L’ancienne présidente du Mouvement Européen - France, Sylvie Goulard, pourrait être le portrait robot de l’eurocrate : ancienne professeure à Sciences po et au Collège d’Europe à Bruges, intelligente, une grande culture, auteure de nombreux livres sur la construction européenne (dont « l’Europe pour les Nuls »), polyglotte émérite (elle peut passer du français à l’anglais, l’allemand et/ou l’italien dans une même conversation) et n’ayant pas peur des sujets complexes comme l’Union européenne et l’économie. Elle a même travaillé auprès de Romano Prodi quand celui-ci était président de la Commission européenne. Mario Monti aussi pourrait être perçu comme un sombre technocrate : il n’a jamais été élu mais il est désormais sénateur à vie, ancien commissaire européen, président de la prestigieuse université Bocconi à Milan, économiste reconnu...
Des technocrates... et alors ?
Oui, ces deux techniciens de l’Europe ne font pas de procès à la technocratie. Oui, ils n’opposent pas technocratie et démocratie. Oui, ils défendent les acquis issus de la construction européenne. Pour autant, ils ne rejettent pas non plus la politique : ils rappellent ainsi dans le premier chapitre que la Commission européenne, cible habituelle du qualificatif de « technocrate » devenu « eurocrate » avec le temps, est étroitement surveillée par les représentants directs des citoyens, le Parlement européen... et que c’est très bien ainsi.
De ces deux profils on pouvait attendre au premier abord un livre rempli de chiffres et de notions économiques difficiles à appréhender. Il n’en est rien. Le fil conducteur de l’ouvrage est le livre d’Alexis de Tocqueville : "De la démocratie en Amérique". Ce désir permanent de mettre en perspective l’action du présent ou du passé récent nous éclaire sur la situation actuelle de l’Europe en pleine crise de l’euro. Même sur des sujets économiques complexes (comme dans le chapitre 3), la situation devient plus compréhensible car dans la lumière de choix globaux, notamment avec la lutte contre les inégalités comme grille de lecture. Surtout, Sylvie Goulard et Mario Monti ne céderont pas sur un point fondamental à leurs yeux : le but de la politique n’est pas de prendre le pouvoir mais de l’exercer pour le peuple. Ainsi les politiques économiques ne sont pas des obligations pour faire plaisir aux marchés mais doivent être pensées et mises en oeuvre au service des citoyens.
Le problème démocratique « de » l’Europe ou « en » Europe ?
Les auteurs n’hésitent pas à pointer là où cela fait mal : « Le problème n’est pas celui du déficit démocratique de l’Europe mais celui, infiniment plus vaste, de la démocratie en Europe, qui englobe des systèmes nationaux et de leurs coordinations ». Ainsi, nous devons prendre en compte, au-delà de l’espace public européen, les dysfonctionnements de nos propres systèmes publics nationaux pour mieux saisir le malaise citoyen se faisant actuellement jour sur notre continent.
Le président du Conseil italien et l’eurodéputée constatent que le fonctionnement politique des institutions européennes entraîne « une double frustration : les électeurs européens expriment des choix au niveau national, où les moyens d’action sont de plus en plus limités, mais ont peu d’influence au niveau européen, où le pouvoir tend à se concentrer » (p.63). Les auteurs démontrent en sus que le Parlement européen, ayant de plus en plus de pouvoirs législatifs, « ne joue aucun rôle dans la gestion de crise ». Nous avons donc un problème au niveau de l’exécutif européen, notamment en lien avec le poids trop important du Conseil européen. Sylvie Goulard et Mario Monti en appellent « à un désarmement général, à une coopération plus fructueuse des gouvernements et des instances européennes » (p.68). Un livre co-signé par une eurodéputée et un dirigeant national en est le premier signe en tous les cas.
Un livre de haut niveau
La conclusion, p.239, résume bien le livre. Il s’agit ici pour les auteurs de mettre en avant de manière synthétique les idées qui leur tenaient à coeur en écrivant ce livre. On retiendra notamment le point n°10 :
« La refondation de l’Europe passe par un choix à assumer : soit le maintien d’une Europe originale, différente de la démocratie parlementaire classique, ce qui supposerait toutefois de la comprendre et de la défendre ; soit la création d’une démocratie parlementaire européenne, voire d’un régime présidentiel. Le pire en tout cas est l’entre-deux, la critique permanente du système au nom de la [démocratie], sans être prêt à l’instaurer effectivement ».
Les lecteurs assidus des livres sur la construction de l’Europe resteront peut-être sur leur faim car cet ouvrage est là pour aller de l’avant tout en tenant compte des mécanismes institutionnels européens d’aujourd’hui. Nous n’y trouverons donc pas de grande envolée sur l’Europe fédérale. Cependant, qu’il est bon de lire un texte où la politique est mise en perspective par de grands auteurs tels Alexis de Tocqueville ou Montesquieu. Cela nous réconcilie avec les débats sur l’Europe faisant souvent la part belle au court terme national.
Pour cette raison, nous ne pouvons que soutenir Sylvie Goulard et Mario Monti quand ils écrivent : « l’essentiel pour faire de la construction européenne un projet durable, est d’en revivifier l’esprit » (p.141).
1. Le 20 janvier 2013 à 15:29, par Sacha En réponse à : De la démocratie en Europe, par Mario Monti et Sylvie Goulard
@ Fabien Cazenave
Intéressante question que celle de l’eurocrate. Pour moi et pour toute notion, je pense, elle est dualiste.
On a des eurocrates « arriviste », comme partout, enfin, des hommes politiques qui se verrait bien eurocrate, parce que pour moi eurocrate est plutôt, positif, ce sont les hommes politiques européen influents.
Mais il ne faut pas oublier que en prenant l’exemple du Parlement européen, ils ont tous été élu.
2. Le 20 janvier 2013 à 15:44, par Sacha En réponse à : De la démocratie en Europe, par Mario Monti et Sylvie Goulard
Et puis il y a les Européens convaincu, qui ont de fortes convictions.
3. Le 30 octobre 2013 à 10:06, par cliquet En réponse à : De la démocratie en Europe, par Mario Monti et Sylvie Goulard
On sent quand même dans la démarche une influence certaine de la Commission Trilatérale. Quel que soit l’habillage, on retrouve les mêmes postulats depuis plus de 40 ans. On ne parle que de la voie « fédéraliste » de l’Europe en passant sous silence la voie de la coopération des États-nations. Or, il n’y a pas d’exemple sur le long terme montrant que la « fusion » des nations dans un ensemble plus vaste ait pu perdurer. Toutes les tentatives impériales se sont toujours soldées par un retour aux entités nationales. Enfin, je dirai que l’exercice de la démocratie ne peut se faire sans une certaine proximité entre les électeurs et leurs élus. Plus la distance entre eux s’accroit et plus les risques « sécessionnistes » deviennent importants.
4. Le 30 octobre 2013 à 10:29, par Fabien Cazenave En réponse à : De la démocratie en Europe, par Mario Monti et Sylvie Goulard
@Cliquet : bizarre de considérer que la France ne serait pas un ensemble trop grand alors que notre pays est beaucoup plus grand que la plupart des pays dans notre continent, et donc avec des dirigeants censés être plus éloignés du peuple qu’ailleurs... Le problème aujourd’hui de l’Europe tient à cette démocratie de relations internationales où nos dirigeants se mettent d’accord entre eux sans lien avec les Européens en tant que tel autre que leur mandat national. La coopération entre Etats-nations n’est pas une voie envisagée parce qu’il ne s’agirait alors pas de l’Europe, tout simplement... Enfin, les nations bourguignonnes, alsaciennes, corses, charentaises, angevines, chtis se sont bien intégrées à la France, non ?
5. Le 30 octobre 2013 à 21:47, par cliquet En réponse à : De la démocratie en Europe, par Mario Monti et Sylvie Goulard
@ fabien cazenave Il n’y a jamais eu a proprement parle de nations superposées sur nos provinces. Les etats-unis, par contre, ont tous les critères d’une nation car ils se sont construits autour de cette idée. Malheureusement, leur démocratie n’a plus d’elle que le nom. J’y vais assez souvent et je vois ce grand pays s’affaisser moralement et économiquement car le cartel financier qui le dirige est mondialiste avant tout. On en parle peu, mais certains états, comme le Texas, deviennent ouvertement sécessionnistes. L’Europe n’a jamais existé en tant que puissance politique et n’est pas prête à en devenir une. Son avenir semble malheureusement limité à devenir une vaste zone de libre échange ouverte à tous les vents peuplée d’apatrides coupés de leurs propres racines et subissant la volonté des marchés tout puissants. Ce qui fait la démocratie, c’est avant tout la capacité de redistribuer les richesses produites au plus grand nombre afin que ces classes « moyennes » puissent contribuer significativement à l’essor du pays. Actuellement, Les classes moyennes européennes se paupérisent les riches le deviennent de plus en plus, quel que soit le pays.
6. Le 31 octobre 2013 à 09:59, par Fabien Cazenave En réponse à : De la démocratie en Europe, par Mario Monti et Sylvie Goulard
Je suis en désaccord avec vous : la France s’est super-posée à nos « nations » régionales au fur et à mesure de notre histoire. D’ailleurs, le concept de Nation est quelque chose de relativement récent et n’a pas mille ans d’histoire... Par ailleurs, aux Etats-Unis il y a toujours eu un sentiment de méfiance vis-à-vis du pouvoir « central » avec un fort sentiment d’appartenance à son Etat fédéré, beaucoup plus fort qu’il n’est souvent présenté. L’Europe est certes une construction mais la démocratie doit désormais remplacer les relations internationales démocratiques que nous avons entre nous ;-)
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