Alsace, Irlande, France : Mêmes erreurs et mêmes leçons ?

, par Alex Joubert

Alsace, Irlande, France : Mêmes erreurs et mêmes leçons ?
© geoterranaute

A la surprise des sondeurs et des analystes, le référendum alsacien de dimanche 7 avril s’est conclu par la victoire du « non » à la création d’une nouvelle collectivité territoriale unique. Le refus haut-rhinois a fait échouer un projet trentenaire unanimement jugé comme étant une décision d’avant-garde relevant du bon sens. Ainsi, comme dans le cas de la Constitution Européenne en France en 2005 ou du Traité de Lisbonne en Irlande en 2008, le peuple exprime clairement son opposition à un projet pourtant jugé conforme à l’intérêt général par une large majorité des leaders politiques. Dès lors, tirer les leçons du « non alsacien » peut être salutaire pour éviter de nouveaux échecs référendaires et faire avancer le projet de construction européenne.

Un vrai élan brisé par de faux arguments ?

Comme pour les traités européens rejetés en France et en Irlande, le projet qui n’a pas été approuvé par les Alsaciens est le fruit d’une longue réflexion et maturation politique plébiscitée par une majeure partie de la classe politique et médiatique. Déjà défendue àl’Assemblée par quelques députés bas-rhinois minoritaires sous la IIIème République puis par le sénateur Goetschy en 1983 , l’idée d’une fusion des deux conseils généraux alsaciens avait été reprise en 2002 par l’actuel président du conseil régional d’Alsace Philippe Richert. Le projet final prévoyait de fondre les trois assemblées alsaciennes (deux conseils généraux et le conseil régional) en une collectivité unique à l’allemande avec à la clé un louable choc de simplification dans le mille-feuille territorial bureaucratique français.

Au final, les Alsaciens rejettent ce qui constituait un véritable élan décentralisateur, une entrée de plein pied dans le XXIème siècle. Non pas la faute à l’affaire Cahuzac (raisonnement simplificateur dressé dans la précipitation par les médias) mais à des querelles de clochers ataviques, englobant tout à la fois un antagonisme historique entre les deux départements et la crainte haut-rhinoise d’être phagocyté par Strasbourg. Une peur qui fut d’ailleurs largement instrumentalisée par le maire UMP de Colmar Gilbert Meyer qui a appelé à voter « non » de manière retentissante, craignant la disparition inventée de toute pièce de la préfecture ou de la cour d’appel de sa ville. Le coup d’éclat de Meyer serait par ailleurs largement motivé par des antagonismes sur un certain nombre de dossiers avec le Bas-Rhin, notamment concernant la 2ème phase du TGV Rhin-Rhône.

En somme, l’intérêt particulier et les considérations court-termistes semblent avoir influé le vote de dimanche. C’est l’absence de projection et de vraie vision à long terme qui comme pour la Constitution Européenne en 2005, empêchent un projet qui incontestablement, servait l’intérêt général. La peur du fonctionnaire haut-rhinois muté à Strasbourg est de même nature que celle du plombier polonais : un prétexte, une mystification qui cache une inflexible peur du changement, une crainte de l’avenir et un manque de courage qui empêchent de s’engager dans de vrais projets modernes porteurs de progrès.

Le danger du bien fondé de l’expert

Dès lors, face au verdict insatisfaisant d’une vox populi influencée par des arguments fallacieux, la tentation de braver les résultats du référendum est grande, comme avec le projet de constitution de 2005 dont la version allégée fut adoptée deux ans après par la voie législative. Comme en 2008 également avec le traité de Lisbonne puisque les Irlandais ont gentiment été priés de revoter un an plus tard. En Alsace, le même son de cloche se fait entendre quoi que plus implicitement évidemment, moins d’une semaine après le vote : déjà, un rapprochement des agences économiques et surtout des trois organismes touristiques alsaciens sont évoqués.

La vieille prénotion du français râleur, incapable de changer et de saisir les vrais enjeux, « noniste » perpétuel et sans cesse dans une attitude de rejet risque donc à nouveau de pousser à déconsidérer le résultat du référendum et à en faire fi pour sur le long terme, mettre en place une collectivité unique qui n’en dira pas le nom avec de vastes transferts de compétence. Ainsi, Europe-Ecologie Les Verts s’est fendu d’un communiqué en affirmant que le mouvement persistera « sur la durée à promouvoir cette fusion ». Comme en France en 2005 , on expliquera le « non » par des vieilles chimères d’arrière garde et on imposera une « mini-Constitution » par la force.

Or, cette solution n’est pas non plus viable : le risque est d’alimenter la défiance envers le monde politique et de rompre sensiblement la confiance avec les citoyens alors même que notre société est rongée par cette « défiance » à tous les échelons, pointée par Yann Algan et Pierre Cahuc. On ne peut pas comme en 2005 et en 2008, imposer des référendums avec une seule réponse acceptable, l’autre étant considéré comme une « mauvaise réponse » qu’il s’agit de corriger. Ce sont des solutions de court-terme, parfois inévitables, mais qui ne constituent pas une voie viable sur le long terme sous peine d’entraîner un vrai rejet du monde politique dans son ensemble. C’est d’autant plus vrai pour la construction européenne qui a déjà grillé trop de jokers : il n’y a plus de possibilité de braver d’éventuels prochains « non » référendaires sous peine d’entamer la crédibilité et l’appui populaire du projet européen.

Convaincre : l’incontournable mot d’ordre des élus

Ce qu’on peut retenir des trois « non » successifs français, irlandais et strasbourgeois c’est que le refus des électeurs est notamment motivé par un certaine incompréhension des projets proposés : la peur du changement, c’est au fond la peur du flou, la crainte de l’incertitude. Ainsi, parmi ceux qui ont voté au référendum irlandais en 2008, la première raison avancée était un déficit d’information (22%) . Quant aux abstentionnistes, 52% avaient dit ne pas être allé voter par manque de compréhension des enjeux. Luc Rouban du CEVIPOF dresse un constat similaire : à chaque référendum sur une question institutionnelle, il y a souvent une mauvaise perception des enjeux par les électeurs.

Dès lors, la solution passe dans la nécessité de convaincre les électeurs. Le travail doit venir en amont, il doit venir des élus dont le rôle est d’engager une dynamique favorable aux perspectives qu’ils dressent, de convaincre du bien-fondé des projets qu’ils portent. Un déficit de confiance et de pédagogie pèse sur notre démocratie dont un des fondements est justement le nécessaire et inévitable devoir d’explication des élus. Tant que les élus ne s’évertueront pas à donner envie de croire au projet européen, la sempiternelle menace « noniste » reviendra toujours de plus belle et le « non » restera cet horizon indépassable. Sans pédagogie, sans placer la conviction au centre des projets, les leçons du « non » alsacien ne seront pas tirées et le projet européen s’embourbera dans la défiance.

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Vos commentaires
  • Le 23 avril 2013 à 08:25, par Valéry En réponse à : Alsace, Irlande, France : Mêmes erreurs et mêmes leçons ?

    Le déficit d’information perçu est réel mais il ne s’explique pas par l’absence d’information. Le fait est que toutes les données nécessaires sont disponibles, en ligne notamment.

    Le problème est l’écart entre le niveau d’information et de culture politique requis pour comprendre les projets soumis à référendum et leurs conséquences et la pratique politique réelle de la plupart des citoyens qui sont rares à consacrer un temps significatif à se documenter et à s’informer sur des enjeux qui ne les concernent pas directement au quotidien. Or les questions institutionnelles et européennes apparaissent au premier abord particulièrement abstrait.

    Peu d’entre nous peuvent se targuer de pouvoir se prononcer de manière éclairée sur tous les sujets susceptibles de faire l’objet d’une décision politique et d’être soumis à une consultation. Sur de nombreux enjeux il est nécessaire de se fier aux experts et aux orientations proposées par des leaders d’opinion.

    Faut-il pour autant abandonner le référendum ? Peut être pas mais son usage implique un investissement bien plus grand dans l’instruction civique et une culture et des pratiques politique très largement renouvelée. Les outils de communication numérique contribuent à la revendication d’une participation plus directe mais cette revendication va-t-elle au delà des « élites marginalisées » (je désigne ainsi pour aller vite, les bac+5 qui ne font pas partie de l’establishment politique qui prend part de près ou de loin aux décisions).

    La solution me semble plus de faire renaître une véritable culture du débat politique et de la recherche d’accords véritablement majoritaires. Ceci ne peut se faire à travers des mécanismes institutionnels suscitant l’apparition artificielles de majorité comme c’est le cas aujourd’hui avec ce mode de scrutin truqué qu’est le scrutin majoritaire mais uniquement à travers un système représentatif basé sur la proportionnelle c’est à dire véritablement représentatif.

  • Le 28 avril 2013 à 01:39, par Xavier C. En réponse à : Alsace, Irlande, France : Mêmes erreurs et mêmes leçons ?

    Les querelles politiques, le manque de vision à long terme, c’est vrai.

    Mais encore faut-il ajouter que cette réforme n’était pas bonne, parce que ce n’était pas une vraie fusion.

    On avait encore une chambre de Haute-Alsace et une chambre de Basse-Alsace. Tout était fait pour garder le maximum de postes aux amis...

    Sauf erreur de ma part, l’argument en faveur d’une baisse des coûts était de moins de 1% sur plusieurs années...

    Les Alsaciens se sont massivement abstenu.

    Quant à ceux qui ont voté contre, je serai d’avis que soit c’était des fonctionnaires soucieux de protéger leurs postes, soit des électeurs qui avaient compris que c’était pas bien consistant.

    Le jour où les politiciens arrêteront de penser à leurs sièges et qu’ils cesseront de nous prendre pour des buses, donc le jour où ils nous proposeront une vraie fusion, là ce sera probablement différent.

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