L’Autriche et l’Europe : une relation tumultueuse

L’euroscepticisme n’a jamais été aussi important dans la république alpine

, par Arnaud Laaban

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L'Autriche et l'Europe : une relation tumultueuse

Les deux partis d’extrême droite, le FPÖ et le BZÖ, sont les vrais gagnants de la récente élection législative, ayant séduit respectivement 17,5% et 10,7% des électeurs, et ce même s’ils n’atteignent pas la majorité absolue.

L’Europe bouc émissaire de la politique autrichienne. Pendant la campagne électorale, l’Europe est devenue la tête de turc de beaucoup d’hommes politiques autrichiens. L’extrême droite a ainsi durci le ton et concentré ses attaques sur deux thèmes : la possible adhésion de la Turquie à l’Union Européenne et la fin de la neutralité de l’État, à laquelle les Autrichiens sont très attachés.

En 2007, l’extrême droite a mené une campagne de communication agressive à l’encontre des Turcs. On pouvait ainsi lire sur les murs de chaque station du métro viennois une affiche publicitaire du FPÖ : « Vienne ne doit pas devenir Istanbul » (les publicités à caractère politique sont autorisées en Autriche). Un peu plus tard, peu après la ratification du traité de Lisbonne, le métro viennois était à nouveau submergé d’affiches publicitaires avec le slogan suivant : « Plutôt libre et neutre que l’asservissement et le droit de l’UE ». Bien entendu, ces piques en provenance des extrêmes ne sont pas si étonnantes. Il convient ainsi de garder en mémoire les accusations de certains hommes politiques français à l’égard de Bruxelles.

La position d’une partie des sociaux-démocrates autrichiens est, elle, plus étonnante et plus ambiguë. L’euroscepticisme au sein du parti social-démocrate autrichien (SPÖ) est en effet tenace. Celui-ci n’a rien à voir avec celui des éléments les plus à gauche du parti socialiste français qui aspirent à une Europe sociale. Les sociaux démocrates autrichiens, dont le candidat et nouveau chancelier Werner Fayman,, entretiennent une relation étrange avec le quotidien populiste Neue Kronen Zeitung, dont les tribunes antieuropéennes sont devenues une habitude.

En juin, après le vote irlandais, l’ancien chancelier autrichien Alfred Gusenbauer a publié un article dans ce journal appelant à consulter le peuple autrichien dès que le droit européen entraînerait des modifications de la constitution autrichienne — un discours jugé plutôt antieuropéen par les autres membres de l’Union européenne. L’ÖVP (parti à tendance conservatrice), partenaire des socialistes autrichiens dans le cadre d’une grande coalition, n’a pas supporté ces propos, ce qui a conduit à la fin du gouvernement noir/rouge.

L’ÖVP n’a pas plus renoncé à ses convictions européennes dans la campagne. Une stratégie non couronnée de succès comme en témoigne son score historiquement bas (26%). L’euroscepticisme paraissait donc une condition sine qua none d’une victoire dans les urnes.

Le malentendu au sujet de l’Europe

Pourquoi cet euroscepticisme est-il si prégnant en Autriche ? L’Autriche a tout d’abord adhéré à l’Union européenne assez tardivement, en 1995. Jusqu’en 1991, l’Autriche était de toute façon obligée de se tenir hors de la Communauté européenne. Après la Seconde Guerre mondiale, le pays était en effet divisé en quatre zones. Cette situation ne cessa qu’à partir de 1955, quand Molotov, le chef de la diplomatie russe accepta après de longues négociations le retrait des dernières troupes russes d’Autriche. En contrepartie, le pays devait rester neutre.

Cet épisode de l’histoire contemporaine a une signification particulière : pour la première fois de son histoire, l’Autriche a pris en main son propre destin. Depuis 1918, le pays avait toujours vu les autres grandes puissances décider à sa place : les frontières et l’interdiction d’Anschluss en 1921, l’Anschluss forcé de 1938, la partition de l’Autriche en 1945…C’est pourquoi la neutralité constitue même un élément fondateur de la jeune nation autrichienne.

Après la chute du mur de Berlin et l’effondrement de l’Union Soviétique, la question de l’adhésion à l’Union européenne, et donc de la renonciation à la neutralité, s’est posée en Autriche. En 1995, le pays a choisi la voie européenne. Néanmoins, les politiques autrichiens, ainsi que les représentants des diverses institutions européennes, ont toujours cherché à convaincre les électeurs du pays que l’Union européenne n’avait en rien mis à mal la neutralité de l’État autrichien. D’où un malentendu entre le peuple autrichien et les politiques autrichiens pro-UE, que l’extrême a bien su exploiter.

La peur des autres

Logiquement, cet euro scepticisme a eu des conséquences sur les relations entre l’Autriche et ses voisins. Bien que l’élargissement à l’est de l’UE en 2004, et surtout celui de la zone Schengen en 2007, ont rétabli la liberté de mouvement dans les territoires de l’ancien Empire austro-hongrois pour la première fois depuis 1918, un sentiment de peur s’est installé dans le cœur d’une partie des Autrichiens : peur d’un dumping social, peur des immigrés de ces pays ou passant par ces pays… Cette peur de l’autre, surtout envers les immigrés, est en fait la crainte de perdre sa propre identité.

Celle-ci est particulièrement fragile puisque l’Autriche s’est presque toujours faite dicter son histoire depuis l’extérieur. C’est pourquoi le sentiment d’animosité envers les Turcs, mais aussi envers les Allemands, est si fort. Malheureusement, cette situation ne concerne pas seulement les plus âgés. La moitié des 16-18 ans (la majorité électorale en Autriche a été abaissé à 16 ans) a été séduite soit par le jeune leader du FPÖ Heinz-Christian Strache, soit par le charismatique dirigeant du BZÖ, Jörg Haider.

L’avenir de l’Union Européenne en Autriche s’est donc assombri, d’autant plus que les jeunes se tournent de plus en plus vers les discours extrêmes. Les malentendus sur la neutralité sont encore profonds et le manque d’européisme des politiques autrichiens ne pourra permettre de renverser cette tendance à court terme.

Illustration : Drapeaux du Land de Niederösterreich, de l’Etat autrichien et de l’Union européenne. Source : Petra Broda sur flickr

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