Carton rouge aux créationnistes en Europe

, par Maël Donoso

Carton rouge aux créationnistes en Europe

Il faut parfois prendre le temps de s’amuser, et nous ne pouvons pas laisser l’année Darwin se conclure sans lancer un carton rouge aux créationnistes qui, en Europe comme ailleurs, semblent s’obstiner à vouloir jouer les clowns. Ce qui serait amusant si l’accès à l’éducation et à la connaissance scientifique n’était pas un droit fondamental pour tous les citoyens.

Commençons par un rapide état des lieux. En 2004, Letizia Moratti, alors Ministre italienne de l’Éducation et de la Recherche, a proposé d’interdire l’enseignement de l’évolution dans les écoles primaires et secondaires d’Italie. Plusieurs de ses homologues, en particulier aux Pays-Bas (en 2005) et en Pologne (en 2006), ont également pris position contre l’évolution et en faveur du créationnisme [1]. Face à cette attaque en règle du débat scientifique par les courants intégristes, le Conseil de l’Europe a adopté, après maintes aventures, la fameuse résolution 1580 sur les dangers du créationnisme dans l’éducation, qui encourage les États membres à « défendre et à promouvoir le savoir scientifique », et à « s’opposer fermement à l’enseignement du créationnisme en tant que discipline scientifique » [2].

L’origine du débat

Le créationnisme avance rarement à visage découvert, et ses outils, comme le rappelle la résolution 1580, sont de trois types : « des affirmations purement dogmatiques, l’utilisation déformée de citations scientifiques illustrées parfois par de somptueuses photos et le recours à la caution de scientifiques de renom qui ne sont, la plupart du temps, pas spécialistes de ces questions ». Avec ces méthodes pour le moins ambiguës, les créationnistes tentent de s’introduire subrepticement dans le débat scientifique, pour y avancer la thèse d’une origine surnaturelle de la vie et de l’humanité, qui auraient été créées de toute pièces, ou du moins « intelligemment designées ».

Si ce renouveau de l’obscurantisme touche fortement les États-Unis, l’Europe n’est donc pas épargnée, et ce débat devrait tout particulièrement interpeller ceux qui souhaitent faire de l’espace européen un lieu construit sur la liberté individuelle et la valorisation du savoir [3]. Rappelons en effet que l’évolution et ses mécanismes, par exemple la sélection naturelle, sont des théories scientifiques validées par un corpus extrêmement étendu de preuves paléontologiques, génétiques et expérimentales. À l’inverse, les différentes formes du créationnisme, y compris sa mutation la plus élaborée, ci-après l’Intelligent Design, reposent sur un petit nuage éthéré portant l’étiquette : « foi ».

Ces prémisses étant posées, nous pouvons à présent nous amuser un peu à observer les différentes espèces de créationnisme susceptibles de se trouver dans l’espace naturel européen. Toutes ces espèces sont nuisibles, mais leur apparence et leurs modes de vie peuvent varier, et le promeneur avisé apprendra à se méfier de chacune. Ce petit guide permettra au zoologue amateur de se repérer dans ce bestiaire.

Une histoire naturelle du créationnisme

Un peu archaïques tout de même, les membres apparentés à l’ancienne Flat Earth Society, autrefois domiciliée en Californie, défendent l’idée d’une Terre plate et rejettent comme une imposture toutes les preuves selon lesquelles notre planète aurait une forme sphérique [4]. La « Flat Earth Theory » est une espèce plutôt exotique, et les chances de la croiser sous nos longitudes européennes sont plutôt minces. Plutôt comiques, les arguments de cette branche obscurantiste tombent souvent à plat.

Pour les tenants de la « Young Earth Theory », l’interprétation des origines du monde selon la théologie chrétienne doit être littérale, et la Terre serait donc vieille de six mille ans environ. Cette lignée de créationnistes, essentiellement américaine, a comme biotope central le portail Answers in Genesis, qui présente un panel de thèses amusantes sur l’arche de Noé, les dinosaures ou encore la femme de Caïn [5]. Il n’est pas exclu que cette espèce primitive mais tenace puisse migrer jusqu’en Europe, ce qui appelle à une grande méfiance vis-à-vis du risque d’invasion biologique.

Les partisans de la « Old Earth Theory », plus subtils, font quelques compromis vis-à-vis des connaissances scientifiques. Ils préconisent en particulier une lecture plus symbolique que littérale de la théologie chrétienne, et admettent que la Terre pourrait avoir quelques millions d’années derrière elle. Cette lignée de créationnistes, sorte d’hybride entre le fondamentalisme religieux et une once de pensée pragmatique, est plus répandue que les précédentes, et se rencontre également sous nos longitudes. Plus discrète que la Young Earth Theory grâce à son camouflage de rationalité, elle se fond plus aisément dans le discours scientifique et doit donc être considérée avec prudence.

La lignée de l’« Intelligent Design », qui a évolué à partir de celle de la Old Earth Theory, a développé des capacités de mimétisme encore plus élaborées. Imitant le discours scientifique, les tenants de l’Intelligent Design admettent que l’histoire de la vie sur Terre s’est déroulée selon une ligne évolutionniste, mais avec une finalité surnaturelle, voire de petits coups de pouce cosmiques de temps en temps. Bel exemple d’adaptation d’une idée intégriste dans un environnement contemporain, l’Intelligent Design est la preuve que les créationnistes ne manquent pas d’ingéniosité.

La descendance des Lumières

À l’heure où l’espace public européen prend son essor, nous devons sérieusement nous demander sur quelles fondations nous allons le construire. Allons-nous laisser l’Europe se faire envahir par des impostures intellectuelles aussi considérables que le créationnisme sous toutes ses formes ? Ou allons-nous renouer avec l’héritage des Lumières et promouvoir l’objectivité, la laïcité, l’accès au savoir et à l’éducation ? Les idées que nous choisirons de défendre, et le courage ou la lâcheté que nous montrerons face aux courants intégristes, feront beaucoup pour fonder l’Europe du futur.

Le combat à mener est à la fois intellectuel et politique, et porte en lui un véritable choix de société. L’Europe que nous défendons, modèle démocratique reposant sur un contrat éclairé entre ses citoyens, ne pourra exister et assurer son rayonnement que si elle choisit la science contre l’imposture, la laïcité contre l’intégrisme, et les Lumières contre l’obscurantisme.

Illustration : portrait de Charles Darwin par John Collier. Source : Wikimedia.

Notes

[3Voir l’article L’Europe et le créationnisme de l’Association française pour l’information scientifique.

[4Voir l’article de Wikipédia sur la Flat Earth Society.

[5Voir le site créationniste.

Vos commentaires
  • Le 7 août 2009 à 10:03, par Fabien En réponse à : Carton rouge aux créationnistes en Europe

    Pour précision, ce qui nous lie en Europe, ce n’est pas la laïcité mais la sécularisation. Le but n’est pas d’opposer la raison à la religion.

    Nous sommes sur le créationnisme sur un débat qui touche à la liberté publique. Là est leur meilleur argument et qui nous oblige à rappeler que la liberté publique ne veut pas dire que tout le monde a raison.

    C’est d’ailleurs l’un des problèmes de la laïcité « à la française » : c’est l’intégrisme athéiste qu’il porte en ses plus fervents défenseurs.

    D’où l’intérêt de l’emploi du mot « sécularisation » qui nous permet d’englober tous les Européens, quelles que soient leurs traditions.

    Néanmoins, pour ne pas paraître en opposition avec l’auteur, je le rejoints sur l’argument suivant : c’est par l’éducation que nous ferons reculer le créationnisme.

  • Le 7 août 2009 à 11:05, par Maël Brunet En réponse à : Carton rouge aux créationnistes en Europe

    La sécularisation n’est rien d’autre que l’application du principe de laïcité. Je ne vois pas d’opposition entre les deux, c’est avec l’athéisme qu’il ne faut pas le confondre.

    Sur une note plus légère, et puisqu’on parle de la Flat Earth Society, je vous conseille la lecture de ce site parodique : http://www.alaska.net/~clund/e_djublonskopf/Flatearthsociety.htm (en particulier les pages « mission statement » et « why a flat earth ? »).

  • Le 8 août 2009 à 01:04, par Jean-Jo En réponse à : Carton rouge aux créationnistes en Europe

    Excellent article qui tombe à point nommé en cette année de célébration de l’œuvre de Darwin.

  • Le 8 août 2009 à 07:05, par Martina Latina En réponse à : Carton rouge aux créationnistes en Europe

    Merci pour cet article : la liberté, pour l’Europe non seulement vitale, mais natale si l’on en croit le mythe qui lui donna son nom, qu’elle réalise à travers l’histoire et spécialement par la construction de l’Union Européenne, suit une EVOLUTION CREATRICE. Cette expression du philosophe Henri BERGSON (titre de son ouvrage publié en 1907) nous rappelle la dynamique propre à chaque développement intellectuel, spirituel et civique : surtout face à l’urgence de l’harmonie écologique et politique, la liberté commence en effet par la connaissance, se forme par l’éducation et débouche sur une maturité faite de concertation, d’invention, d’accord et d’action !

  • Le 8 août 2009 à 09:35, par Paul En réponse à : Carton rouge aux créationnistes en Europe

    Votre opposition entre évolutionnisme et créationisme est inopérante ... vous manquez cruellement de culture, tout comme les « fondamentalistes » d’ailleurs.

  • Le 8 août 2009 à 12:56, par Maël Donoso En réponse à : Carton rouge aux créationnistes en Europe

    Et vous, mon ami, vous manquez cruellement d’arguments.

  • Le 8 août 2009 à 13:49, par OB En réponse à : Pour en savoir plus !

    Bonjour,

    Merci pour votre article. Je voulais signaler que les créationnistes partisans d’une terre jeune (« Young Earth Creationnism ») sont présents en Europe et pour certains actifs. Je renvoie pour plus d’informations au livre « Les créationnismes, une menace pour la société française ? » (Syllepse, 2008). Un chapitre traite du créationnisme en Europe et vous trouverez également une interview de Guy Lengagne, rapporteur du texte sur « Les dangers du créationnisme dans l’éducation ». Concernant plus particulièrement la France, vous pouvez lire le récent article « L’arbre qui cache la forêt ? Un scientifique créationniste à l’honneur » publié par Libération (web) et sur Agoravox.

    Nous disposons aussi d’un site internet qui présente le livre et nos travaux sur le sujet. A noter l’article « Créationnismes, laïcité et réformes de l’enseignement » publié dans Le Sarkophage ainsi qu’un intéressant documentaire produit par la RTBF (disponible en lecture) : « Le créationnisme, un danger pour nos écoles ? ». Il est important de souligner - comme votre article en témoigne - que le créationnisme est bel et bien une question de société qui nécessite une vigilance citoyenne !

    Pour terminer, je voulais indiquer que les éditions Syllepse publie en septembre un volumineux livre intitulé « Les mondes darwiniens » avec les contributions de très nombreux chercheurs (un des chapitres traite de la réception de la théorie darwinienne de l’évolution et donc du créationnisme).

    Cordialement,

  • Le 9 août 2009 à 14:01, par Fabien Cazenave En réponse à : Carton rouge aux créationnistes en Europe

    Je suis en désaccord Maël : la sécularisation à la protestante n’est pas du tout laïc puisqu’on peut très bien avoir une religion d’Etat... ou en Allemagne avoir une référence à Dieu dans la constitution.

    C’est pour cela que je me permettais de faire cette remarque. Je t’invite à lire le « La Laïcité » de la série Que sais-je : http://www.puf.com/wiki/Que_sais-je:La_la%C3%AFcit%C3%A9

  • Le 11 août 2009 à 11:41, par Ronan En réponse à : Carton rouge aux créationnistes en Europe

    Visiblement, tout le monde n’a pas la même définition de la laïcité.

    Certains disent : « Laïcité = Athéisme » - bouh, pas bien... (ça me paraît peu respectueux et quelque peu irrespectueux envers les Croyants qui souhaitent pourtant clairement le respect de la Laïcité...).

    D’autres disent : « La Laïcité, c’est éviter le mélange des genres ». Et si Dieu et les dieux existent (ou pas), leur place est alors dans les lieux de culte, dans les foyers, dans les convictions de chacun... mais certainement pas dans l’arène publique qui - par nécessité de paix civile - doit absolument rester un terrain neutre dépourvu de toutes considérations religieuses instrumentalisées à des fins politiques.

    La Laïcité n’est pas « une société sans dieux », c’est une société où Dieu reste gentiment à la maison, où la religion est devenue une affaire de conviction strictement personnelle et où les croyants évitent de brandir le « Bon Dieu » à tous bouts de champs pour - sans le vouloir, sans doute, certes - néanmoins pourrir la vie à ceux qui ne croient pas.

    Partant de cette définition là, on rejoit de très près la société sécularisée de nos voisins allemands, britanniques, polonais, espagnols, italiens. Où exactement les mêmes débats ont lieu. Et - même si l’Eglise (les Eglises...) jouissent de l’influence normale dévolue à tout acteur public (et pour cause...), la mention religieuse figurant dans leurs Constitutions fait surtout là figure de... symbole (comme il sied à n’importe quelle Constitution).

    Ce qui permet de juger du degrès de « sécularisation » d’une société, c’est moins ce type de symbole - le plus souvent davantage conservés par sentimentalisme culturel et en tant qu’héritage sociétal +/- consensuel que par religiosité véritable - c’est surtout la pratique religieuse et/ou l’adéquation qui existe entre les pratiques sociales et le « dogme ». A ce titre, nos sociétés occidentales - laïques ou sécularisées, à la limite peu importe - sont parfaitement mécréantes.

    Et c’est précisément ce qui « grippe » avec le monde musulman depuis le 11 septembre : nos monothéismes sont cousins (et les Extrême-Orientaux - experts en syncrétismes souples - ne comprennent d’ailleurs souvent pas trop les différences « subtiles » voire les oppositions « dogmatiques » qui séparent les chrétiens des musulmans...) mais la ferveur qui règne au sud de la Méditerranée (et la référence publique constante à la transcendance et au monde immatériel...) (ex : locution « si Dieu le veut » utilisée pour la moindre broutille...) est à des années lumières de nos sociétés occidentales ouvertement mécréantes, hédonistes et matérialistes (et souvent fières de l’être) et qu’en ont souvent et strictement absolument rien à foutre de la transcendance. Et ce, qu’on en soit content ou pas.

  • Le 11 août 2009 à 12:17, par Ronan En réponse à : Carton rouge aux créationnistes en Europe

    Je ne suis pas persuadé que ce débat passionne nos élèves de Collège. A moins - bien entendu, comme d’habitude - que certains adultes (et, pour le coup, sans doute moins les parents que l’autorité publique...) ne veulent absolument l’y faire rentrer.

    Ainsi, j’ai cru comprendre que le créationnisme trouvait - depuis peu - une place marginale en SVT. Mais - attention - pas en temps qu’exposition d’une "vérité révélée" : et plus en tant qu’ "exposé d’une croyance" qu’en tant qu’ "hypothèse de travail".

    Chez nous - pour ce que j’en vois et croire comprendre - je n’ai pas le sentiment qu’il existe une "demande sociale" en faveur de tels enseignements. peut-être est-ce différent dans certains autres terrirs sociologiquement marqués différemment... mais, franchement j’en doutes quelque peu. (Une polémique d’adulte, on disait...).

    Souvent quand on enseigne des sujets disons "délicats" il faut prendre des précautions oratoires, d’ailleurs moins pour ne pas froisser l’auditoire que surtout pour mieux tendre vers l’objectivité... :

    Quand on dit que la terre est ronde (ou approchant...) on a néanmoins parfaitement le droit de dire qu’on n’a pas toujours cru qu’il était ainsi. Quand on enseigne sur le fait religieux, on peut très bien se contenter de dire que "la tradition" dit cela et que les croyants "croient ceci" sans donner pour autant l’impression d’asséner à quiconque des vérités d’ordre dogmatiques.

    Et quand on enseigne l’origine des espèce, je suppose qu’on a donc parfaitement le droit de dire que - malgré certains - et nombreux - travaux scientifiques - tout le monde ne croit pas dans les thèses du Darwinisme (et que d’autres lui privilégient, par convictions philosophiques et religieuses, des hypothèses mettant en jeu des - comment dire - "forces surnaturelles"...).

    Quoi qu’il en soit, il me paraît néanmoins important de dire que tout cela passe très largement au-dessus de la tête de nos élèves (que les rédacteurs de programmes - qui n’ont souvent jamais vu d’élèves depuis l’époque où ils en étaient - seraient bien inspirés d’en croiser davantage avant d’imposer aux enseignants des missions délirantes, déconnectées du réel et souvent sans objet...) : nos élèves savent quasiment tous - avant même d’entrer en cours - que les êtres humains n’ont jamais fréquentés les dinosaures (hormis dans « Jurassic Parc »). Et c’est - presque - l’essentiel...

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