Carton rouge à Martin Schulz

« Si l’Europe ne s’unit pas, son poids politique sur la scène internationale en pâtira »

, par Roberta Carbone, traduit par Sophie Trapitzine

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Carton rouge à Martin Schulz
Martin Schulz, Président du Parlement européen Auteur : Services audiovisuels du Parlement européen - Certains droits réservés

Le 19 septembre dernier, le président du Parlement européen, Martin Schulz, a participé à un débat organisé par l’Université libre de Bruxelles et l’Institut d’Études européennes, en présence de deux porte-paroles politiques belges, Didier Reynders et Paul Magnette, ainsi que deux universitaires, Mario Telò et Guy Haarscher. Une première, puisque M. Schulz participait pour la première fois à un débat dans cette université.

Raison de plus, peut être, pour s’attendre à une prise de position ferme et déterminée. D’autant plus après le discours du Président de la Commission Barroso sur l’état de l’Union tenu devant le Parlement européen le 12 septembre dernier, qui avait suscité l’enthousiasme de l’assemblée. Toutefois, ce courage, que l’on croyait désormais de mise pour une Europe enlisée dans une crise, plus politique qu’économique, et dont on ne voit pas la fin, a une fois encore manqué à l’appel.

Schulz a ouvert son discours sur une déclaration brutale : « L’Europe est mortellement menacée ». Sur la base de cette affirmation, le Président du Parlement européen a vanté les mérites de la méthode communautaire, par opposition à la méthode intergouvernementale. Seule la première serait en mesure de garantir un équilibre entre les pouvoirs des institutions européennes, cet équilibre pesant aujourd’hui en faveur du Conseil européen. Si l’on suit son raisonnement, la méthode communautaire, celle-là même qui a permis dans le temps d’amener la paix et la démocratie en Europe, empêcherait que les plus puissants n’asservissent les plus faibles.

Qui serait alors à l’origine de cette répartition des pouvoirs au sein de l’Union européenne ? Les chefs d’État ou de gouvernement réunis au Conseil européen seraient les principaux responsables (et probablement les seuls selon lui) : ces derniers ont privilégié les décisions à l’unanimité, caractéristiques de l’inter-gouvernementalisme, aux décisions prises à la majorité, propres à la méthode communautaire. Selon le président du Parlement européen, le Conseil européen se serait arrogé le droit de gouverner l’Union européenne, alors même qu’« un juste compromis entre les intérêts portés par les différentes institutions (européennes) [était] nécessaire ». Si, pourtant, nous devons considérer le Conseil européen en tant que gouvernement de l’Union, poursuit Schulz, nous devons dès lors dresser un bilan de ses actions. Or, les réussites ont été rares, ce qui fait dire au Président qu’un tel gouvernement ne serait jamais réélu au niveau national.

C’est justement sur ce point que nous nous attendrions à ce que le Président du Parlement européen dresse les conclusions nécessaires : seule une Union européenne fédérale pourrait garantir un équilibre entre les pouvoirs institutionnels, un gouvernement européen légitimement élu par les citoyens ainsi qu’un Parlement européen disposant des pouvoirs fondamentaux. C’est dans ce contexte seulement qu’un tel Parlement pourra proposer les réformes justes afin de préserver les équilibres économiques et sociaux en Europe et le droit à l’égalité des citoyens européens, aujourd’hui relégués à une citoyenneté de première ou de seconde zone.

Pourtant, les paroles de Schulz n’ont pas laissé transparaître cela. Ce dernier, au fond, s’est limité à proposer une critique, souvent sarcastique, des actes du gouvernement allemand. Selon lui, le gouvernement d’Angela Merkel, à la tête d’une Union européenne qui ne parvient pas à sortir de la crise, risque de rendre l’Allemagne « trop grande pour l’Europe mais pas assez pour le monde », et a négligé la dimension sociale de l’intégration européenne. Il peut, enfin, lui être attribué la majeure partie de la responsabilité des échecs européens de ces dernières années. En somme, les paroles de Schulz ont davantage rappelé un discours de campagne électorale, que le discours d’un président se confrontant à l’impuissance de l’Institution qu’il représente, le Parlement européen.

Si, de fait, le Conseil européen n’est pas en mesure de résoudre la crise et a préféré revenir à l’inter-gouvernementalisme, en faisant de nombreux pas en arrière par rapport aux progrès réalisés avec le Traité de Lisbonne, il faut aussi prendre en compte ce qu’est devenu le PE dans toute cette histoire : le Parlement a délégué au Conseil européen tous les pouvoirs, se contentant de rares initiatives, qui plus est, peu ambitieuses. Nos euro-parlementaires, élus directement par les citoyens, auraient le devoir de faire entendre leur voix : alors que dans les médias l’on discute désormais ouvertement aussi bien de la dissolution de la zone euro que de la création d’une fédération européenne, le débat au Parlement n’avance pas.

L’on pourrait se demander pourquoi l’unique institution vraiment représentative des citoyens de l’Union européenne n’a pas encore pris l’initiative d’une réforme des traités ou, encore mieux, de l’élaboration d’une Constitution européenne. Une constituante pourrait enfin doter cette Union d’une constitution, qui déterminerait les droits et les devoirs de tous ses citoyens et des États, mettrait fin à la « dictature » du Conseil européen sur les autres institutions, et permettrait, en somme, à l’UE de devenir un État fédéral.

Nous nous serions attendus à ce qu’un euro-parlementaire du S&D – un des deux groupes les plus importants au PE- dont fait partie Schulz, souligne au moins la nécessité pour les partis de proposer aux prochaines élections européennes des candidats à la présidence de la Commission européenne, au lieu d’en laisser la nomination, en substance, aux gouvernements. Nous nous serions attendus à ce que le président du Parlement européen, face à des étudiants, ne se limite pas au slogan du « Si l’Europe ne s’unit pas, son poids sur la scène internationale en pâtira », mais apporte de l’espoir, en donnant confiance dans la seule institution réellement représentative des citoyens européens. Les jeunes européens n’ont pas besoin de paroles vides de sens, ils ont besoin de pouvoir croire que l’Europe peut être encore porteuse d’espoirs. Or, tout ceci était loin d’apparaître dans le discours de Schulz.

Vos commentaires
  • Le 3 novembre 2012 à 21:07, par wikiconstitution En réponse à : Carton rouge à Martin Schulz

    Bonjour,

    Nous sommes beaucoup à désirer que les politiques aient le courage de tracer une voie européenne, hélas, n’en n’ayant pas la vision, ils ne peuvent le faire. Empêtrés dans les problèmes institutionnels qu’ils ont en partie créés, ils n’ont d’autre choix que de faire survivre le système actuel car leur poste, leur situation sociale en dépend.

    Tous les démocrates souhaitent une constituante, mais pour cela, il faut un état, et l’Union Européenne n’est pas un état. Alors que faire ? Nous pouvons utiliser les textes en vigueur, n’en déplaisent à tous ceux qui se sont arrogés le sujet, ils sont interprétables en ce sens : une initiative citoyenne européenne sur les institutions est possible.

    Par voie participative, nous, les citoyens européens, pouvons bâtir un texte constitutionnel qui serait présenté aux peuples européens par référendum.

    Avant de dire que c’est impossible, argumentez juridiquement. Il nous reste peu de temps si nous voulons donner une chance à l’union politique.

    Venez participer au débat et signez la pétition sur www.wikiconstitution.eu

    Henri Alfandari

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