L’Europe dans le monde en 2012 : une année perdue pour la diplomatie du Vieux Continent

, par Charles Nonne

L'Europe dans le monde en 2012 : une année perdue pour la diplomatie du Vieux Continent
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L’année 2012 fut marquée par le total essoufflement de la politique étrangère européenne. En pleine débâcle économique, l’Europe a confirmé la vacuité de son action face aux nombreux bouleversements qui ont traversé, et traversent encore, un grand nombre de régions voisines. A l’image de l’action de sa Haute représentante, la diplomatie européenne est la preuve que les moyens financiers et matériels mis en œuvre pour réaliser une politique ne seront efficaces que s’ils sont orientés par une ambition claire et affirmée.

L’année 2012 aura été caractérisée par la continuation de crises ayant éclaté antérieurement. Les révolutions au Maghreb et dans le monde arabe se sont poursuivies et leur issue est aujourd’hui de plus en plus incertaine, la violence atteignant notamment des sommets en Syrie. Malgré les nombreuses médiations occidentales, l’Iran poursuit avec une vigueur renouvelée ses recherches dans le domaine du nucléaire, suscitant les craintes de la quasi-totalité de la communauté internationale. Le bourbier israélo-palestinien a gagné en complexité, avec la reconnaissance de la Palestine par l’assemblée générale des Nations unies ainsi que l’opération « pilier de défense », lancée par Israël dans la bande de Gaza à l’automne. Partout dans le monde, les droits de l’Homme sont un sujet constant de préoccupation : l’Europe a souvent suscité des espoirs en tant que médiateur potentiel et en tant qu’incarnation d’idéaux et de valeurs universels.

Pourtant, un grand nombre de ces espoirs furent déçus en raison de la faible volonté politique des dirigeants de l’Union et d’une politique extérieure de l’Union toujours aussi peu ambitieuse.

Le prix Nobel de la paix, succès immérité ?

Le 10 décembre 2012, l’Union européenne s’est vue officiellement décerner le prix Nobel de la paix, au nom de son action passée en faveur de la paix entre les peuples depuis les années 1950. Le prix ne récompensait cependant que l’action bénéfique de l’Europe entre ses différents Etats membres, et non pas la politique qui aurait pu être la sienne dans la promotion des droits de l’Homme et de la paix à l’étranger.

L’Europe mérite-t-elle un tel prix ? Le débat ne s’éteindra probablement pas alors que les dirigeants européens renouvellent leur soutien à des politiques d’austérité délétères et terriblement risquées pour la prospérité des Etats membres. L’action de l’Europe durant six décennies a sans doute contribué à la préservation de la paix en Europe, mais la paix n’aurait-elle pas été également garantie en l’absence d’une telle organisation ? L’Europe doit cependant demeurer à la hauteur des espoirs qui sont placés en elle, et prouver que le prix qui lui a été décerné est mérité, en promouvant hors de ses frontières les valeurs de paix et de liberté qui ont longtemps motivé ses politiques.

Des contradictions insurmontables ?

Malgré les quelques succès qui auront caractérisé l’action extérieure européenne en 2012 – et notamment des actions militaires comme l’opération Atalante –, celle-ci reste chancelante et profondément liée aux décisions politiques des Etats membres. Plusieurs éléments ont empêché des actions vigoureuses lorsque celles-ci étaient encore possibles.

Premièrement, les divisions permanentes entre Etats membres affaiblissent l’Union dans la promotion de ses valeurs : la diplomatie européenne est ainsi reléguée à un rôle d’invocation. Lors du vote du 29 novembre sur la reconnaissance de la Palestine en tant qu’Etat observateur à l’ONU, les efforts titanesques engagés par le SEAE pour dégager une position commune auront été vains : 14 Etats ont voté en faveur de la reconnaissance et un Etat a voté contre, les 12 autres Etats membres s’étant abstenus. Cette division révèle une réalité nouvelle : l’Europe n’est désormais plus qu’un simple bailleur de fonds de la Palestine, le pouvoir de médiation dans le conflit résidant désormais dans les mains de la Turquie, de l’Egypte ou du Qatar. Les divisions entre Etats européens ont également ressurgi lors de la cérémonie de remise du prix Nobel aux trois « dirigeants » de l’Union européenne. Plusieurs chefs d’Etat ont prétexté un agenda trop chargé ou une opposition de principe pour s’abstenir d’assister à la remise officielle, à l’instar de David Cameron ou de Vaclav Klaus, président de la République tchèque.

Deuxièmement, quelques Etats européens dont la diplomatie est particulièrement compétente et qualifiée, souvent convaincus d’être encore investis d’une grandeur passée, répugnent à transférer leur pouvoir de décision politique à l’Europe. Tel est le cas d’un Royaume-Uni qui n’a pas totalement fait le deuil de son empire colonial et qui persiste à fantasmer sur les perspectives d’une alliance rapprochée avec les Etats-Unis ; alors que ces mêmes Etats-Unis ont aujourd’hui le regard rivé sur l’Océan pacifique. La France est également dans cette situation ; le Quai d’Orsay semble parfois tenté d’agir seul à propos de dossiers délicats ou particulièrement sensibles, pour lesquels il s’estime davantage qualifié que l’Union européenne.

Le troisième facteur paralysant l’action de l’Union est le manque de confiance des Etats membres en l’Europe pour coordonner leurs positions afin de donner un semblant de cohérence aux positions du Vieux Continent. A cet égard, le SEAE est composé de diplomates particulièrement compétents, mais il demeure une coquille vide.

Pour l’ensemble de ces raisons, l’Europe aura été, bien malheureusement, particulièrement inaudible au sujet des révolutions arabes qui se sont poursuivies en 2012. C’est également en raison de ces dissensions que les Etats-Unis délaissent progressivement une Europe décrédibilisée – la place accordée à notre continent dans la campagne électorale américaine en est une illustration éloquente. La diplomatie américaine abandonne progressivement ses alliés traditionnels en Europe (le Royaume-Uni, la Pologne), et ceux-ci commencent à peine à le réaliser.

L’avenir de la diplomatie de l’Europe est entre les mains de ses Etats

Ces divisions ne sont que la conséquence fâcheuse d’une absence totale de crédibilité européenne. L’Europe ne pourra pas ambitionner de se substituer à ses Etats membres tant que sa légitimité démocratique ne sera pas égale à celle des Parlements nationaux et des gouvernements des différentes nations européennes. Cette légitimité démocratique ne pourra elle-même émerger que si un projet commun européen est façonné, et si une action internationale ambitieuse et originale en est l’un des piliers fondateurs.

A la veille de l’année 2013, deux perspectives semblent s’offrir à l’Europe.

Si l’on considère un scénario positif pour l’Europe, celle-ci parviendra à clarifier progressivement ses différentes positions, par exemple à l’égard d’Israël. Tous les dossiers sur lesquels les vingt-sept sauront s’accorder seront confiés à l’Europe et celle-ci deviendrait alors un interlocuteur, mais également un acteur, de qualité.

En revanche, si la diplomatie européenne se poursuit telle qu’en 2012, le principe de subsidiarité sera à nouveau invoqué par les chancelleries nationales et par les chefs d’Etat européens et l’Europe assistera, impuissante, à la dérive de la géopolitique mondiale vers l’océan Pacifique et ses puissances riveraines.

L’Europe et ses Etats, simples spectateurs de la géopolitique mondiale

L’Europe dispose d’un potentiel indéniable ; elle doit néanmoins faire un effort de communication afin de dépasser ses contradictions internes, et mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour assurer sa présence à l’international. Malgré la puissance de certaines diplomaties nationales et l’imperfection des traités actuels, l’Europe peut parvenir à des résultats tangibles : les relations internationales sont un domaine où l’Union européenne est l’échelon géographique le plus adapté pour mener une politique commune.

Dès lors quels seraient les premiers pas vers une diplomatie européenne ? Tout d’abord, changer de dirigeants européens est devenu une nécessité, tant Mme Ashton et M. Barroso semblent inadaptés pour incarner une Europe puissante et souveraine. Ensuite, le retrait du Royaume-Uni permettra de relancer une Europe politique et les dirigeants britanniques cesseront de mettre tous les moyens institutionnels en œuvre pour freiner la construction d’une Europe autre qu’économique.

Par la suite, les Etats membres devront déléguer à l’Union des dossiers où les intérêts nationaux convergent, afin que cette dernière se concentre sur des dossiers précis – ainsi la promotion des droits de l’Homme, les relations avec l’Union africaine et d’autres organisations internationales régionales – et abandonne l’utopie d’une politique européenne globalisante, contreproductive à l’heure actuelle.

Il est enfin certain qu’une réelle politique étrangère européenne ne pourra voir le jour que lorsque l’Europe disposera d’un gouvernement politique autonome, légitimé par des élections démocratiques et appuyé par des institutions à la fois représentatives des Etats et des citoyens européens.

Telles semblent être les conditions pour que la diplomatie de l’Europe soit enfin et en définitive une véritable diplomatie européenne.

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