Référendum

Jacques Ziller : « Le Traité a été conçu pour éviter les référendums et pour éviter d’avoir à expliquer le Traité de Lisbonne »

Interview de Jacques Ziller réalisée l’Université Bocconi, Milan, le 26 octobre 2007

, par Florent Banfi, Till Burckhardt

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Jacques Ziller : « Le Traité a été conçu pour éviter les référendums et pour éviter d'avoir à expliquer le Traité de Lisbonne »

Jacques Ziller, professeur de droit européen à l’Université de Pavie et à l’Institut Universitaire Européen de Florence, a récemment publié « Le nouveau Traité européen » (Il nuovo Trattato europeo, Il Mulino, Bologna, 2007) avec la preface de Giuliano Amato et la collaboration de Samuele Pii. Lors de la présentation de l’ouvrage à l’Université Bocconi de Milan, nous avons eu l’occasion de nous entretenir avec lui à ce sujet.

Le Taurillon : Monsieur le Professeur, dans votre ouvrage, vous comparez l’Europe au géant Gulliver, pourquoi cette image ?

Jacques Ziller : L’image est très simple. Dans la langue française, on utilise souvent l’expression « Gulliver empêtré ». C’est l’image de Gulliver qui est lié au sol par tous ces fils dans lesquels l’ont enserré les Lilliputiens. Et en lisant toutes les déclarations et les protocoles supplémentaires qui ont été ajoutés avec le Traité de Lisbonne, l’on a cette impression d’être empêtré dans toute une série de fils plus ou moins visibles. Et donc l’idée m’est venue de Gulliver, ce géant couché à terre - dans le premier chapitre des Voyages de Gulliver de Jonathan Swif - , que les Lilliputiens veulent empêcher de se lever parce qu’ils en ont peur. Les Lilliputiens ont peur de l’inconnu.

C’est cette peur de l’Union européenne de la part d’hommes politiques ou de certains techniciens qui ont peur d’une chose qu’ils ne connaissent pas bien mais surtout qui ont peur d’expliquer à la population que l’Union n’est pas une chose dangereuse, que c’est un géant par rapport aux États-membres actuels, mais ce n’est pas un danger pour eux. Voilà l’origine de cette image.

Le Taurillon : Qu’est-ce que vous pensez de la possibilité, prévue par le traité, d’avoir des opt-out, notamment à la lumière des évolutions récentes au Danemark et en Pologne ?

Jacques Ziller : Il faut distinguer : il y a depuis le traité de Maastricht des possibilités d’opt-in ou d’opt-out, c’est-à-dire la possibilité pour les États-membres de choisir de participer à une politique à l’avenir ou au contraire de dire tout de suite « je ne veux pas y participer ».

La première chose à dire, c’est qu’avec le Traité de Maastricht cela signifiait un changement total par rapport à ce que l’on faisait avant. Avant c’était toute la Communauté qui faisait tout ensemble, soit qui ne la faisait pas. À partir du Traité de Maastricht, on s’est rendu compte qu’il n’était pas possible d’avancer à la même vitesse tous ensemble. Dans ce sens là, le fait d’avoir des opt-in et des opt-out est sans doute réaliste et c’est le seul moyen d’aller de l’avant.

Depuis le Traité de Maastricht, on ne fait plus tout ensemble comme à l’époque de la Communauté

Tels qu’ils sont prévus dans le Traité de Lisbonne, il y a un danger en particulier en ce qui concerne les possibilités d’opt-in pour le Royaume-Uni – parce que c’est surtout de lui qu’il s’agit – et un peu pour le Danemark en matière de Troisième pilier [Coopération policière et judiciaire en matière pénale, ndlr]. Le danger est le suivant, et on l’a déjà observé dans les années passées justement pour le Troisième pilier et pour des cas, comme Schengen, où le Royaume-Uni avait des possibilités d’opt-in. Un gouvernement dit : « Oui, oui. Je veux participer à tel projet ». Il participe donc aux négociations et il en fixe les paramètres, le cas échéant, en empêchant les autres d’aller plus loin. Et puis au dernier moment, il dit : « Non, ça ne me plait pas ». En théorie, les autres peuvent dire : « Puisqu’on est entre nous, on peut quand même aller plus loin ». Mais la dynamique est telle qu’une fois que le texte est ficelé, une fois qu’il est prêt, on ne revient pas dessus.

On a plusieurs fois assisté au fait qu’un gouvernement qui finalement ne participera pas à une politique en a néanmoins fixé les paramètres. Et ça c’est très dangereux et c’est renforcé dans certaines options d’opt-in/opt-out du traité de Lisbonne. Une dernière remarque : l’opinion publique ne joue pas forcément dans le sens prévu. Le Royaume-Uni a fait des efforts pour obtenir cet absurde protocole sur la Charte, que certains présentent comme un opt-out – il ne l’est pas vraiment mais peu importe. Résultat : dès le lendemain du sommet de juin, ce sont les syndicats britanniques qui ont dit « Nous voulons un référendum parce que nous ne voulons pas d’opt-out de la Charte ; nous voulons justement les droits sociaux qui sont dans la quatrième partie de la Charte ». Les changements d’attitude en matière d’opt-out résultent simplement du fait que les gouvernements n’ont pas la capacité de prévoir sur quoi l’opinion publique va se focaliser.

Le Taurillon : Le Traité réformateur a été conçu, entre autres, pour éviter des référendums de ratification. Est-ce que vous pensez que cette solution présente seulement des avantages ou pourrait-elle présenter également des inconvénients ?

Jacques Ziller : Soyons clairs, il n’y a aucun doute que le traité a été prévu pour éviter des référendums dans un certain nombre d’États-membres. Mais le choix de faire un référendum, sauf en Irlande, est purement un choix politique. C’est une question d’avoir le courage ou pas le courage de dire : « Je fais un référendum ». Ce n’est jamais – sauf en Irlande – dû au fait qu’il y a une règle constitutionnelle qui oblige à avoir un référendum. Je rajouterais : le traité a été conçu pour éviter des référendums, mais surtout pour éviter d’avoir à expliquer le traité constitutionnel.

C’est dangereux parce que tous les eurosceptiques vont s’emparer de cet argument

La dynamique a été telle qu’on a fait un choix plutôt qu’un autre sur tels ou tels endroits où il y avait des doutes. Ceci, évidemment, est dangereux parce que tous les eurosceptiques vont s’emparer de cet argument et ils le font déjà en disant : « On vous ment. On va vous faire la même chose que ce qui a été rejeté par référendum ». Ce qui me semble dangereux, c’est qu’au lieu d’avoir eu le courage – et c’est trop tard maintenant, il fallait le faire pendant l’été 2005 – en France, aux Pays-Bas, mais aussi au Royaume-Uni, de dire voilà exactement ce qu’il y avait dans le traité constitutionnel qui constitue des progrès, on a dit « Le peuple souverain a tranché » - sans que l’on ne sache vraiment ce qu’il avait tranché.

En réalité, le problème n’a pas été pour ces dirigeants politiques d’être obligé de faire d’abord un référendum puis de trouver les moyens de ne pas le faire, cela a été de ne pas savoir faire ce que les gouvernements danois et irlandais on fait en 1992/93 et en 2001/2002, c’est-à-dire d’avoir le courage de dire « Quel est le problème ? qu’est-ce qui ne vous plait pas dans ce traité ? on va essayer de le résoudre ». Et ceci m’amène à répondre : effectivement il y a un danger c’est que même si le traité est ratifié maintenant, à l’avenir il risque d’y avoir un accroissement de la défiance des électeurs. L’on a déjà vu cela avec le traité de Maastricht : il y a eu un référendum presque perdu en France ; l’on en a oublié les leçons et le référendum suivant a été négatif. Donc la prochaine fois qu’il aura des référendums nationaux cela risque d’être encore une fois non parce que dans chaque pays, même si l’on parle d’Europe, on ne parlera que de l’Europe qu’on veut dans le pays en question, pas dans l’ensemble des pays de l’Union. Est-ce que ça veut dire qu’un référendum est mauvais en soi ? Pas forcément. Ce qui est mauvais c’est d’avoir des référendums séparés à des dates différentes et dans différents pays parce que si un pays vote « non » il n’a pas tout seul les clés pour rouvrir la porte qu’il a fermée, contrairement à ce qui se passe avec un référendum européen.

Le Taurillon : Peut-on espérer qu’un jour on pourra ratifier une constitution européenne par un référendum européen ?

Mieux vaut pas de référendum du tout que des référendums nationaux non coordonnés

Jacques Ziller : On peut l’espérer. Je dirais qu’il vaut mieux pas de référendum du tout que des référendums nationaux non coordonnés. Personnellement, je suis à faveur d’un référendum surtout parce qu’il oblige les politiques à expliquer les choses. Et un référendum européen obligerait à expliquer l’Europe différemment de la manière dont cela se fait à l’occasion des débats de ratification nationaux.

On ne peut pas exclure qu’un jour il y aura conscience dans les gouvernements nationaux du fait qu’un référendum peut être une chose utile. Surtout parce qu’avec un référendum européen il est possible de prévoir une alternative comme on l’a connu par exemple en France en 1946. On a eu deux référendums de suite sur la constitution française en 46 : le premier a été négatif mais en même temps que le vote négatif il y a eu immédiatement l’élection d’une nouvelle assemblée constituante.

Avec un référendum européen, on peut dire : « Si vous votez « non » voulez-vous élire une assemblée constituante ou donner un nouveau mandat au Parlement et au Conseil pour rassembler les forces pour écrire un autre texte qui – lui – sera accepté ». C’est possible, mais uniquement avec un référendum européen, certainement pas avec des référendums nationaux.

Biographie

Jacques Ziller, né en 1951, a été professeur titulaire de Droit public et européen à l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne et enseigne maintenant à l’Institut Universitaire Européen de Florence et à l’Université de Pavie.

Illustration : photographie de Jacques Ziller, issue du site de European University Institut

Jacques Ziller, Il nuovo Trattato europeo. Il Mulino, Bologne 2007 (€ 12). Préface de Giuliano Amato et en collaboration avec Samuele Pii.

La publication de la version française de l’ouvrage est prévue pour 2008.

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