1er janvier 1986 - 1er janvier 2006

Il y a vingt ans : l’Espagne et le Portugal dans l’Europe...

Une adhésion naturelle, mais durement marchandée...

, par Ronan Blaise

Il y a vingt ans : l'Espagne et le Portugal dans l'Europe...

Ce 1er janvier 2006, nous commémorons l’entrée dans l’aventure européenne, il y a vingt ans, de deux pays qui nous sont pourtant très proches : l’Espagne et le Portugal, alors gouvernés par les PM Felipe Gonzalez, Mario Soares (et Anibal Cavaco Silva). Un événement qui nous est raconté, ici, par Jean-Michel Gaillard.

À l’heure où le dernier élargissement du 1er mai 2004 est contesté par certaines voix dans l’opinion publique française, il nous semble intéressant de revenir sur cet élargissement de 1986 qui, pour naturel qu’il nous paraît aujourd’hui, n’en n’a pas moins été à l’époque - comme on va le voir ici - fortement contesté et durement marchandé...

1er janvier 1986 : cap au sud !

L’un des premiers effets de la relance de Fontainebleau, en juin 1984, a été de débloquer les négociations d’adhésions de l’Espagne et du Portugal.

Un précédant dès 1981 : l’adhésion de la Grèce

Alors que le centre de gravité de l’Europe s’était déplacé vers le monde anglo-saxon avec l’entrée de la Grande Bretagne, de l’Irlande et du Danemark, l’adhésion de la Grèce, effective le 1er janvier 1981, n’avait guère modifié la structure géopolitique de la Communauté.

En outre, Athènes était historiquement liée à Bruxelles puisqu’une demande d’adhésion avait été déposée dès le 8 juin 1959 et qu’un accord d’association avait été conclu le 9 juillet 1961 : le pays recevait des aides financières et bénéficiait pour ses produits d’un accès privilégié au marché commun.

Mais tout avait été suspendu en 1967, lors de l’instauration de la dictature militaire [1].

Le retour de la démocratie, en 1974, avait remis en vigueur l’accord de 1961 et posé la question de l’adhésion de la Grèce. Comment l’espace démocratique d’Europe de l’Ouest, confronté à la menace soviétique, aurait-il pu dire non à un régime démocratique ? La Grèce, sollicitait son aide pour consolider les libertés et accélérer son développement.

Les négociations s’étaient engagées en 1976, et le Traité d’Athènes de 1979 avait permis l’adhésion au 1er janvier 1981.

Du rétablissement de la démocratie à l’ouverture des négociations d’adhésion

Tout ne fut pas aussi facile pour la péninsule Ibérique. Certes, une fois encore, l’Europe démocratique ne pouvait que se réjouir de la fin des dictatures en Espagne et au Portugal. Personne ne fut étonné de voir ces deux pays, désireux de conforter leurs régimes et de sortir du sous-développement, poser très vite leur candidature, en 1977 [2].

Cependant, et c’est là tout le paradoxe de la construction européenne, celle-ci, née pour des raisons politiques, avait pris la forme d’une union économique. Dès lors, le « oui » politique, s’il sonnait l’heure des négociations, ne pouvait effacer les obstacles économiques à la conclusion rapide de celles-ci.

Au risque de provoquer l’ire des candidats, les Neuf posèrent des conditions draconiennes aux deux pays. C’est que l’élargissement, alors que la Communauté était confrontée aux chocs pétroliers et à la paralysie de ses institutions du faitt de la question britannique, risquait de bouleverser de fragiles équilibres.

Aussi put-on prendre la mesure des enjeux dès l’ouverture des négociations, fin 1978 avec le Portugal, et début 1979 avec l’Espagne [3].

Des conditions d’adhésion draconiennes

Enjeux agricoles d’abord. La perspective de voir les produits méditerranéens (vins, agrumes, fruits, légumes, huile d’olive) entrer dans l’espace des Dix hérissait les agriculteurs italiens et ceux du sud de la France. La France prit la direction des opérations : communistes et gaullistes du RPR se solidarisèrent avec les agriculteurs du Midi, les socialistes firent de même après 1981.

Tous rechignaient également à faire des concessions sur l’Europe de la pêche : la flotte espagnole est alors la plus importante du continent (17 000 bateaux). Lui permettre un libre accès aux eaux européennes risquait de faire voler en éclats la nouvelle politique commune.

Enjeux financiers ensuite. D’une part, l’application des principes de la Politique agricole commune à l’Espagne et au Portugal ne pouvait qu’en augmenter les coûts, mais aussi en engendrer de nouveaux, liés à la restructuration des agricultures de la France, de l’Italie et de la Grèce. D’autre part, la mise à niveau des deux pays, en matière d’infrastructures notamment, exigeait des transferts financiers importants, que le budget communautaire ne pouvait assumer.

Des enjeux agricoles, financiers et institutionnels

Aux enjeux agricoles et financiers [4] s’ajoutent les soucis institutionnels (combien de voix attribuer à chacun des deux pays lors des votes à la majorité qualifiée au Conseil ? Comment faire fonctionner la Commission avec deux Etats membres de plus et la Cour de justice avec deux juges supplémentaires ?).

Enfin, le contentieux politique franco-espagnol lié au terrorisme basque et aux conflits entre pêcheurs n’arrangeait rien.

On mesure l’ampleur du fossé qui séparait au début des années 1980 les candidats à l’adhésion.

Adhésion de l’Espagne
Signature de l’Acte d’adhésion de l’Espagne à la Communauté européenne par Felipe González (à droite) et Fernando Morán López (à gauche).

Sept années de négociations marathon

De ce fait, rien de décisif n’a été obtenu pendant le marathon des six premières années. Celui-ci s’est déroulé dans un climat de fortes tensions, accrues par le fait que l’Espagne avait adhéré à l’Alliance atlantique et à l’OTAN en peu de temps (1981) grâce au soutien manifeste des Etats-Unis. Il manquait une volonté politique et des moyens financiers à l’élargissement.

L’accord de Fontainebleau (de juin 1984) y pourvoit. En moins d’un an, les difficultés sont aplanies. Les accords sont signés le 12 juin 1985 à Madrid et à Lisbonne, et l’entrée des deux pays est effective le 1er janvier 1986.

Naissance de l’Europe des Douze

L’Europe à douze compte 320 millions d’habitants. elle est certes plus hétérogène, plus complexe institutionnellement, mais elle accueille deux pays dynamiques qui croient en elle et offrent à ses industries et services des débouchés appréciables. Cela à un moment où le Marché commun, décidé en 1957, s’apprête à devenir enfin une réalité.

 Sources : D’après les « Grands jours de l’Europe » (opus cit.) de Jean-Michel Gaillard : un ouvrage paru en 2004, aux éditions Perrin (140 pages ; ici : pages 83 à 87).

Photos : Commission européenne

Notes

[1Juste souligner que la mise en place d’un régime dictatorial en Grèce lui avait vallu le triste privilège d’avoir été, en janvier 1969, le seul Etat européen à avoir jamais été exclu du Conseil de l’Europe. Et ce, jusqu’au rétablissement de la démocratie, en novembre 1974.

[2Le 28 mars 1977 pour le Portugal, et le 28 juillet 1977 pour l’Espagne.

[3En octobre 1978 pour le Portugal, et en février 1979 pour l’Espagne.

[4Et juste souligner que, comme lors des élargissement de 1972-1973 et de 1979-1981, les adhésions de l’Espagne et du Portugal avaient été assorties de très nombreuses clauses dérogatoires à la libération des échanges et autres « périodes de transition » imposées par les pays de la CEE à l’égard des nouveaux entrants.

Ainsi, pour ce qui concerne l’Espagne : pour l’industrie, la « période de transition » s’étendait sur sept ans, sur dix ans pour l’automobile, sur trois ans pour la sidérurgie, sur quatre ans pour les textiles, sur six ans pour les monopoles nationaux (tabac) et pour les produits pétroliers, sur sept ans pour la pêche ainsi que pour les produits agricoles (hors vins, soumis à contingentements, et hors matières grasses végétales, soumises à un « délai de surveillance » de dix ans).

Vos commentaires
  • Le 23 janvier 2006 à 14:52, par Ronan Blaise En réponse à : Portugal / Vingt ans après : Revoilà Cavaco Silva...

    Et juste signaler l’élection à la Présidence de la république du Portugal -en ce dimanche 22 janvier 2006- du chef de gouvernement alors au pouvoir au Portugal au moment de l’adhésion de ce pays à la CEE de l’époque : l’ancien PM (1985-1995) et candidat de droite Anibal Cavaco Silva (66 ans), austère professeur d’économie (libéral) soutenu par les partis de droite et par le parti social-démocrate (centre-droit).

    L’ironie de l’Histoire étant qu’il soit ainsi élu Président de la république dès le premier tour (avec près de 51% des voix, d’après les résultats partiels -mais officiels- divulgués hier soir, vers 22h00) grâce à la division des partis de la gauche portugaise, handicapée par de multiples candidatures, dont celle -précisément- d’un autre personnage important de la vie politique portugaise des années 1980 (et au moment de l’adhésion...) : l’ancien PM et ancien Président de la république Mario Soares (81 ans), donné troisième lors de ce premier tour...

    Néanmoins, juste préciser que le nouveau président Cavaco Silva devra cependant cohabiter avec l’actuel chef de gouvernement José Socrates, PM socialiste au pouvoir depuis mars dernier (après des élections législatives qui avaient donné la majorité absolue au Parti socialiste ).

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