Carton rouge à Silvio Berlusconi pour ses menaces de véto au Conseil européen

, par Fabien Cazenave

Carton rouge à Silvio Berlusconi pour ses menaces de véto au Conseil européen

Silvio Berlusconi menace de bloquer le Conseil européen parce que la Commission européenne ose lui reprocher quelque chose sur sa politique d’immigration. La méthode intergouvernementale est bien le cancer de l’Europe.

La Commission a formulé une demande d’éclaircissement au sujet du refoulement dimanche 1er septembre par les autorités italiennes vers la Libye d’un bateau chargé de 75 clandestins. En effet, Bruxelles s’inquiète du risque de voir des réfugiés vulnérables, ayant des raisons tout à fait valables pour demander l’asile en Europe, être repoussés sans avoir pu faire valoir leurs droits.

Furieux de se voir ainsi indirectement critiqué, Silvio Berlusconi a déclaré à Gdansk (pour le 70e anniversaire du début de la Seconde Guerre mondiale) : « Ma position est sans équivoque et précise : nous n’accorderons plus notre vote, bloquant de fait le fonctionnement du Conseil à moins qu’il soit admis qu’aucun commissaire ou porte-parole d’un commissaire n’intervienne publiquement sur ce sujet. Je vais demander que les commissaires et les porte-parole des commissaires qui poursuivent dans cette voie depuis des années soient renvoyés. Cela ne peut plus continuer car dans chaque pays cela fournit des armes à l’opposition. »

La réponse est venue mercredi 4 septembre du principal Commissaire concerné, le Français Jacques Barrot, chargé des questions d’immigration : « Nous sommes dans notre rôle (...). Ça ne vaut pas la peine de s’attarder à des commentaires qui ne me paraissent pas avoir d’objet. Quand il s’agit de problèmes qui affectent un État membre (de l’Union européenne), comme l’Italie ou autre, nous devons demander un certain nombre d’explications », a-t-il déclaré.

Carton rouge à M. Silvio Berlusconi pour ses menaces

Le « Cavaliere » (son surnom en Italie) a l’habitude des déclarations tapageuses. C’est sa marque de fabrique. Mais là, il a franchi une nouvelle étape en passant au stade de la menace sur le plan institutionnel. C’est un peu utiliser un marteau-pilon pour écraser une mouche.

Il est dans une logique intergouvernementale, le cancer de la construction européenne : nous sommes tous égaux en tant qu’État, nous ne pouvons donc pas nous faire reprocher quoi que ce soit sans rompre cet équilibre. Il place d’ailleurs dans sa déclaration le Conseil européen au dessus de tout. La Commission européenne étant à ses yeux une simple administration. Ce n’est donc pas du côté du Conseil européen que la Commission trouvera une légitimité politique mais bien de celui du Parlement européen, représentant des citoyens et non des États dans le mécano institutionnel européen.

Cette déclaration peut faire penser à la politique de la « Chaise vide » avec De Gaulle en 1965. D’après L’Europe pour les Nuls [1], en 1965 face aux velléités d’indépendance de la Commission européenne sous la présidence de Walter Hallstein, « le gouvernement français annonce qu’il cessera de siéger au Conseil [...] jusqu’en janvier 1966. La France laisse sa chaise vide à la table des discussions. » L’attitude de Berlusconi est donc dans la lignée de cet acte politique... en pire.

Berlusconi : seul héraut de la méthode intergouvernementale ?

Faisons attention, M. Berlusconi n’est pas le seul acteur de la méthode intergouvernementale en Europe. Les métastases de ce cancer qui guette l’Union européenne apparaissent de plus en plus : tensions entre Slovaquie et Hongrie, entre Slovénie et Croatie future membre, préparation du G20 avec une vision franco-allemande plutôt qu’européenne, une forte abstention des citoyens aux dernières élections européennes...

Silvio Berlusconi met le doigt dans un engrenage très dangereux : demain tous les autres pays pourront faire de même, que cela plaise ou non aux Italiens. Or, un Conseil européen paralysé avec les institutions communautaires toujours sous le régime du Traité de Nice (mais ce sera pareil avec le Traité de Lisbonne) empêchera l’Union européenne de tourner rond.

L’intérêt national porté par nos représentants gouvernementaux est normal puisque nous les élisons pour ça. Le problème vient du fait que cet intérêt national est plus fort que notre intérêt communautaire. Surtout avec une Commission européenne actuelle qui se comporte comme le secrétariat du Conseil.

Illustration : photographie de Silvio Berlusconi réalisée par Lorenza e Vincenzo Iaconianni. Source : Wikipedia.

Notes

[1de Sylvie Goulard, présidente du Mouvement Européen - France

Vos commentaires
  • Le 6 septembre 2009 à 10:30, par Arnaud En réponse à : Carton rouge à Silvio Berlusconi pour ses menaces de véto au Conseil européen

    Les institutions c’est important, mais ce sont aussi des hommes qui les animent et les font vivre,...le cas échéant qui les discréditent et les détruisent.

    Cela du reste se vérifie aussi parfois au plan national...

  • Le 6 septembre 2009 à 10:42, par Fabien En réponse à : Carton rouge à Silvio Berlusconi pour ses menaces de véto au Conseil européen

    Avec ce qu’il se passe actuellement en Italie, Berlusconi est entrain de nous faire une paranoïa-ite aigüe :

    voir le scandale Boffo

  • Le 6 septembre 2009 à 12:20, par Ronan En réponse à : Carton rouge à Silvio Berlusconi pour ses menaces de véto au Conseil européen

    D’où l’intérêt d’inventer des institutions suffisament bien pensées qu’elles obligent mécaniquement les politiques à bien se comporter.

    Car ce qui se produit à ce jour, c’est strictement l’inverse : des institutions bancales et malfoutues dont les failles encouragent les politiques à faire un peu n’importe quoi.

    Que nos politiciens nationaux soient des bourriquots, c’est une chose, soit. Mais qu’on les encourage ainsi à foutre le bordel, s’en est une autre.

    Quant à s’en reposer sur leur hypothétique bonne volonté et improbable sens de l’intérêt général, ça frise l’inconscience...

  • Le 6 septembre 2009 à 12:34, par Ronan En réponse à : Carton rouge à Silvio Berlusconi pour ses menaces de véto au Conseil européen

    Vexé d’une "intervention" communautaire, Berlusconi réinvente le compromis de Luxembourg. Quelle imagination !

    Nb : compromis de Luxembourg : dans le glossaire du jargon communautaire, c’est l’expression qu’on utilise pour désigner l’attitude d’un Etat membre qui a décider de bouder voire de faire chier tout le monde parce qu’il est vexé...

    Et décidé de faire appel à l’arbitrage de ses pairs « Etats » pour trancher - bien entendu en sa faveur - quand il n’est pas content content d’une décision communautaire émanant de la Commission.

    Les Etats mus par l’égoïsme national, invoquent puis instrumentalisent l’égoïsme national de leurs voisins pour mieux paralyser la machine. Bel esprit.

  • Le 6 septembre 2009 à 20:22, par Arnaud En réponse à : Carton rouge à Silvio Berlusconi pour ses menaces de véto au Conseil européen

    L’U.E porte en germe une rationalisation des institutions politiques. C’est peut-être pour ça que nos politiques ne l’aiment pas trop, mais c’est peut-être aussi pour ça qu’elle a fait rêver et continue de faire rêver au delà de nos frontières (je pense à l’Afrique avec l’Union Africaine par exemple...)

  • Le 7 septembre 2009 à 13:33, par Tarot En réponse à : Carton rouge à Silvio Berlusconi pour ses menaces de véto au Conseil européen

    Je me permets de souligner que le gouvernement italien fait preuve dans cette affaire d’une mauvaise foi scandaleuse, à reprocher à l’Europe - et surtout à la Commission - ses positions sur l’immigration et les demandeurs d’asile. Car qui se cache derrière la Commission et sa DG Justice, Liberté et Sécurité ? Certes Jacques Barrot depuis 2008, mais surtout Franco Frattini entre 2004 et 2008, actuel ministre des affaires étrangères italien ! Il serait grand temps que les hommes politiques européens fassent converger leurs lignes politiques nationales et supranationales, et cessent de critiquer l’action (ou l’inaction, en fonction) de l’europe une fois rentrés au pays !

  • Le 8 septembre 2009 à 00:01, par Kulteuro En réponse à : Carton rouge à Silvio Berlusconi pour ses menaces de véto au Conseil européen

    Très belle remarque !

  • Le 8 septembre 2009 à 07:53, par Ronan En réponse à : Carton rouge à Silvio Berlusconi pour ses menaces de véto au Conseil européen

    Hé, hé : bien vu pour Frattini !

    « Nationaliser » les succès européens et « européaniser » les déboires nationaux : c’est donc bien le « truc » aujourd’hui à la mode chez nos gouvernants.

    Reste à savoir pourquoi nos gouvernants « nationaux » ne se font pas davantage sanctionner par les citoyens pour cette indicible mauvaise foi à propos de l’Europe...

  • Le 8 septembre 2009 à 21:18, par Tarot En réponse à : Carton rouge à Silvio Berlusconi pour ses menaces de véto au Conseil européen

    Entièrement d’accord ! La sanction devrait arriver par les urnes ! Mais le flou entretenu (volontairement ou involontairement, qui peux le dire ?) par les partis et les médias sur les personnalités qui incarnent physiquement l’Europe n’aide pas tellement. Bruxelles ici, Bruxelles là, on ne sait jamais qui prend les décisions, ce qui permet à l’échiquier politique nationale de se dédouaner sans problème de ce qui se passe au niveau européen, et de se poser ensuite en victime des directives de la commission. Il faut que les citoyens sachent qui sanctionner, car à désincarner les institutions, c’est l’Europe elle-même qui se fait sanctionner à chaque scrutin !

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