Altiero Spinelli

Cent ans de la naissance d’Altiero Spinelli

Un héritage vivant

, par David Soldini

Cent ans de la naissance d'Altiero Spinelli

« Pànta moi èxestin, all’ou pànta oikodomei » « Tout m’est permis, mais pas tout ne m’est pas profitable » : Saint Paul, cité par Altiero Spinelli dans le prologue de ses mémoires, « Come ho tentato di diventare saggio ».

Ventotene...

Un nom qui demeure bien mystérieux pour la plupart des lecteurs français. Sur cette île, durant les vingt ans du fascisme, furent « confinés » des anti-fascistes. Loin de tout, perdu au milieu de la mer Méditerranée, ce rocher a abrité pendant quelques années des intellectuels venus de toute l’Italie et parfois au delà. Le régime fasciste, ne pouvant se convaincre de mettre tout le monde en prison, avait décidé de réintroduire cette pratique barbare du confinement.

Et sur cette île, au beau milieu de la guerre, quelques jeunes gens, issus de différentes familles politiques, réunis autour de la figure d’Altiero Spinelli, rédigèrent un manifeste pour une Europe libre et unie. La première pierre d’une aventure politique qui durera soixante ans et qui continue encore aujourd’hui, comme en témoigne l’hommage du président italien.

L’héritage spinellien, pensée fédéraliste

Il y a cent ans naissait ce grand européen. Le Parlement européen, après avoir appuyé son projet de traité de réforme pour l’Europe, finalement ignoré par les chef d’Etats et de gouvernement en 1985, décida, après la mort de Spinelli, de consacrer un de ces bâtiments bruxellois à celui qui avait consacré sa vie à l’unification du continent et à la construction d’un pouvoir démocratique européen.

Souvent ignoré par l’histoire officielle, l’héritage de Spinelli est pourtant fondamental pour comprendre ce qu’est l’Europe, ce qui a poussé tant d’hommes à consacrer leurs vies à l’unification du continent, et ce vers quoi il faut continuer, inexorablement, à tendre.

La division de l’Europe et du monde en Etats nationaux souverains signifie condamner les hommes à survivre dans un état de guerre. La seule voie à parcourir pour sauver l’humanité d’une lente autodestruction est la construction d’un système de gouvernement mondial qui mette fin au mythe de la souveraineté nationale et qui remplace la tyrannie de la loi du plus fort par le règne du droit.

Le véritable obstacle aux progrès de l’humanité réside dans cette division, artificielle et dangereuse. Dés lors, la ligne de division entre progressistes et conservateurs n’est plus entre ceux qui veulent plus ou moins d’Etats, mais entre ceux qui militent en faveur du dépassement de la souveraineté nationale et ceux qui veulent conserver tout le pouvoir au sein des Etats nationaux.

La souveraineté nationale correspond alors à l’abandon de la véritable souveraineté populaire car sa défense aboutit à nier aux individus la capacité de réaliser leur principale aspiration : la paix. Si la paix correspond à un idéal vers lequel tendent naturellement les hommes, alors l’Etat national est un obstacle à la pleine réalisation de la volonté générale car il maintient les hommes dans un état de guerre ou de trêve.

« Pacifism is not enough » [1]

Pour autant, la leçon de Spinelli n’est pas une simple prédication pacifiste. Le réalisme et la nécessité de l’action politique concrète sont au coeur de sa pensée. Le réalisme d’abord, qui consiste à ne pas céder aux tentations de replis nationalistes, aux opinions commodes mais fausses de ceux qui prêchent le chacun chez soi ou le maintien de l’Etat national comme la condition sine qua non de tout développement démocratique.

Un réalisme qui renverse la perspective habituelle et qui fait comprendre que l’utopiste est celui qui pense qu’il est possible de garantir une coexistence pacifique en maintenant l’humanité divisée en Etats souverains. Un réalisme qui pousse Spinelli à imaginer un modèle susceptible d’être mis en place rapidement et efficacement à l’échelle européenne et qui le conduit à créer le fer de lance de ce projet : le mouvement fédéraliste européen (MFE).

La création du MFE, en 1943, illustre la nécessité de l’action politique qui guidera la vie d’homme libre de Spinelli. Vingt ans passés dans les geôles fascistes et sur les îles de Ponza et Ventotene ; vingt ans à réfléchir sur les remèdes à apporter au mal européen et à son caractère universel. Une fois libre, Spinelli n’aura de cesse de réaliser son projet, imaginant et adaptant ses stratégies à la situation politique du moment.

D’abord mouvement de libération, puis conseiller du prince dès la fin de la guerre, s’employant à influencer De Gasperi, Monnet ou Spaak, puis mouvement populaire, témoignant d’une véritable aspiration des peuples européens à l’unification alors que les gouvernements temporisent, enfin force d’appui externe aux initiatives toujours plus institutionnelles de Spinelli, et qui aboutiront au projet de traité de 1983, le MFE s’adaptera aux circonstances politiques et évoluera. Son existence témoigne de cette volonté de placer la construction européenne au coeur de la politique.

Aujourd’hui le MFE est devenu l’UEF (Union européenne de fédéralistes). Il existe dans toute l’Europe. Il s’est doté d’une branche jeune et organise tous les ans, sur l’île, un séminaire de formation sur l’Europe et le fédéralisme. Il témoigne, chaque jour, de la nécessité de poursuivre, inlassablement, l’unification fédérale de l’humanité.

Illustration : Photographie d’Altiero Spinelli, rapporteur du projet de traité instituant l’Union européenne, dans les bancs du Parlement européen à Strasbourg le 14 février 1984. (Photothèque du Parlement européen). Sources : www.ena.lu

Notes

[1Où l’on retrouve la fameuse formule titre du non moins fameux livre (paru dans l’entre-deux-guerres, en 1935) de Lord Lothian, célèbre prédécesseur d’Altiero Spinelli dans le cadre des développements de la pensée fédéraliste. Une formule sciemment reprise (« Le Pacifisme ne suffit pas » / « Pacifism is not enough »), et un héritage politique ouvertement revendiqué par Altiero Spinelli tout au long de son oeuvre militante et politique, éditoriale comme littéraire.

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