis à un comité parlementaire sur les questions de renseignement, a causé de fermes condamnations de la part des représentants des organisations de médias allemands, ainsi que du représentant de l’OSCE pour la liberté de la presse.

Cette affaire est liée à la complicité supposée du gouvernement allemand avec les « vols clandestins » de la CIA, et est examinée ci-dessous. Elle a jeté un sérieux doute sur la situation de la liberté de la presse en Allemagne. Reporters Sans Frontières, dans son rapport sur la liberté de la presse, ne classe l’Allemagne qu’en 23ème place, mettant ainsi en évidence les dégâts causés à la réputation du pays par cette affaire.

Cas d’étude : les enquêtes criminelles contre les journalistes dans l’affaire des « vols clandestins ».

Depuis les premiers jours de la République fédérale allemande, la question de la liberté des médias à publier du matériel sensible lié aux questions de renseignement a toujours été le point sensible. Le premier affrontement entre la presse et le gouvernement post-conflit fut l’affaire du Spiegel en 1962. Rudolf Augstein, éditeur de l’influent hebdomadaire, fut arrêté sur l’accusation de « révélation de secret d’Etat » après avoir publié un rapport très critique sur l’état de préparation des forces armées ouest-allemandes, la Bundeswehr, qui faisait face aux forces du Pacte de Varsovie. Après une longue bataille juridique et politique, qui vit la démission du ministre de la Défense Franz-Josef Strauss, Rudolf Augstein fut acquitté. La Cour constitutionnelle jugea que l’Etat ne pouvait pas restreindre la liberté de la presse à publier des dossiers ayant un intérêt public, même si cette publication impliquait de révéler des secrets d’Etat.

Plusieurs tentatives ont cependant été faites par la police et les procureurs pour restreindre le travail des médias et même inculper des journalistes. Selon l’association des journalistes allemands ((Deutscher Journalisten Verband - DJV), le principal syndicat et organe professionnel du pays, ces pressions ont considérablement augmenté ces dernières années. Dans les seules années 1997-2000, on estime que la police allemande a mené 150 perquisitions dans des bureaux de presse.

La Cour Constitutionnelle a de nouveau jugé en faveur de la presse dans une affaire symbolique en février 2007. Elle a jugé que les autorités avaient violé la liberté de la presse et agi illégalement en perquisitionnant les bureaux du magazine Cicero à Potsdam en 2005. Les juges avaient autorisé la perquisition après que le mensuel ait cité des informations confidentielles provenant de l’agence fédérale de police (Bundeskriminalamt) dans un article sur Abu Musab al-Zarqawi, le chef d’Al-Qaeda en Iraq, qui fut tué l’année suivante. La maison de l’auteur de l’article, Bruno Schirra, fut aussi fouillée, et des données informatiques furent saisies dans chaque perquisition. Le jugement de la Cour Constitutionnelle indique que les fouilles et les saisies, visant à découvrir les sources d’information, étaient anticonstitutionnelles. Cela fut salué comme une importante victoire par les journalistes, qui avaient prévenu que l’enquête Cicero pouvait détruire le travail des médias et conduire à l’auto-censure.

Cependant, en août 2007, des juges de Munich, Francfort, Hambourg et Berlin ont ouvert des enquêtes criminelles contre dix-sept journalistes et plusieurs membres du Parlement sur une affaire de « fuite » de documents classifiés. Cette affaire a éclaté suite à une commission d’enquête parlementaire sur la complicité présumée du gouvernement avec les « vols clandestins » secrets de la CIA, qui auraient utilisé des aéroports allemands pour transporter des terroristes présumés, et sur les activités des services de renseignement en Iraq à l’époque de l’invasion américaine de 2003.

Ces enquêtes ont visé des journalistes de plusieurs journaux importants en Allemagne, comme Der Spiegel, Die Zeit, Sueddeutsche Zeitung et Stern. Les documents publiés dans les journaux fournissaient des détails sur les accusations d’enlèvement et de mauvais traitements faites par deux hommes. Le premier est Murat Kurnaz, un Turc né en Allemagne, qui fut arrêté par les Américains en 2001 et détenu à Guantanamo jusqu’en 2006. Le deuxième, Khalid El-Masri, un Allemand d’origine libanaise, fut apparemment capturé en Macédoine en 2003 et transporté par les agents de la CIA en Afghanistan, où il déclare avoir été maltraité, avant d’être transporté en Albanie où il fut libéré en 2004.

Le juges se sont saisis du dossier après que le président du Comité de Renseignement, Siegfried Kauder, ait déclaré à la télévision allemande que la presse donnait plus de détails sur ces documents classifiés que ce que connaissait les membres de son comité. Pus tard, M. Kauder a reconnu que c’était bien le rôle des journalistes de trouver et publier les informations concernant les actes malhonnêtes de personnages publics officiels.

Lui-même, et des membres de son comité, se sont joints aux voix qui demandaient l’arrêt des poursuites contre les journalistes et les parlementaires. La tentative de poursuivre les journalistes fut vivement critiquée par le représentant de la liberté des médias de l’OSCE, Miklós Haraszti, qui demanda aux autorités « de garantir que les professionnels des médias puissent informer le public sans intimidation ». Le Comité de protection des journalistes (Committee to Protect Journalists), basé à New York, a aussi protesté contre la mise en cause des journalistes dont le devoir, a-t-il déclaré, est de diffuser les informations d’intérêt public.

L’enquête semble être arrivée à son terme quand, quelques jours plus tard, les procureurs de Francfort et Munich annoncèrent qu’ils stoppaient les enquêtes, suite à l’absence de base pour des poursuites. Les autres procureurs suivirent rapidement le mouvement, effectuant ainsi une retraite humiliante. Cet épisode qui fut d’abord perçu comme une tentative malsaine d’empêcher les médias d’enquêter sur les tromperies et les supercheries du gouvernement se termina donc dans la confusion et la moquerie.

Conclusion et action future

Ces tentatives récentes de limiter ou d’interférer dans le travail des journalistes qui enquêtent sur des dossiers politiques importants représentent un signal d’alerte qui doit être pris au sérieux.

L’Allemagne se veut un modèle en matière de liberté de la presse, mais la capacité de la presse à travailler sans crainte de poursuites nécessite d’être constamment défendue et réaffirmée.

Le Taurillon remercie l’Association des Journalistes Européens pour l’autorisation de publier cet issu du rapport « Goodbye to freedom » et de sa mise à jour du mois de février 2008.
Illustration :

 drapeau de l’Allemagne ; source : wikipedia

 logo de l’AEF

 logo du rapport « Goodbye to freedom »

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