De la citoyenneté européenne à la citoyenneté européenne de résidence ?
Il n’y a pas de nationalité européenne. Avec le Traité de Maastricht, une occasion a été manquée : créer une citoyenneté de l’UE détachée de toute référence nationale, une citoyenneté européenne, de résidence, ouverte à toute les personnes qui travaillent, vivent, résident sur le territoire de l’un des États membres. Une citoyenneté ouverte à tous, inclusive et non discriminante.
C’est devant cette conception, fermée, de la citoyenneté européenne et face à un certain découragement militant que la Lettre de la citoyenneté a été créée en 1994. C’est avec l’idée d’égalité de tous les étrangers que, à partir de 1994, presque chaque année, La Lettre de la citoyenneté a commandé un sondage avec, la même question, posée par le même institut : « Les étrangers des pays de l’Union européenne résidant en France ont désormais le droit de vote aux élections municipales et européennes. Personnellement, seriez-vous très favorable, assez favorable, assez opposé ou très opposé à l’extension du droit de vote pour les élections municipales et européennes aux résidents étrangers non membres de l’Union européenne vivant en France ? »
Si les réponses favorables tournaient autour de 30% lors des premiers sondages, elles dépassent 50% à partir de 1999, à l’exception des sondages réalisés aux décours des attentats du 11 septembre 2001 à New-York et du 11 mars 2004 à Madrid. Parallèlement, d’autres initiatives ont été prises : réflexion sur la citoyenneté de résidence, interpellation de parlementaires européens, de l’ONG européenne ENAR (European network against racism), campagne « un million de signatures pour une citoyenneté européenne de résidence » et multiples interventions dans différents pays de l’UE et au niveau des Forums sociaux européens... avec, il faut le dire, un succès d’estime, souvent une approbation de principe mais qui n’a pas entraîné de mobilisations à la hauteur de l’enjeu. Les préoccupations varient suivant les pays avec une priorité urgente, les sans-papiers.
La citoyenneté européenne de résidence et l’Union européenne
Au niveau de l’UE, le Comité économique et social européen, le Parlement européen ont pris position clairement, à plusieurs reprises, pour le droit de vote de tous les résidents étrangers aux élections municipales et européenne et même pour la citoyenneté européenne de résidence. Ils peuvent pour cela prendre appui sur les textes fondamentaux de l’UE. Particulièrement la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [1].
Dès le Préambule, la Charte place « la personne au coeur de son action en instituant la citoyenneté de l’UE… » et affirme « Toutes les personnes sont égales en droit » (Charte 20). Mais en conservant les critères du Traité de Maastricht [2] « Est citoyen de l’Union européenne, toute personne qui a la nationalité de l’un de États membres » (Maastricht 17), elle exclut de la citoyenneté des millions de personnes (des non personnes ?) qui ont la nationalité d’un État tiers. La Charte reconnaît de nombreux droits à toutes les personnes y compris des droits qui sont nommément attribués aux citoyens de l’UE, comme le droit de pétition : « Tout citoyen de l’Union ainsi que toute personne… résidant… dans un État membre, a le droit de présenter…une pétition au Parlement européen… » (Charte 44, Maastricht 21). La possibilité de s’adresser au médiateur « habilité à recevoir les plaintes émanant de tout citoyen ou de toute personne… résidant… dans un État membre… » (Charte 43, Maastricht 21). « Le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres » n’est reconnu qu’aux citoyens (Maastricht 18, Charte 45-1) mais la libre circulation des personnes « peut être accordée… aux ressortissants des pays tiers résidant légalement sur le territoire d’un État membre » (Charte 45-2).
Le droit de participer aux décisions politiques, attribut essentiel de la citoyenneté, est réservé aux citoyens de l’UE, droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et européennes (Maastricht 19, Charte 39-40). Mais la Charte (art.12) affirme « Toute personne a droit … à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association à tous les niveaux, notamment dans les domaines politique, syndical et civique… ». Ainsi, un étranger extra-communautaire est exclu du droit de vote mais peut être membre ou même président d’un parti politique ! En fait, ce sont les États qui attribuent la citoyenneté à travers leur législation sur la nationalité : un Marocain vivant en Belgique pourra obtenir la nationalité belge, donc la citoyenneté de l’UE, plus aisément que son frère en Autriche. Et ce sont encore les États qui attribuent le droit de vote aux élections locales. Au total, sur le territoire de l’UE, la population est divisée en « castes » en fonction de la nationalité des personnes et de la législation de l’État de résidence :
- nationaux qui peuvent participer à toutes les élections ;
- citoyens de l’UE avec droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales et européennes ;
- ressortissants des États tiers qui ont, ou n’ont pas, le droit de vote aux élections municipales ou locales, avec ou sans éligibilité, en fonction de la législation du pays de résidence ;
- sans compter les hors castes que sont les sanspapiers.
Cette hiérarchisation institutionnelle légitime d’une certaine façon les nombreuses discriminations de droit ou de fait dont sont déjà victimes ces personnes.
Quand, en 1976, la Commission européenne s’est préoccupée du droit de vote, c’était pour les « migrants », non les migrants européens : « L’objectif à atteindre est celui d’accorder aux migrants, au plus tard en 1980, la participation complète aux élections locales sous certaines conditions à définir, notamment du temps de résidence préalable… » [3]. Au plus tard en 1980 !!! Car pour la Commission, « …l’octroi de droits civils et politiques aux immigrés titulaires d’un titre de séjour de longue durée… favorise l’intégration » [4].
Dans le même esprit, depuis le Forum des migrants en 1995, nombreuses sont les associations (dont ENAR et l’Appel de Madrid en 2002) qui demandent l’attribution de la citoyenneté européenne à tous les résidents quelle que soit leur nationalité. Et aussi les institutions comme le Comité économique et social européen en 2002 : « Le Comité demande que la Convention étudie la possibilité d’accorder la citoyenneté de l’UE aux ressortissants des pays tiers ayant le statut de résident de longue durée » [5]ou en 2003 : « Propose à la Convention que l’article 7 accorde la citoyenneté de l’UE non seulement aux ressortissants des États membres mais aussi à toutes les personnes qui résident de manière stable ou depuis longtemps dans l’UE. » [6]
Le Parlement européen, particulièrement intéressé car élu au suffrage universel, a voté de multiples résolutions depuis 1993, demandant le droit de vote ou la citoyenneté de l’UE pour tous les résidents : « 8. demande au Conseil, à la Commission et aux États membres de mettre fin à la discrimination à l’égard des citoyens ‘extracommunautaires’ par rapport aux citoyens communautaires en accordant le droit de vote aux élections municipales aux personnes qui résident légalement depuis cinq ans dans un État membre ; 9. charge sa commission compétente d’élaborer le plus tôt possible un rapport sur les conditions d’accès au droit de citoyenneté pour les citoyens extracommunautaires ; 10. demande à la Commission d’élaborer une proposition sur cette question importante pour l’avenir de la Communauté et invite le Conseil à se prononcer en la matière lors du prochain Conseil européen. » [7]
La citoyenneté européenne de résidence est dans l’esprit des conclusions de Tampere qui proposait d’octroyer aux résidents « un ensemble de droits uniformes aussi proches que possible de ceux dont jouissent les citoyens de l’Union européenne, par exemple le droit de résider, d’étudier, de travailler à titre de salarié ou d’indépendant, ainsi que l’application du principe de non-discrimination par rapport aux citoyens de l’État de résidence. » [8]
L’UE s’est construite sur les principes de liberté, d’égalité, de justice. Son évolution récente tend à s’en écarter surtout si on tient compte de la montée des populismes dans différent pays d’Europe. Surtout si on considère la place que prennent les questions qui touchent aux immigrés et à l’immigration dans les batailles électorales et les querelles post-électorales. Pourtant, nul n’ignore le besoin d’immigration, au point de vue démographique ou économique de tous les pays de l’UE. Il faut donc réfléchir à la place qu’on veut faire à ces nouveaux Européens ! Qui peut avoir intérêt à maintenir des millions de personnes dans la discrimination en contradiction avec les principes proclamés ? Pourquoi ne pas faire d’une citoyenneté ouverte le ciment de l’« européanité » ?
Mais pour cela, il faut que la France comme l’UE mettent leur législation en accord avec les principes proclamés dans les textes fondamentaux. Pour le moment, avec la montée des populismes, elles n’en prennent pas le chemin.
1. Le 15 février 2013 à 15:42, par Mickaël.N En réponse à : De la guerre d’Algérie à la citoyenneté européenne de résidence
Vous fustigez les ambitions timorées du Traité de Maastricht en matière de citoyenneté européenne. C’est oublier la grande avancée que marque cette première reconnaissance d’une citoyenneté européenne.
A titre personnel, je déplore qu’une « nationalité » européenne n’ait pas vu le jour. Mais l’exiger dès 1992 n’aurait-il pas empêché toute évolution en raidissant les négociations ?
Maintenant que nous jouissons de cet acquis il est toujours temps de nous atteler à repousser les lignes de front.
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