Collision de sous-marins : les accrochages de la défense européenne

, par Maël Donoso

Collision de sous-marins : les accrochages de la défense européenne

Pour illustrer les accrochages de l’Europe de la défense, il était difficile de faire mieux. La collision du sous-marin nucléaire français Le Triomphant avec son homologue anglais H.M.S. Vanguard, la nuit du 3 février dernier, montre les faiblesses d’un système de défense européen où les informations stratégiques les plus capitales ne sont pas partagées entre les États membres.

Le choc à faible vitesse n’a pas fait de victime, ni provoqué de fuite nucléaire. La collision des deux sous-marins européens, chacun porteur de seize missiles nucléaires balistiques, s’achève donc sans accident majeur. Il reste difficile à croire qu’un tel évènement ait pu se produire, étant donné l’immensité de l’océan et le faible nombre d’appareils de ce type en circulation. Mais aussi improbable qu’il ait été, cet accrochage a bel et bien eu lieu, et l’onde de choc psychologique qui suivra risque de faire plus de dégâts que la collision elle-même.

Comment une telle mésaventure a-t-elle pu se produire ? Sur le plan technique, il n’y a guère de mystère, ces sous-marins nucléaires étant précisément construits pour être aussi indétectables que possible. Sur le plan stratégique, la question est plus complexe. Pourquoi la France et le Royaume-Uni, les deux seules puissances nucléaires de l’Union européenne, alliées au sein de l’OTAN, n’ont-elles pas mis en place un système de partage d’informations militaires concernant leurs sous-marins ?

Les joyaux stratégiques de la couronne

Cette hésitation à partager des informations n’est pas anodine. Supports mobiles et furtifs de l’arme nucléaire, les sous-marins lanceurs d’engins sont la clé de voûte du système de dissuasion, l’ultime assurance de survie d’un État nucléarisé. Interrogé par le New York Times, Lee Willet, du Royal United Services Institute à Londres, les compare à des « joyaux stratégiques de la couronne » pour une nation [1]. En clair, même entre alliés de l’OTAN, la position des sous-marins nucléaires est la dernière information militaire que les états-majors souhaiteraient divulguer.

Tandis que l’Europe de la défense se met en place, les systèmes liés à l’arme nucléaire restent ainsi éminemment nationaux, et l’accident qui vient de se produire ne suffira sans doute pas, en lui-même, pour changer cette politique. Après tout, la probabilité que de telles collisions se reproduisent reste faible, et le risque encouru ne justifiera probablement pas, aux yeux des armées, qu’on remette en question le dispositif actuel. La politique de dissuasion restera-t-elle exclusivement nationale ? L’Europe de la défense se construira-t-elle sans le nucléaire ?

Et si on élargissait la couronne ?

Ce télescopage imprévu de deux sous-marins européens a au moins le mérite de relancer cette question. Indépendamment des risques, assez relatifs, que représenterait un nouveau choc de submersibles, on peut en effet se demander s’il ne serait pas utile de mettre en place une politique de dissuasion nucléaire à l’échelle européenne. On peut considérer les sous-marins lanceurs d’engins comme les joyaux stratégiques de la couronne, certes. Mais si cette fameuse couronne était élargie à tous les États de l’Union ?

La question n’est pas facile, mais elle sera incontournable si nous voulons construire une défense européenne réellement intégrée et efficace. La collision des sous-marins n’est pas un évènement heureux, mais la collision des stratégies et des politiques de dissuasion au sein même de l’Europe serait bien pire encore. Pouvons-nous réellement mettre en commun tous les instruments militaires européens en oubliant le principal et le plus délicat d’entre eux : les armes nucléaires ?

Pour une politique de dissuasion européenne

Dans la pratique, une offre comme celle de Nicolas Sarkozy, qui suggérait en mars dernier que le bouclier nucléaire français pouvait avoir vocation à défendre l’ensemble du territoire européen [2], n’est ni réellement nouvelle, ni réellement satisfaisante. En effet, la souveraineté de la France dans la gestion de ce bouclier ne serait aucunement remise en question, ce qui est difficilement compatible avec l’idée d’une Europe de la défense. Il semble cependant évident que si une politique de dissuasion européenne doit voir le jour, la France et le Royaume-Uni, les seuls États européens à disposer de ce genre d’équipement, devront en être les principaux promoteurs.

L’Europe de la défense peut commencer à se construire sans le nucléaire. Les chantiers ne manquent pas, que ce soit l’interopérabilité des troupes, le partage des bases militaires, ou le développement du complexe militaro-industriel européen. La route est encore laborieuse jusqu’à l’avènement d’une armée européenne, qu’Angela Merkel appelait pourtant de ses vœux dans une interview donnée au Bild Zeitung en 2007 [3]. Mais si cette armée commune voit le jour, la politique nucléaire ne saurait être laissée pour compte.

Une politique de dissuasion européenne, doublée d’une armée commune efficace [4], permettrait de rééquilibrer l’alliance entre l’Europe et les États-Unis, et doterait les Européens d’un système de défense autrement plus efficace que le patchwork d’armées nationales actuelles, totalement inadapté aux défis globaux qui exigent le partage des troupes, des informations et des compétences. Accessoirement, cela nous épargnerait de devoir réparer à nouveau la coque de nos sous-marins, après d’improbables accrochages en pleine mer.

Plutôt que de se heurter les uns les autres dans un océan de désinformation, nos sous-marins nucléaires seraient plus intelligemment employés au sein d’une Europe de la défense, avec un état-major intégré qui assurerait la sécurité de tous les Européens.

Illustration : photographie du sous-marin nucléaire français Le Redoutable, à Cherbourg. Auteur : Georg Wallner. Source : Wikimedia.

Vos commentaires
  • Le 20 février 2009 à 06:42, par Martina Latina En réponse à : Collision de sous-marins : les accrochages de la défense européenne

    Oui, voilà une triste preuve par l’absurde de la nécessité pressante, donc accessible, que représente une politique EUROPEENNE de défense et de dissuasion : car la paix n’est durable que si elle prospère et ainsi progresse de proche en proche.

    La paix, en retour et en conséquence, exige autant de courage que de partage, autant d’intelligence que d’invention - bref, autant de concertation que de vigilance : elle seule peut accueillir l’avenir et, même si les deux images semblent s’exclure, le construire.

    Certes, un rêve ne se réalise que s’il est commun et servi par une efficace organisation des responsabilités. Mais, précisément, le contraire de cette pitoyable collision sous-marine n’est-il pas offert, avec un éclat légendaire et néanmoins consistant, par la projection de la Phénicienne EUROPE qui franchit l’inconnu, la peur et la Méditerranée orientale sur une échine à la fois taurine, marine, divine, pour transmettre sur les rivages du Couchant les trésors du Levant, pour diffuser les créations nautiques et alphabétiques de son peuple - bref, pour déclencher l’aube de la civilisation toujours prête à mieux se lever notamment sur L’EUROPE ?

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom