Pourtant, dans l’esprit de la plus grande partie de la population française, il ne s’agit pas d’un des personnages centraux du XXe siècle. Et cet ouvrage est là pour réparer cette injustice.
En effet, par ce livre publié en 1988, Pascal Fontaine - dernier assistant du grand homme - nous livre ici la biographie de ce personnage méconnu qui fut pourtant l’un des Pères fondateurs et, en fait, le grand « inspirateur » de l’Europe.
Pour tous ceux qui voudraient aborder et découvrir l’œuvre fondatrice de Jean Monnet :
Jetez-vous donc sur ce livre qui a le grand mérite d’être à la fois clair et synthétique, nous racontant cette construction de l’Europe que Monnet - homme aux racines charentaises - a souhaité, suscité et accompagné tout au long de sa vie..
Une vision universaliste dirigée vers la Paix
« Il y a deux sortes d’Hommes : ceux qui veulent être quelqu’un et ceux qui veulent faire quelque chose ». Par cette citation de Jean Monnet, l’auteur nous rappelle ainsi - dès le début de ce livre - cet état d’esprit qui a motivé l’œuvre de ce grand personnage de notre histoire, injustement méconnu.
Où l’on découvre que c’est au contact de la réalité économique et par l’analyse des échecs de la SDN (qu’il avait pourtant soutenu par sa grande capacité de travail, en tant que Secrétaire général adjoint, en 1920-1923) que Jean Monnet se forgera une véritable vision universaliste des rapports entre les hommes, tournée vers un objectif clair : faire réellement avancer les États sur la voie de la paix.
De l’Union franco-britannique à la CEE, des projets innovants
Après avoir réussi, en juin 1940, à convaincre Churchill et De Gaulle du bien fondé de son projet d’ « Union franco-britannique » [1] (une belle initiative, malheureusement arrivée trop tard, au moment la capitulation française), après guerre Monnet prendra la direction du « Commissariat au plan » pour reconstruire la France par l’union de toutes ses forces, dans la paix.
Pour relancer l’Europe, il essaiera de faire pencher la balance de l’opinion publique et gouvernementale française en faveur du Plan Marshall, plan d’aide financière d’origine américaine. Pour cela, un argument majeur : l’intérêt commun.
C’est par le biais économique qu’il cherchera à susciter cet intérêt commun. Avec l’aide de Robert Schuman, il va participer à la création de la « Communauté Européenne de Charbon et de l’Acier » en 1954 : les pays réunis au sein de cette CECA acceptant de se soumettre à une instance supranationale devant agir au nom de l’intérêt commun pour la gestion de ces matières premières au cœur des tensions de l’époque.
Ainsi, il pouvait s’attaquer aux souverainetés nationales sur un point certes limité mais avec beaucoup d’audace [2]. L’aboutissement de cette vision pragmatique sera l’adoption des Traités instituant CEE et Euratom, et en rendant possible la mise en place du Marché commun en 1957.
Un Père de l’Europe
De même, il faut souligner que c’est encore Jean Monnet qui sera l’inspirateur - en 1974 - de la décision de transformer les Sommets ponctuels réunissant les chefs d’États européens - sommets jusque là informels - en de véritables Conseils européens réguliers se réunissant à dates fixes. C’est donc a juste titre que, le 2 avril 1976, Jean Monnet sera déclaré « Citoyen d’honneur de l’Europe » par le Conseil européen.
Jean Monnet a, cependant, eu très tôt conscience de la limite de sa méthode d’intégration pragmatique au moyen de ’’projets concrets’’, méthode aujourd’hui qualifiée de « fonctionnaliste ». Critique à l’égard de sa démarche, il finit ainsi par se rendre compte qu’il était devenu indispensable que l’objectif politique poursuivi par la Communauté soit désormais clairement expliqué au public.
Ainsi il estimait très justement que « ’opinion publique ne serait véritablement touchée au cœur par le projet européen que si elle en connaissait la nature, les tenants et les aboutissants. Et seulement s’il existait une véritable Autorité européenne politiquement responsable, reconnue comme telle, et non pas seulement des technocrates, ce qui est le cas aujourd’hui » [3].
Le 16 mars 1979, à plus de 90 ans, ce voyageur infatigable qui voulait tant rapprocher les hommes s’éteint dans sa maison à Bazoches, dans les Yvelines. Ce Père de l’Europe, que les plus grands de ce monde (tel Roosevelt, Blum, Churchill ou De Gaulle...) ont considéré comme leur égal, avait ainsi produit une œuvre politique décisive qui a durablement transformé notre cadre de vie et les destinées de tout un continent.
Un livre au cœur de la méthode Jean Monnet
L’auteur de cet ouvrage, Pascal Fontaine, a été - entre 1973 et 1976 - le dernier assistant de Monnet. Dans cette biographie, il nous emmène dans les pas de la méthode Jean Monnet. Suivant ici un plan chronologique, nous suivons la progression de l’idéal européen de cet homme qui, dans sa vision universaliste, faisait de l’Europe un modèle pour le monde entier [4].
La méthode Jean Monnet, pour y revenir rapidement, est fondée sur la mise en valeur des intérêts communs et le rassemblement ponctuels des forces et des énergies pour réaliser des objectifs (souvent économiques) demandant l’union de tous pour être menés à bien. Les populations qui se faisaient la guerre jusqu’alors se retrouve unie dans la même dynamique.
Mais Pascal Fontaine nous montre que ce qui fait l’originalité de la méthode Jean Monnet c’est surtout une philosophie et un message humaniste qui sont systématiquement à la base de ses différentes propositions et prises de position politiques. Une vision de l’avenir où l’intérêt commun est alors à la fois toujours le niveau supérieur et l’étape suivante, pour la réalisation du bonheur collectif. Et ce, dans le cadre d’une dynamique qui ne s’arrête jamais. De ce point de vue, l’auteur nous démontre à quel point la politique des « petits pas » peut être utile pour faire face aux blocages de toute sorte, souvent idéologiques.
Jean Monnet a mis en marche une révolution politique par le biais de réformes progressives fondées sur une base pragmatique d’union des hommes sur notre continent. Ici la dynamique du changement est bâtie sur la mise en oeuvre d’idées simples avançant par la mise en action permanente. Si le changement est effectivement porteur de bouleversements en profondeur, il n’en sera pas moins d’autant mieux accepté qu’il sera graduel et progressif [5].
Une construction européenne ayant force de révolution pacifique
L’auteur - Pascal Fontaine - conclut qu’il est désormais trop tard, pour les Européens, « de faire marche arrière. Mais, d’ailleurs, avons-nous encore le choix ? » [6].
En tout cas, sa biographie de Jean Monnet nous démontre bien que faire du surplace n’a jamais été le meilleur moyen de faire avancer la construction européenne. La mise en action de principes humanistes, qui sont le fondement même de l’Europe d’aujourd’hui, est le meilleur moteur pour faire avancer cette révolution pacifique qui nous réunit aujourd’hui.
Dans un livre clair qui nous emmène, tambour battant, dans cette construction européenne à laquelle la vie de Jean Monnet est tellement attachée, nous trouvons là les clefs qui nous expliqueront la méthode « Monnet ». Une ’’méthode’’ où la concertation autour de l’intérêt commun est la base de travail et où la mise en action est la contre-partie fondamentale pour que tout projet puisse effectivement voir le jour.
Un livre passionnant, préfacé par Jacques Delors, que nous vous recommandons si vous désirez vraiment aborder l’œuvre de Jean Monnet avant - qui sait - d’attaquer ses « Mémoires » ...
A lire :
« Jean Monnet, l’inspirateur » : un ouvrage de Pascal Fontaine, publié à Paris -en 1988- par les éditions « Jacques Grancher éditeurs » (Prix : 10,43 Euro).
Illustrations, ci-dessous :
Photographies de Jean Monnet et de Robert Schuman. Sources : wikimedia (Copyright © Ministère des Affaires Étrangères, service photographique).
1. Le 23 septembre 2006 à 19:44, par alain villefayaud En réponse à : « Jean Monnet, l’Inspirateur »
liser si vous le voulez
http://www.revue-du-commerce-international.info rubrique histoire amicalement alain villefayaud
2. Le 16 janvier 2007 à 13:26, par Ronan Blaise En réponse à : « Jean Monnet, l’Inspirateur »
- Compléments d’informations :
Comme l’affirment des documents d’archives britanniques officiels exhumés hier, ce 15 janvier 2007 (par la BBC) : le projet de ’’fusion’’ franco-britannique de juin 1940, alors proposé par Jean Monnet aux chefs du gouvernement Winston Churchill et Paul Reynaud, allait réapparaître quelques années plus tard, en septembre 1956.
Cette fois-ci les principaux protagonistes de l’affaire sont le président du Conseil Guy Mollet (socialiste) et le Premier ministre britannique Anthony Eden (conservateur). Lesquels se rencontreront à Londres, le 10 septembre 1956, pour évoquer ces questions.
Où il est notamment question d’une « Union politique » conclue entre les deux Etats, voire d’une entrée de la France dans le « Commonwealth » (ce qui aurait lors fait d’Elisabeth II - Reine du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du nord - le chef de l’Etat de la République française).
Là, il ne s’agit plus de lutter contre le nazisme et d’essayer de gagner la seconde guerre mondiale mais, désormais, d’essayer de freiner la décolonisation et la perte d’influence des deux anciennes grandes puissances européennes dans les espaces coloniaux d’Afrique et d’Asie (dans le contexte de l’émergence des ’’non-alignés’’ : à la suite de la fameuse conférence de Bandung d’avril 1955...).
L’une des premières réalisations de cette ’’alliance’’ franco-britannique aurait été la mutualisation des moyens militaires en vue de certaines opérations d’envergure comme celle, conjointe, lancée en octobre 1956 pour la reprise du canal de Suez, contre l’Egypte nationaliste nassérienne (laquelle soutenaitt également l’insurrection indépendantiste du FLN, en Algérie...).
Mais l’échec final de cette opération militaire (sous pression soviétique, et américaine...) allait définitivement ’’plomber’’ le projet d’Union politique franco-britannique. Inquiête par le contexte de la guerre froide mais désormais échaudée par la ’’perspective britannique’’ (et sa dimension coloniale), la France allait donc désormais davantage se tourner vers l’Allemagne fédérale (et l’Europe). La voie était ouverte vers la conclusion du Traité de Rome...
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