Directive « Bolkestein » sur les services et principe du pays d’origine

Mythes et réalités face au risque de dumping social

, par Baptiste Thollon, Frédérique Rolin

Directive « Bolkestein » sur les services et principe du pays d'origine

Le projet de directive services sera examiné au Parlement européen dès ce mardi. Voici l’occasion de revenir sur le, contesté, principe du pays d’origine...

Il est d’abord utile de revenir sur les origines de ce texte afin de mieux en percevoir le contexte :

Ce projet de directive s’inscrit dans le processus de réforme lancé par le Conseil européen de Lisbonne visant à faire de l’UE « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » et ce pour 2010...

La Commission a proposé sa « stratégie pour le Marché intérieur des services », en décembre 2000. Il semblait évident que l’harmonisation sectorielle, méthode utilisée pour la libre circulation des marchandises (directives sur la taille des bananes, le taux de cacao dans les barres de chocolat....), ne pouvait être appliquée au marché des services. En effet, l’achèvement du Marché intérieur des services doit être réalisé en 2010 ce qui laissait trop peu de temps.

L’utilisation de la Nouvelle Approche par la Commission

C’est pourquoi, la proposition de la Commission repose sur une approche horizontale qui traverse tous les secteurs de l’économie concernés par les services, la concrétisation de cette approche passant par l’élaboration d’un instrument législatif transversal (directive-cadre par opposition aux directives sectorielles). C’est ce que l’on nomme la Nouvelle Approche, l’ancienne étant l’harmonisation sectorielle. De son côté, le Parlement européen avait insisté sur la nécessité de réaffirmer « le respect des Etats membres des principes du pays d’origine et de la reconnaissance mutuelle en tant que base essentielle pour l’achèvement du Marché intérieur des biens et des services », de même qu’il a souligné la nécessité de recourir à « un instrument horizontal sous forme de reconnaissance mutuelle (reconnaissance dont le caractère automatique doit être promu dans toute la mesure du possible) ».

La Commission a donc présenté un projet de directive-cadre relative aux services dans le marché intérieur en janvier 2004, projet dont on a longuement parlé mais, seulement, un an plus tard (tout lien avec le référendum en France est fortuit...).

Ce projet a pour objectif principal, selon la Commission, « d’établir un cadre juridique qui supprime les obstacles à la liberté d’établissement des prestataires de services et à la libre circulation des services ».

Le principe du pays d’origine paraît d’abord être une solution efficace

Dans ce contexte, le moyen le plus efficace de supprimer les obstacles à la libre prestation de service semble effectivement être l’application du principe du pays d’origine...

Prenons l’exemple d’un allemand, installé en Allemagne (dit État d’origine), venant couper les cheveux à un client qui a déménagé de l’autre côté de la frontière, en France (dit État d’accueil), le principe du pays d’origine permet au coiffeur allemand, à partir du moment où il se conforme à la législation allemande, de ne pas se conformer à la législation française.

En ce sens, le principe du pays d’origine est une déclinaison du principe de reconnaissance mutuelle . Ce dernier suppose que les Etats membres de l’Union Européenne se fassent suffisamment confiance pour admettre que leurs législations sont équivalentes. Ainsi, on admet qu’un coiffeur allemand puisse venir couper les cheveux d’un français en France sans lui demander de respecter les normes françaises en matière de désinfection de brosses à cheveux puisque l’on admet que les normes allemandes en la matière aboutissent à un résultat équivalent à celui que l’on aurait obtenu en appliquant les normes françaises (traduction : on suppose que les brosses à cheveux allemandes sont aussi propres que celles françaises) [1].

La reconnaissance mutuelle, un pilier de l’intégration communautaire

Le principe de reconnaissance mutuelle, mis en exergue par la Cour des Justice des Communautés Européennes dès la fin des années 70, est un pilier de l’intégration communautaire : non seulement il est un outil essentiel de la construction du marché intérieur mais il est également un élément révélateur de la spécificité de la construction européenne au regard des autres ensembles régionaux à vocation purement économique. En effet, le principe de reconnaissance mutuelle est intimement lié à un autre principe à savoir le principe de confiance mutuelle. En résumé, c’est parce que les États se font confiance que, dans la perspective de construire une « Union sans cesse plus étroite » , ils reconnaissent l’équivalence de leurs législations et appliquent le principe du pays d’origine.

Pour être plus concret, une française part en séjour Erasmus en Italie pour un semestre, elle tombe amoureuse d’un italien et veut retourner vivre à Rome dès la fin de ses études.... Sans le principe de reconnaissance mutuelle, elle ne pourrait pas exercer sa profession dans un pays autre que la France, à moins de repasser tous les diplômes équivalents en Italie...

Un principe connaissant de nombreuses dérogations

Cependant, il ne faut pas croire que le principe du pays d’origine soit absolu : conscients des différences existantes entre les Etats membres, ces derniers ont prévus un certain nombre d’exceptions permettant de déroger à ce principe.

Le projet de directive, complété par les propositions de la Commission du Parlement Européen, prévoit l’exclusion de certains secteurs du champs d’application de la directive. Sont ainsi visés les services publics (non-économiques), les services de soin de santé, les professions juridiques réglementées, etc.

D’autres secteurs sont dans le champ d’application de la directive mais l’application du principe du pays d’origine y est exclue. Il s’agit, notamment, des secteurs de l’électricité et du gaz, des services postaux...

En complément, le texte prévoit également l’adoption de directives sectorielles dans les cas où une harmonisation plus ciblée est nécessaire étant donné la divergence des législations nationales. En aucun cas, l’application du principe du pays d’origine ne doit d’apparenter à un nivellement par le bas.

Une directive qui ne touche pas au droit européen protecteur des salariés détachés

À cet égard, il convient de revenir sur le spectre du dumping social brandi par certains. En effet, le projet de directive prévoit explicitement, parmi les exceptions au principe du pays d’origine, le cas du détachement des travailleurs.

En outre, il est nécessaire de rappeler l’existence d’une directive de 1996 visant le détachement des travailleurs et qui pose comme principe l’application de la législation sociale la plus favorable aux travailleurs, peu importe qu’il s’agisse de celle de l’Etat d’accueil ou d’origine.

Par exemple, une entreprise de l’État A vient construire une ligne de chemin de fer dans un État B pour une entreprise public de cet État B. L’entreprise de l’État A vient prester ce service en utilisant sa propre main d’œuvre, soit des ressortissants de l’État A, mais comme la législation sociale de l’État B leur est plus favorable, l’entreprise de l’État A se voit contrainte d’appliquer cette législation [2].

Ainsi, il est tout simplement faux d’affirmer que le projet de directive services favorise le dumping social.

Que ce projet de directive ne soit pas le meilleur, certainement. Mais que l’on demande l’application systématique du principe du pays d’accueil au nom d’une forme de protectionnisme non avouée est intolérable. Cela reviendrait ni plus, ni moins à ruiner 30 ans de construction communautaire.... Si c’est cela votre plan B, chapeau bas messieurs !

Photo : manifestation des syndicats européens contre la directive services à Strasbourg le 14 février 2006 (source : Parlement européen).

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Notes

[1Les exemples ici cités ne se fondent pas sur des cas réels

[2L’exemple se fonde ici sur un cas réel (arrêt Rush Portuguesa, 1992, jurisprudence reprise par la directive de 1996)

Vos commentaires
  • Le 21 février 2006 à 11:11, par Ronan Blaise En réponse à : Directive « Bolkestein » sur les services et principe du pays d’origine

    Juste signaler l’existence d’un excellent papier sur cette question, sur le site de Radio Prague International (www.radio.cz/fr).

    Ce document du journaliste Alexis Rosenzweig, daté du 17 février dernier (et bizarrement intitulé "Directive Bolkestein" : « un vrai consensus » entre Français et Tchèques’’) aborde en fait les perspectives de développement économiques rendues possibles dans le domaine du BTP par l’adoption de cette fameuse ’’directive services’’.

    Et ce, sous la forme d’un interview avec M. Patrick Bernasconi, président de la Fédération française des Travaux Publics, visiblement alors de passage à Prague pour y discuter avec ses homologues tchèques.

    Un entretien dans lequel M. Bernasconi revient aussi plus longuement sur certains projets de grands travaux et de construction de grandes infrastructures ’’structurantes’’ ferroviaires (et autoroutières) en Europe centrale.

    (Ronan)

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