Or, des nombreux Etats qui sont sortis de l’orbite soviétique à la fin des années 80, peu appliquent de stratégie similaires –et encore moins concertées–, ce qui, ajouté aux divergences ouest-européennes sur la question, participe à la grande cacophonie lorsqu’il s’agit de définir une position commune sur une question liée au grand voisin russe.
Une « multivectorialité » efficace
Evidemment, tous ont en commun un passé avec Moscou. Mais ce « passé en commun » n’est pas, contrairement à la vision simpliste de l’ouest du continent, un « passé commun ». La seconde moitié du XXe siècle n’a pas été la même pour la RDA, la Hongrie, la Tchécoslovaquie ou l’Ukraine. De ces différences naissent probablement les divergences d’aujourd’hui, amplifiées par l’affirmation d’une indépendance politique réclamée plus ou moins fortement pendant cinquante ans dans tous les pays de la zone.
Face à la réussite provisoire de la stratégie russe de multivectorialité (c’est-à-dire l’active diversité de politique étrangère en terme de zones géopolitiques, de dossiers internationaux, de domaines d’intervention), les jeunes démocraties choisissent leur cheval de bataille et définissent leurs intérêts séparément face au géant oriental, qui, lui, bénéficie bien sûr a contrario de l’unité politique, et donc du poids stratégique.
Pologne et Estonie : la stratégie du bras de fer
Ainsi en va-t-il différemment selon les pays considérés. L’Estonie, par exemple, est en prise avec sa minorité russophone. La russification des pays baltes pendant l’URSS a provoqué le risque de mettre en minorité les Estoniens dans leur propre République. Pourtant, avec l’indépendance, il a fallu composer avec l’ensemble de la population, tout en respectant le droit des minorités tel qu’il est défini par les normes du Conseil de l’Europe et de l’Union Européenne. La question de la mémoire est également prégnante, avec les tensions engendrées par le démontage de la statue d’un soldat soviétique, symbole d’occupation soviétique pour les pays est européen et de libération pour les Russes.
La Pologne quand à elle, a des déboire avec Moscou en ce qui concerne le commerce de viandes et de produits agricoles dont cette dernière conteste les normes vétérinaires et phytosanitaires. Notons que ce différend n’est peut-être pas sans liaison avec le fait que Varsovie réclame la signature par Moscou de la « Charte de l’énergie sur l’efficacité énergétique et les aspects environnementaux connexes ». La Pologne est par ailleurs en conflit à propos de la minorité polonaise de Biélorussie (alliée relative de Moscou) et que son territoire est traversé d’un des deux gazoducs venant de Russie en Europe, Yamal-Europe. Enfin c’est en Pologne que devrait se voir monter des silos de missiles intercepteurs dans le cadre du projet de bouclier antimissile. Autant de sujets de discorde qui limitent les relations UE-Russie.
Biélorussie et Ukraine : alignement ou autonomisation
La Biélorussie, justement, se fait violemment anti-européenne en espérant s’attirer les faveurs du Kremlin, au grand dam d’une partie de sa jeunesse pro-européenne. Il était même question d’une union Russie-Biélorussie. Mais les problèmes d’approvisionnement de gaz ont même touché ce pays-là, pourtant traditionnellement considéré comme un protégé de Moscou, ce qui laisse présumé que les relations avec Minsk ne sont pas si bonnes que cela.
Le voisin ukrainien n’est pas mieux loti et c’est par lui qu’a commencé la mise à exécution du non approvisionnement en gaz. L’actuel président Iouchtchenko n’est quoiqu’on en dise en Europe occidentale, pas plus pro-européen que pro-russe. Il privilégie une vision balancée, mais précisément puisqu’il ne favorise pas la Russie, Moscou lui préfère publiquement son adversaire V. Ianoukovitch, s’invitant ainsi dans la vie politique de son voisin. Mais du fait de la mainmise économique de la Russie sur une partie importante de l’économie ukrainienne et de l’aspiration européenne d’une partie de l’électorat ukrainien, tenir l’équilibre stratégique est-ouest est une gageur pour Kiev.
Hongrie et Serbie : des intérêts russes plus diffus
La Hongrie n’a quand à elle certes pas la même pression que l’Ukraine, mais son économie s’est récemment vue réinvestie par des fonds russes, notamment dans le domaine aérien. Si la Hongrie a fait clairement le choix d’une politique orientée à l’ouest pour des raison historiques liées à la Révolution de 1956, étant désormais membre de l’OCDE, de l’UE et de l’OTAN, la Russie reste un partenaire nécessaire, voire indispensable. C’est en effet la Hongrie qui est le pays européen le plus dépendant du gaz russe, c’est-à-dire que la Russie lui fournit la quasi-totalité de son gaz.
La Serbie quand à elle, espère bénéficier le plus longtemps possible de la capacité de blocage offerte par le veto russe au Conseil de Sécurité de l’ONU concernant le futur statut du Kosovo. Mais la question de la Tchétchénie étouffée, Belgrade ferait bien de se méfier d’un retournement de la position moscovite quand au devenir territorial de l’ancienne région autonome yougoslave, dont l’indépendance pourrait servir de justification à Moscou pour le soutien de la séparation des Ossètes et Abkhazes de Géorgie à son profit.
Il existe donc autant de positionnements stratégiques vis-à-vis de Moscou que de pays dans la zone centre et est-européenne. Libre aux Etats de l’Union Européenne de tendre à des positions communes, car la division des dossiers et des acteurs profite d’autant plus à la Russie que le rapport stratégique d’Etat à Etat lui est très favorable en raison de sa dimension géopolitique. Peut-être serait-il ainsi nécessaire de se souvenir d’Esope, qui nous enseignait que « l’union fait la force ».
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