Chypre et liberté de la presse (Partie I)

Rapport « Goodbye to Freedom »

, par Traduit par Hélène Boussi Astier, Kyriakos Pierides

Chypre et liberté de la presse (Partie I)

Le rapport sur la liberté de la Presse en Europe « Goodbye to Freedom » vient d’être publié par l’Association des Journalistes Européens. Le Taurillon a décidé de publier le résultat de cet énorme travail. Aujourd’hui, voici la situation en Chypre.

Vue la division politique de l’île de Chypre, ce rapport consiste en deux parties écrites l’une par un journaliste Gréco-chypriote et l’autre par un ournaliste turco-chypriote, donnant ainsi l’exemple d’une collaboration au-delà des divergences.

Hasan Kahvecioglu et moi-même collaborons professionnellement depuis près de 10 ans. Depuis deux ans nous avons produit conjointement et diffusé un programme radio bilingue à la fois dans la communauté greco-chypriote et dans la communauté turco-chypriote. La liberté de la presse est garantie par la loi dans la République de Chypre (parmi les Grecs-Chypriotes) et de nombreux journaux font pleinement usage de leur droit de critiquer le gouvernement. Mais les pressions politiques et économiques pro-gouvernementales sont ici un obstacle constant au travail des médias. Dans le Nord de Chypre (auto-déclarée République turque du Nord de Chypre) aussi, l’assurance de la liberté de la presse est formellement assurée mais l’influence de l’armée turque continue de limiter la couverture des évènements politiques par les médias.

L’entrée de Chypre dans l’UE et la détente conséquente des restrictions sur le passage des frontières entre les deux parties de l’île ont apporté des bénéfices en termes d’opportunités économique et de mouvements transfrontaliers

En réalité la liberté de la presse sur l’île dans son ensemble, est sévèrement contrainte et menacée par sa division. L’effectivité de la division des médias chypriote est antérieure à la fin du règne colonial britannique dans les années 1950. Ils ont été utilisés de manière implacable, comme un outil du pouvoir politique. En effet, on peut dire que les média greco-chypriotes comme les médias turco-chypriotes ont jjoué un rôle négatif dans cette période troublée de l’Histoire. Ils ont tous deux contribué à l’augmentation des tensions et au climat d’antagonisme mutuel.

Deux facteurs spécifiques affectent l’environnement médiatique à Chypre, en faisant un cas unique au sein de l’Europe. Le premier est la présence de plus de 30.000 troupes turques dans la partie nord de l’île. Le second est le changement politique considérable que représente l’accession de la République de Chypre à l’Union Européenne en mai 2004, sans qu’aucune solution politique n’aie été trouvée à la division de l’île. Ainsi la loi européenne ne s’applique pas dans les zones habitées par les turques-chypriotes qui demeurent hors contrôle administratif du gouvernement de la République de Chypre. Aussi longtemps qu’il n’y aura pas, sous les auspices des Nations Unies, de négociations sérieuses en vue d’un règlement pour réunifier l’île, les espoirs de l’UE d’agir comme un catalyseur dans la recherche d’une solution aux tensions demeurent stériles.

L’entrée de Chypre dans l’UE et la détente conséquente des restrictions sur le passage des frontières entre les deux parties de l’île ont apporté des bénéfices en termes d’opportunités économique et de mouvements transfrontaliers. Mais d’ores et déjà le manque de développement significatif dans l’espace politique a bloqué les chances d’apaisement des tensions latentes, englobant l’espace médiatique.

De nombreux journalistes d’un côté comme de l’autre se sont laissés instrumentaliser dans une guerre de propagande stérile et souvent haineuse. Dans les deux parties de l’île, les médias appartiennent généralement à l’élite et se considèrent eux même proches de leur « parti » dans une confrontation persistante entre les deux communautés. En l’absence d’un dialogue politique structuré entre les deux communautés, ou de tout projet réaliste face à la situation actuelle, les médias des deux bords ont été incapables d’établir des relations institutionnelles entre les syndicats de journalistes ou autres corporations au-delà de la partition.

Ainsi, la présence des troupes turques dans la partie nord de l’île et l’importance du rejet de toute forme de reconnaissance internationale des autorités turco-chypriotes sont des points récurrents dans les médias greco-chypriotes. Dans les médias turco-chypriotes, l’information est fortement teintée par la peur que la majorité greco-chypriote ne parvienne à assimiler la population turque contre leur gré dans l’état dominant greco-chypriote. Ces deux perspectives reflètent la prévalence des rengaines politiques des représentants des communautés rivales.

La dernière résolution 1758 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, du 15 juin 2007, fait référence à un climat de défiance et à un manque de dialogue inter-communautaire constructif. Le Conseil de Sécurité a exprimé son inquiétude quant au fait que les chances d’établir un débat public constructif au sein et entre les deux communautés, sur le futur de l’île se sont amoindries et que cette atmosphère gêne, en particulier, les efforts pour favoriser les activités bi-communautaires, destinées au bénéfice de tous les Chypriotes et à la promotion de la réconciliation et de la mise en place d’un régime de confiance pour faciliter un accord.

Le secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon, dans son rapport annuel 2007 au Conseil de Sécurité déplore cette défiance constante entre les deux parties de Chypre, et ce particulièrement depuis le référendum de 2004, par lequel les grecs-chypriotes ont voté à une large majorité contre un projet de l’ONU pour un accord politique, pendant que les Turc-chypriotes votaient en faveur de ce plan, comme la communauté internationale l’avait expressément conseillé.

Le secrétaire général a par ailleurs appelé les dirigeants politiques des deux camps à mettre fin à leurs récriminations mutuelles. Ceci devrait aussi être considéré comme un défi pour les médias qui représentent la bouche par laquelle ces récriminations se manifestent. Jusqu’à maintenant les journalistes des deux camps, avec quelques exceptions notables, ont souvent servi à exacerber les tensions par le biais de reportages et commentaires partisans, voire parfois immodérés.

Les médias sont souvent rattrapés directement par ce climat de fièvre politique. Nous avons pu le constater quand les journaux qui critiquent la politique du Président, tombent sous le feu de ses soutiens politiques qui présentent ces médias dès lors comme « servant les intérêts de l’ennemi ». L’attaque récente par l’archevêque Chrystostomos du journal « Politis », le décrivant comme un « journal Turc parlant grec », en est un exemple. De même, il y a deux ans, le Président Papadopoulos lui-même accusait le principal parti d’opposition -le rassemblement démocratique- de défendre le point de vue turc quant au problème de Chypre, et ce, du fait de son soutien au « plan Annan » des Nations Unies pour un accord politique.

On remarquera par ailleurs qu’en 2007, le Président de Chypre, Tassos Papadopoulos est personnellement intervenu pour contraindre au licenciement de Soteris Georgallis, attaché de presse auprès de la Haute Commission Chypriote à Londres, sans égards pour la question de la liberté d’opinion et de débat. M. Papadopoulos a fait connaître son mécontentement après que l’attaché de presse ait assisté à une lecture à la London School of Economics, qui était menée par une personnalité critique vis-à-vis du Président, l’écrivain Takis Hadjidemetriou. The Cyprus Mail déclara que cet épisode avait mis en lumière le « style autocratique » du Président.

Les médias devraient jouer un rôle important dans la détente à laquelle appelle les Nations Unies. Mais le contenu et le ton des publications médiatiques dans les deux camps montrent qu’en réalité l’impasse politique empêche tout mouvement signifiant dans ce sens. Parmi les obstacles principaux, on compte :

Les pressions politiques : d’un côté comme de l’autre, les journalistes subissent de fortes pressions de leurs propres employeurs pour répondre à la demande des dirigeants politiques de leur communauté respectives. L’objectif des dirigeants greco-chypriotes est de faire pression sur la Turquie pour une reconnaissance sans condition aucune de la République de Chypre comme l’un des 27 états-membres de l’UE avec qui la Turquie négocie son entrée future. Pour les Turcs-chypriotes, l’objectif prépondérant est la fin de l’isolement international de la partie nord de l’île et leur reconnaissance comme autorités politiques au même titre que les autorités greco-chypriotes, aujourd’hui seul gouvernement de l’île reconnu par la communauté internationale.

La division linguistique : depuis que les médias des deux communautés utilisent différentes langues (le Grec et le Turc) pour travailler et diffuser leurs articles ou reportages, diverses versions d’un même évènement peuvent apparaître au sein des deux communautés. Des pressions politiques se manifestent aussi par le fait que les éléments de l’information sur la vie de tous les jours dans les deux communautés ou que les « histoires individuelles », qui intéresseraient certainement les populations des deux camps, apparaissent rarement à la Télévision, à la radio ou dans les journaux.

Malgré toutes ces difficultés, de nombreux journalistes d’un côté comme de l’autre ont développé des contacts individuels et mis en place une certaine coopération. En réaction à un violent incident entre jeunes des deux communautés dans l’école anglaise de Nicosie, où élèves Grecs et Turcs Chypriotes étudient ensemble, les presses modérées des deux parties de l’île ont coopéré afin de désamorcer les tensions. Notre programme bilingue de radio, « Parler de l’île » a lui aussi travaillé dans ce sens en discutant à l’antenne avec des élèves de cette école issus des deux communautés.

De nombreuses publications des deux camps, particulièrement le journal greco-chypriote Politis, travaillant avec des journalistes turco-chypriotes, ont fait tout leur possible pour informer les deux populations sur les personnes disparues lors des évènements sanglants passés. Mais de tels situations ne sont généralement que de courte durée. Les journalistes ont été incapables de surmonter les problèmes consécutifs à l’impasse politique.

Conclusion et action future :

L’UE, au regard de son rôle très actif dans le soutien de l’entrée de Chypre et ce malgré l’impasse politique entre les deux communautés, porte une responsabilité particulière quant à l’amélioration de la situation. Cela s’applique en particulier au niveau du milieu médiatique et sur d’autres aspects de la communication inter-communautaire.

Parallèlement aux efforts des Nations Unies, l’Union Européenne devrait être plus active dans la recherche d’une amélioration de la situation par le biais d’un accord politique de long terme. Les normes et standards de l’UE pourraient servir de base commune et les médias pourraient être un outil efficace pour briser les barrières et construire un état de confiance et des institutions inter-communautaire. En termes d’exemple concrets :

1. Avec l’entrée de la République de Chypre dans l’Union Economique et Monétaire en Janvier 2008, les politiques économiques de la Zone Euro pourraient être expliquées et éventuellement partagée avec les Turcs-Chypriotes.

2. Il pourrait être demandé aux deux communautés de collaborer en faveur de politiques européennes dans des domaines tels l’énergie, l’environnement et le Processus de Lisbonne pour les réformes économiques.

3. Des moyens peuvent être trouvé pour appliquer les leçons retenues par les autres Etats membres de l’UE, de leurs expériences historiques et copier les exemples fructueux de réconciliation et de tolérance inter-communautaires. L’exemple du processus de paix sur l’Irlande du Nord avec la Grande Bretagne, aussi bien que celui de la réconciliation franco-allemande d’après guerre doivent servir de leçons à Chypre.

Mise à jour – février 2008

Le difficile climat de la campagne tricéphale pour les élections au poste de Président de la République de Chypre a culminé lors des élections de février 2008. Le président en poste, Tassos Papadopoulos, briguait un nouveau mandat face aux vives critiques de ses opposants, Demetris Christofias et Ioannis Kasoulides, malgré son rejet à la télévision publique du plan Annan proposé par les Nations Unies sur le futur de l’île au moment du référendum de 2004, et seulement quelques jours avant l’entrée du gouvernement greco-chypriote, reconnu par la communauté internationale, dans l’Union Européenne. Bien que la campagne se soit jouée dans un climat médiatique favorable, M. Papadopoulos a, de façon inattendue, perdu dès le premier tour des élections.

Le résultat peut être interprété comme un signe d’encouragement de cette composante substantielle de la société greco-chypriote qui s’est inquiétée de l’utilisation populiste des médias par M. Papadopoulos durant son mandat. La victoire de Mr Christofias à l’issue de l’élection ouvre de nouvelles chances au dialogue inter-communautaire visant à un accord politique durable pour l’île. Vue la division politique de l’île de Chypre, ce rapport consiste en deux parties écrites l’une par un journaliste Gréco-chypriote et l’autre par un journaliste turco-chypriote, donnant ainsi l’exemple d’une collaboration au-delà des divergences.

Le Taurillon remercie l’Association des Journalistes Européens pour l’autorisation de publier cet issu du rapport « Goodbye to freedom » et de sa mise à jour du mois de février 2008.
Illustrations :

 le drapeau de la Chypre ; source wikipedia

 le logo de l’AEJ

 le logo du rapport « Goodbye to freedom »

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