Europe et Turquie : jeux de miroirs

Compte rendu de la conférence de Bruno Cautrès et de Nicolas Monceau sur leur dernier ouvrage

, par Nicolas Leron

Europe et Turquie : jeux de miroirs

Compte rendu de la présentation par Bruno Cautrès et Nicolas Monceau de la parution prochaine de leur ouvrage La Turquie et l’Union européenne. Français, Européens et Turcs face à l’adhésion aux Presses de Sciences Po.

À l’occasion de la parution prochaine de leur ouvrage La Turquie et l’Union européenne. Français, Européens et Turcs face à l’adhésion (Presses de Sciences Po), Bruno Cautrès et Nicolas Monceau ont présenté leur étude lors d’une conférence qui s’est tenue au Centre d’études et de recherches internationales de Sciences Po (CERI) ce mardi 21 octobre 2008.

La Turquie occupe une place singulière dans les débats sur l’adhésion à l’Union européenne. Jamais une candidature n’a été autant débattue, ni suscité un tel clivage au sein des opinions publiques. Cela est dû à la spécificité du pays : sa taille démographique, sa situation géostratégique, l’Islam.

Mais la question turque est plus que cela. Elle se démultiplie : question de l’identité, question des frontières, question du déficit démocratique. Miroir, elle force l’Europe a se regarder en face et à s’interroger sur elle-même : quelle finalité pour l’intégration européenne ? Quelle identité pour l’Union européenne ?

Elle impose à l’Union européenne, aux États membres et aux citoyens européens la difficile épreuve de mettre des mots sur des conceptions et des ambitions plurales et divergentes, sur des rêves parfois intimes d’une quête d’Europe. La constitution d’un « comité de sages » en charge de réfléchir au futur de l’Union peut être, dans ce sens, comprise comme une conséquence de la candidature turque.

Jeux de miroirs : croiser les perceptions

L’ouvrage ne proposera pas une analyse à sens unique, de l’Union européenne vers la Turquie, mais à double sens, selon une analyse en miroir qui consiste à croiser les perceptions réciproques.

L’étude révèle une nette cristallisation des opinions publiques sur la question turque autour de la moitié des années 1990, c’est à dire au moment de sa politisation. Seulement 10 à 15 % des citoyens européens n’ont pas d’opinion sur le sujet, contrairement aux années 1980 marquées par une certaine indifférence. À la structuration progressive des opinions publiques correspond une accentuation des opinions défavorables.

Mais l’Europe est plurielle, traversée par de profondes disparités. Les auteurs ont identifié plusieurs blocs d’États membres, ce qui laisserait supposer une ligne de partage entre anciens et nouveaux États membres : l’Allemagne, la France, l’Autriche, Chypre étant assez défavorables à l’adhésion, à l’inverse de la Roumanie, de la Bulgarie et de la Croatie.

Démystifier la question turque

Les deux auteurs se sont posés pour objectif de démystifier la question de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, d’éviter son instrumentalisation. Pour cela, ils se basent sur une analyse scientifique d’importantes bases de données sur les opinions publiques européennes et turques, spécifiquement celles offertes par l’Eurobaromètre.

Si la frilosité des opinions publiques européennes sur l’adhésion turque est généralement expliquée par la difficulté de la Turquie à remplir les critères de Copenhague (respect des droits de l’homme, démocratie et solidité économique), Bruno Cautrès et Nicolas Monceau contestent cette analyse superficielle et proposent une analyse factorielle avec deux facteurs structurants : le facteur historico-culturel, voire géopolitique, et le facteur de l’immigration.

La Turquie sur l’Europe

Pour l’analyse de l’opinion publique turque sur l’adhésion à l’Europe, Bruno Cautrès et Nicolas Monceau utilisent la notion de « consensus permissif » développée dans les années 1970 et 1980 pour expliquer l’adhésion des peuples européens à la construction européenne. Cette notion caractérise une attitude passive de suivi : les populations étaient alors favorables au projet européen par ignorance de son contenu et de sa finalité.

L’application de ce modèle théorique à la Turquie se révèle très intéressante. Le phénomène d’euroscepticisme turc, daté à partir du printemps 2004, correspondrait à l’éveil de l’opinion turque sur l’Union européenne, et notamment la prise de conscience d’un double standard réservé à la candidature turque. Toutefois, la Turquie demeure le pays où la méconnaissance de l’Union européenne et le sentiment de fierté nationale sont les plus forts.

La nouveauté, en Turquie, tient à la désaffection d’une partie des élites vis-à-vis de l’Union européenne. Au soudain espoir d’une accession à l’Union à l’horizon d’une quinzaine d’années du fait de l’ouverture officielle des négociations en octobre 2005, s’est substitué le désenchantement amer de la vision d’une Europe qui la rejette. L’action de Jacques Chirac pourrait résumer cette rancune : l’ancien président a, dans un premier temps, accepté la candidature de la Turquie – à rebours de l’opinion publique française –, pour, dans un deuxième temps, redonner le choix aux français en imposant un référendum pour toute nouvelle adhésion.

La Turquie apparaît comme l’enjeu actuel majeur de l’intégration européenne, tout comme l’accession à l’Union l’est en retour pour la Turquie. Destins croisés, destins liés.

* Cet article a été préalablement publié sur le site nonfiction.fr.

Illustration : cartographie de la Turquie, issue de Wikicommons.

Cet article s’inscrit dans le cadre d’une semaine consacrée à la question de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne. Les positions et les propos soutenus au travers du présent article n’engagent que leur auteur.

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