Réagir à une perte de confiance
Le dernier sondage Euro-baromètre montre qu’en moyenne, dans l’Union européenne, les citoyens continuent d’avoir davantage confiance en l’UE que dans les institutions nationales. Cependant, depuis l’automne 2009, une tendance inquiétante se dessine, avec une perte de confiance importante en 2 ans : environ 30% de personnes en moins font confiance à l’UE. Cette baisse touche toutes les institutions, même si le Parlement européen est un peu moins touché que la Commission ou le Conseil.
Certes, cette perte de confiance des citoyens ne concerne pas que l’UE, puisque les institutions nationales pâtissent de baisses similaires, mais elle montre qu’en ces temps de crise, l’intégration européenne n’est pas forcément perçue comme une solution. Des institutions et une monnaie communes ne suffisent pas à créer un lien suffisamment fort entre les citoyens et l’UE.
Comment créer une identité européenne, un sentiment d’appartenance commun ? Ce n’est pas la première fois (ni la dernière…) que cette question est posée. Je me propose ici d’articuler la solution autour de trois mots-clés qui me paraissent comme autant d’étapes sur la route de l’émergence d’une véritable identité européenne : expliquer, échanger et partager.
Expliquer
Expliquer est essentiel, car comment adhérer à quelque chose que l’on ne comprend pas ? L’effort de pédagogie, vertu régulièrement invoquée par les hommes et femmes politiques, doit également bénéficier à l’intégration européenne.
Deux types d’acteurs me paraissent avoir une importance particulière dans ce cadre : les médias et le monde éducatif. En effet, tous deux ont idéalement pour fonction de contribuer à la réflexion et à la formation d’un esprit critique et averti.
En ce qui concerne les médias, leur rôle est particulièrement important en raison de leur public extrêmement large. Il a été longtemps reproché aux médias de ne pas parler assez d’Europe. Aujourd’hui se pose un nouveau problème, non moins important : les médias « de masse » parlent (trop) souvent de ce qui ne va pas en Europe et pas assez de ce qui fonctionne bien, par exemple les 25 ans du programme Erasmus.
Avant cela, intéressons-nous d’abord au second acteur : le monde éducatif. L’école ne pourrait-elle pas jouer pour l’Europe le même rôle essentiel qu’au XIXème siècle dans la création de la Nation, en France ? Il ne s’agit pas de supprimer l’identité nationale (ou régionale, etc.), mais d’ajouter une dimension européenne à l’identité de chaque enfant, de chaque futur citoyen ! Cela passerait notamment par des matières comme les lettres, la philosophie, l’histoire et la géographie : lire Rabelais, Voltaire, ou encore Rousseau, mais aussi Dante, Shakespeare et Kant, apprendre les grandes dates de l’Histoire de France et celles de l’Histoire de l’Europe et des pays voisins – ce qui ne serait pas difficile, puisque pendant des siècles, l’Histoire européenne a été faite de guerres. Quant à l’apprentissage de la construction européenne et du fonctionnement des institutions de l’UE, il s’agit d’un savoir fondamental qui serait un socle commun idéal à tous les jeunes dans l’UE.
Toujours dans le cadre éducatif, je mentionne le programme « Europe à l’école » des Jeunes Européens (je suis membre de la section de Strasbourg), qui consiste à aller parler d’Europe aux jeunes dans les lycées, collèges et écoles, d’une façon ludique et pédagogique.
« Expliquer » n’est toutefois qu’un premier pas ; il faut également « échanger ».
Echanger
Ici aussi, l’éducation est concernée au premier chef. Soulignons tout d’abord l’importance de l’apprentissage de langues étrangères. En effet, comment échanger si l’on ne comprend pas l’autre et si l’on ne parvient pas à être compris par lui/elle ? Il est donc vital que l’Education Nationale promeuve l’apprentissage progressif de plusieurs langues, afin que chaque élève parle et comprenne bien au moins deux langues étrangères (dont l’anglais). Ce n’est d’ailleurs pas seulement une nécessité en matière d’identité européenne, mais c’est également un impératif pour pouvoir s’adapter à la mondialisation et à des échanges toujours croissants.
L’échange passe aussi par la rencontre avec l’autre. Cela a été compris très tôt, puisque le programme Erasmus, le plus connu, a été mis en place dès 1987. D’autres programmes permettant de faciliter la mobilité à diverses étapes de la formation individuelle existent : Comenius, Grundtvig et Leonardo da Vinci.
La Commission européenne a récemment proposé de rassembler les divers programmes existants en un seul, qui serait nommé « Erasmus pour tous ». L’objectif est que 5 millions d’Européens puissent aller étudier ou se former à l’étranger.
Enfin, pour créer une identité commune, un sentiment d’appartenance commun à l’UE, il faut partager.
Partager
Jean Monnet disait vouloir créer une « solidarité de fait » entre les peuples européens, afin d’éviter une nouvelle guerre. La solidarité est une forme de partage ; d’ailleurs, nous le constatons encore aujourd’hui, avec les plans de sauvetage de certains pays européens qui sont une expression de solidarité. Toutefois, ici, nous allons nous concentrer sur le partage d’éléments similaires à ceux qui ont permis la création des Nations dans les divers pays qui composent l’UE aujourd’hui. Il s’agit notamment de valeurs communes, de symboles et de la citoyenneté.
Les valeurs communes figurent à l’article 2 du Traité sur l’Union européenne (TUE). Elles incluent notamment la démocratie, le respect de la dignité humaine, l’égalité, l’Etat de droit, ou encore les droits de l’Homme. Ces valeurs sont réaffirmées dans la Charte des droits fondamentaux de l’UE, qui a une valeur juridique égale à celle des Traités. La Charte rassemble à la fois des droits civils et politiques et des droits économiques et sociaux. Ces valeurs sont également une condition préalable à l’adhésion à l’Union européenne.
Ensuite, l’UE dispose également de symboles, dont la diffusion me semble être un facteur important pour créer un sentiment d’appartenance, car ils sont faciles à retenir. Ces symboles européens sont, notamment, le drapeau européen, l’hymne européen (l’Ode à la joie, tirée de la 9ème symphonie de Beethoven), la journée de l’Europe (le 9 mai – à cet égard, il serait souhaitable que le 9 mai devienne un jour férié dans toute l’Europe, ce qui attirerait l’attention des citoyens sur cette fête) et la devise de l’UE (« Unis dans la diversité »).
Enfin, terminons par la citoyenneté, historiquement très liée à la nationalité. En effet, pendant très longtemps, le droit de vote était réservé aux ressortissants de l’Etat.
C’est le Traité de Maastricht qui a créé la citoyenneté européenne qui, rappelons-le, ne se substitue pas, mais s’ajoute à la citoyenneté nationale ! D’ailleurs, la possession de la citoyenneté européenne reste pour l’instant conditionnée à la possession de la citoyenneté de l’un des États membres de l’UE. Elle permet aux ressortissants d’un État membre qui résident dans un autre État membre de voter aux élections municipales et européennes dans son État de résidence, sous réserve de certaines conditions (disposer du droit de vote et une certaine durée de résidence). Ce droit de participer aux choix de la communauté est l’une des avancées les plus importantes réalisées dans le cadre de la construction européenne et doit symboliser une intégration réussie.
Malheureusement, le pourcentage d’Européens usant de ce droit reste très faible, pour l’instant. De même, le taux de participation aux élections européenne n’atteint même plus, en moyenne dans l’UE, la barre des 50%. Il est dommage que les citoyens ne saisissent pas cette opportunité, mais cela prouve sans doute la nécessité d’une véritable identité européenne.
L’identité européenne existe, il reste à la diffuser
En conclusion, je me permettrai d’invoquer mon expérience personnelle. J’ai effectué quasiment toute ma scolarité à l’Ecole européenne de Luxembourg, où des enfants venant de tous les États membres sont répartis en une vingtaine de sections linguistiques et établissent un véritable « melting pot » européen. L’apprentissage de la 1ère langue étrangère commence dès l’âge de 6 ans. Au secondaire, à partir d’un certain âge, les cours d’histoire et de géographie sont enseignés dans cette 1ère langue étrangère, ce qui fait que les élèves sont sensibilisés à l’histoire d’autres États européens aussi.
Ces éléments, parmi d’autres encore, contribuent à créer un sentiment unique d’appartenance commune européenne, d’identité européenne. Bien sûr, il n’est matériellement pas possible de répliquer le modèle des Écoles européennes partout, mais ce modèle peut servir de source d’inspiration aux politiques d’éducation nationales, et surtout, il montre qu’il existe une véritable identité européenne, pour peu que l’on veuille bien mettre en place les outils nécessaires pour son développement.
1. Le 16 mars 2012 à 18:03, par Krokodilo En réponse à : Comment renforcer l’identité européenne ?
« L’apprentissage de la 1ère langue étrangère commence dès l’âge de 6 ans. Au secondaire, à partir d’un certain âge, les cours d’histoire et de géographie sont enseignés dans cette 1ère langue étrangère, » Pas d’hypocrisie ou de fausse pudeur, dites l’anglais. D’ailleurs vous le dites plus haut : « afin que chaque élève parle et comprenne bien au moins deux langues étrangères (dont l’anglais) ». Allons plus loin : suppression des allocs ou déportation pour ceux qui refusent l’anglais obligatoire. Il y a une autre solution qui concilie liberté et diversité linguistique : laisser le vrai libre choix de deux langues dès la 6e, parmi toutes celles existant (techniquement possible grâce à Internet pour les langues rares), y compris langues d’immigration (ce qui serait une vraie reconnaissance) espéranto et latin/grec ancien. Début au CM2 par une initiation linguistique non spécialisée dans une langue. L’école primaire est le lieu de l’ouverture d’esprit, pas de la spécialisation - outre l’apprentissage du français, bien oublié dans cette UE anglophone de vos rêves.
2. Le 11 juin 2012 à 16:28, par Pierre-Antoine KLETHI En réponse à : Comment renforcer l’identité européenne ?
Si j’insiste sur la maîtrise de l’anglais, je dois cependant vous contredire quand vous parler d’hypocrisie ou de fausse pudeur. Le choix, pour la 1ère langue étrangère, se fait entre français, anglais et allemand, et mon expérience me pousse à estimer les proportions comme suit : français : 35%, anglais : 45%, allemand : 20%. Je ne dispose pas des statistiques exactes, mais mes souvenirs corroborent à peu près ces chiffres. Par ailleurs, apprendre l’anglais n’empêche pas d’apprendre d’autres langues. La diversité linguistique est une richesse pour l’Europe. Enfin, pourquoi vouloir utiliser des langues peu connues / parlées, telles que l’espéranto, le latin ou le grec ancien, alors que justement l’anglais et le français sont deux langues très répandues. Vos propos semblent plutôt refléter une certaine « jalousie » du français par rapport à l’anglais...
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