Et si on se donnait rendez-vous dans dix ans ?

Les Grands Hommes reportent leurs bonnes résolutions à 2020

, par Till Burckhardt

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Et si on se donnait rendez-vous dans dix ans ?

En 2000, en adoptant la Stratégie de Lisbonne, les chefs d’État et de gouvernement s’étaient figés l’objectif de faire de l’Europe “l’économie la plus dynamique et plus compétitive du monde en 2010”. Arrivés au rendez-vous, ils se rendent compte qu’il vaut mieux reporter le rendez-vous de dix ans. Qu’est-ce qu’ils ont fait de ces années ? Qu’est-ce qu’ils pourraient faire maintenant ?

Un taux de chômage à deux chiffres, des cerveaux en fuite, une productivité faible et surtout peu d’innovation : en 2000, les gouvernements européens et la Commission avaient de quoi se préoccuper. Pour inverser la tendance ils décidèrent d’adopter une stratégie pour promouvoir des réformes structurelles de façon coordonnée.

Hélas, la stratégie de Lisbonne, nommée d’après la ville où le document final fut présenté, n’a pas su répondre aux attentes. En dépit d’une légère hausse de l’emploi – souvent traduite par une hausse de la précarité, spécialement parmi les jeunes et les personnes issues de l’immigration – le taux de croissance est resté faible. Par ailleurs, la « révolution verte » des systèmes productifs ne reste qu’un slogan de campagne.

Qu’est-ce qui n’a pas marché ?

La grande interdépendance entre les économies européennes demandait un effort conjoint pour améliorer la situation économique, sociale et écologique du continent. La stratégie de Lisbonne préconisait des réformes dans des domaines avec des fortes implications sociales, telles que le droit du travail et les droits sociaux, tout comme l’imposition des revenus et des sociétés.

La communautarisation de ces compétences résulterait très problématique. D’un côté, à cause de leur nature « technocrate », les institutions européennes peinent à trouver une légitimité démocratique nécessaire. D’autre côté, la diversité des structures économiques, sociales et culturelles des États membres de l’UE n’est pas idéale pour l’application de recettes communes dans le domaine du social.

Pour trouver le « juste milieu » entre l’absence de coordination et l’introduction de normes européennes contraignantes, on mît à point la méthode de coordination ouverte. Cette approche devait permettre de coordonner les politiques publiques nationales de façon volontariste sans remettre en question la souveraineté nationale des États membres. Par rapport à la « méthode communautaire » traditionnelle, la « méthode ouverte » remplace des engagements obligatoires par des bonnes résolutions. L’idée sous-jacente est qu’un « droit souple » permet aux pays de coordonner leurs actions de façon plus efficace et moins controversée que le droit européen « rigide ». L’adhésion des États à la stratégie devait être assurée par la pression sur les chefs d’État et de gouvernement par leurs pairs à s’engager dans un jeu coopératif. En effet, la chancelière allemande (juste pour faire un exemple) serait sanctionnée par ses électeurs pour les manquements du premier ministre grec. Ce dernier serait ainsi mis sous pression par ses homologues, représentant leurs corps électoraux ; donc pas besoin de se soumettre au jugement des technocrates de Bruxelles.

Or, comme elle n’implique pas le recours au droit européen, la méthode ouverte exclut deux institutions-clé garantissant l’intérêt général des citoyens européens : le Parlement européen et, surtout, la Cour de justice de Luxembourg, qui peut se prononcer seulement en présence de droit communautaire contraignant. En conséquence, la méthode « ouverte » ne résout pas le problème du déficit démocratique et réduit les droits des citoyens européens.

La stratégie Europe 2020 propose d’aligner le budget, les politiques économiques et l’action extérieure de la Commission à ses objectifs déclarés afin d’introduire des incitations financières et créer les pouvoirs communautaires pour mettre en place la stratégie. Malheureusement, en raison du budget de l’Union, ces mesures sont une goutte d’eau dans la mer.

Le principal défaut de la stratégie de Lisbonne, répété dans Europe 2020, est l’absence de mesures à caractère contraignant. La nouvelle stratégie, bien qu’ébauchée par la Commission, est censée être d’ « appropriation résolue » des chefs d’État et de gouvernement. Pourtant, elle ne figurait en tant que telle dans le programme électoral d’aucune majorité de gouvernement et on voit mal dans quelle mesure les leaders, qui sont responsables devant ces majorités et, en dernier ressort, devant les électeurs devraient se sentir sous pression pour faire respecter à leurs homologues une stratégie qui n’a pas fait l’objet d’un débat démocratique dans leurs pays.

Comment sortir de l’impasse ?

Entre la méthode communautaire et la méthode ouverte il y a une troisième voie qui pourrait être en même temps plus légitime sur le plan démocratique et plus efficace sur le plan économique. D’après le traité de Lisbonne, les États-membres auraient la possibilité de s’engager dans une coopération renforcée à caractère contraignant s’ils remplissent des caractéristiques structurelles prédéterminées. Afin de pouvoir un tel accord entre un groupe d’États, le Conseil européen pourrait demander que si un traité n’est pas ratifié par au moins la moitié des États-membres représentant au moins la moitié de la population de l’UE dans un délai de cinq ans, la Commission serait chargée d’ébaucher des directives à caractère contraignant applicables dans tous les États-membres.

En effet, une telle solution aurait le mérite d’être conforme au principe de subsidiarité, car le niveau communautaire n’interviendrait que si une solution efficace n’est pas trouvée au niveau national. Étant donné que la participation à la coopération renforcée à caractère contraignant ne serait pas obligatoire, les États-membres auraient la possibilité de décider si prendre ces engagement ou non dans un débat démocratique.

Certes, dans une perspective fédéraliste, certains pourraient objecter qu’une stratégie contraignante pour tous les États-membres ébauchée par la Commission et adoptée par le Parlement européen serait plus souhaitable. À terme, cela pourrait être une option, mais à l’état actuel des choses ces institutions ne disposent ni de l’autorité ni de la légitimité pour prendre des décisions sensibles dans les domaines sociaux. Des débats nationaux sont donc incontournables.

L’acquis communautaire ne serait pas remis en discussion par des coopérations renforcées entre certains pays et dans certaines matières. L’intégration européenne a connu son succès grâce à la mise en commun de ressources d’après une méthode d’élargissement et approfondissement progressif. Le charbon, l’acier, le marché intérieur, la monnaie, la sécurité aux frontières ont été progressivement mises en commun par des coopérations renforcées qui ont évolué progressivement vers une véritable union politique.

Europe 2020 est une nouvelle marque pour vendre un outil politique complètement inefficace. Sans une révision en profondeur de son encadrement institutionnel, le meilleur traitement qu’on peut réserver à cette stratégie est de la jeter directement dans le bac à recyclage, parce que le papier est la seule chose qui mérite être recyclé.

Illustration : Europe 2020, source : Commission européenne

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