Le nucléaire apparaît en France comme un enjeu particulièrement politisé, qu’en pensez-vous ?
Antoine Cuerq : Les enjeux énergétiques sont avant tout des enjeux politiques. Le nucléaire a été un choix assumé des politiques français, pour nous porter vers l’indépendance énergétique. Le partage des rôles est clair : c’est aux pouvoirs publics de définir l’intérêt général et c’est aux industriels d’y apporter des réponses dans la mise en œuvre. Même si 75% de notre électricité provient du nucléaire, c’est une erreur de croire qu’EDF est un tenant absolu de cette énergie : c’est le premier investisseur mondial dans les énergies renouvelables, avec 400 millions d’euros par an.
Peggy Kançal : Il faut aujourd’hui aborder le débat du nucléaire avec un esprit d’ouverture, afin de remettre l’intérêt général au cœur du débat. Il s’agit de déterminer quel est le modèle énergétique le plus compatible avec le changement climatique mais aussi l’intérêt général, en quittant le discours émotionnel et/ou dichotomique des pros et des antis. Nous assumons aujourd’hui les conséquences du développement industriel de notre pays. Il y a 30 ans, la France a fait le choix de miser sur le tout nucléaire, qui est à l’origine de 75% de notre électricité. C’est un choix politique par essence, il faut investir aujourd’hui massivement dans les énergies renouvelables sans mettre tous les œufs dans le panier du nucléaire qui ne peut être conservé à long terme. Nous voulons adopter le même schéma que la prise de conscience qui s’est faite sur la question de l’eau.
Quelles sont les alternatives qui s’offrent aujourd’hui au nucléaire ?
Antoine Cuerq : Comme je l’ai mentionné plus tôt, EDF est le premier opérateur des énergies renouvelables dans le monde grâce à ses investissements massifs dans la recherche. La question des énergies renouvelables pose avant tout la question de la gestion des réseaux. Ce sont des énergies intermittentes parce qu’une éolienne fonctionne 1800 à 2000h, les panneaux photovoltaïques 1300h par an. Ces dispositifs nécessiteraient donc de mettre en place des centrales fonctionnant avec des énergies fossiles pour pouvoir assurer la demande en électricité, ce qui alourdirait le bilan carbone français.
L’énergie nucléaire de demain sera encore plus efficace. Avec l’ITER, on passera de la fission à la fusion nucléaire, ce qui diminuera aussi les déchets radioactifs. La question est de savoir si on peut travailler sur le nucléaire d’après-demain si on s’en passe aujourd’hui. D’autant plus que d’ici à 2050, on devra faire face à un double défi : un défi énergétique mais aussi un défi démographique, avec une population qui s’estimera à 9 milliards d’humains. Cette population se concentrera dans les villes et on prévoit d’ores et déjà un doublement de la consommation en électricité.
Peggy Kançal : EELV travaille naturellement sur ces questions et estime que le tout nucléaire est un mauvais choix, c’est pourquoi nous proposons un scénario de transition sur 20 à 25 ans. A terme, les 58 réacteurs présents sur notre territoire doivent fermer car ils font courir un risque trop important à la population, passé 40 ans d’exploitation. Il faut revoir le mix énergétique. Les centrales nucléaires produisent beaucoup d’énergie, en continu, et 900TW sont perdus dans leur refroidissement alors qu’on pourrait utiliser cette énergie pour chauffer les bâtiments publics. Il faut développer 3 axes : une politique de sobriété nationale, une politique d’efficacité énergétique (via des rénovations, l’investissement dans des énergies de stockage…) et une transition progressive vers un modèle énergétique qui ne soit plus basé sur le nucléaire et les énergies fossiles. La tendance a été à une véritable « casse » des énergies renouvelables au niveau gouvernemental, il faut montrer que des alternatives sont viables à une échéance d’une vingtaine d’années. Selon le rapport du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du Climat), 80% des besoins énergétiques mondiaux pourraient être fournis par les énergies renouvelables.
La catastrophe de Fukushima a suscité énormément de craintes en France. Quel est le risque réel de catastrophe nucléaire sur notre territoire ?
Peggy Kançal : La question de l’acceptabilité du risque est un argument sociétal majeur contre le nucléaire. Peut-on, veut-on faire courir un risque aussi grand à la population en cas de catastrophe nucléaire ? On a vu la peur que la tempête de 1999 a entraîné concernant la centrale nucléaire de Blaye (Gironde). Les craintes de la population sont aussi grandissantes face à des catastrophes de l’ampleur de celle de Fukushima au Japon. D’autre part, il y a aussi le problème des déchets de l’industrie nucléaire qui sont nombreux et dangereux. Les démantèlements de centrales sont des procédés compliqués et encore mal maîtrisés… En termes de cycle de vie, le nucléaire montre ses limites. Les coûts de ces démantèlements sont, de plus, inclus dans le prix du kWh, qui va subir une augmentation de 30% au minimum.
Enfin, il faut évoquer le problème du MOx (le Mixed Oxides Fuel), un combustible constitué de 7% de plutonium et de 93% d’uranium appauvri, nettement plus dangereux qu’un combustible classique et qui booste les capacités des centrales nucléaires. En cas d’accident, le MOx aurait des conséquences beaucoup plus graves.
Antoine Cuerq : Il n’est pas justifié de penser que nos centrales nucléaires sont moins sûres du fait qu’elles soient anciennes. C’est en réalité l’inverse. La politique d’EDF est de tirer un retour d’expérience du passé et effectue donc les modifications nécessaires dans toutes ses centrales à la suite d’un incident technique. Les centrales actuelles sont donc plus sûres qu’à leurs débuts.
S’agissant de l’exemple dramatique de Fukushima, le MOx n’est pas responsable de l’accident. Ce qui a provoqué l’explosion est la surchauffe de la centrale due à un excès d’hydrogène. Toutes les centrales nucléaires d’EDF sont équipées de recombineurs d’hydrogène, qui fonctionnent de manière passive, même en cas de coupure de l’alimentation.
Le rôle de l’Autorité de Sûreté Nucléaire est crucial : elle doit être indépendante pour juger des modifications à apporter aux installations lors des visites décennales. C’est le seul garant de la sûreté et cette autorité assure près de 400 contrôles par an en France. L’exploitant n’a pas à juger lui-même de ses installations.
Concernant les déchets, regardons le bilan d’EDF et ses provisions pour le démantèlement et le retraitement. L’entreprise a provisionné 29 milliards d’euros (chiffres de 2008, en augmentation depuis) seulement pour ces dépenses prévues. De plus, une partie est constituée d’actifs liquides immédiatement, s’il fallait faire face à une urgence.
Enfin, contrairement à d’autres industries, le nucléaire internalise ses coûts dans le prix de l’électricité. La compétitivité du nucléaire repose sur le fait que le coût du combustible ne représente que 5% du coût total. Le prix du kWh en France est très compétitif, avec un bilan carbone inférieur à celui de nos voisins européens.
Que penser des stress tests imposés par la Commission européenne ?
Peggy Kançal : La Commission européenne n’a pas pris en compte le risque terroriste, ce qui fausse complètement l’analyse. EELV avait demandé l’inclusion de ce facteur de risque, qui avait été refusé par la France et par EDF. Ce critère ne pouvait apparemment rentrer dans les critères de résistance. La question est de savoir si une centrale pourrait résister à la chute d’un gros porteur.
Encore une fois, il faut aussi penser à « l’impensable » et à la conjonction de risques imprévus, comme dans le cas de Tchernobyl. Cela peut être une combinaison de risques sismique, climatique…
Antoine Cuerq : La France a en effet refusé d’inclure le risque terroriste dans ses tests. La raison est simple : les sites des centrales nucléaires font l’objet d’une sécurité particulière dont certains dispositifs relèvent du secret défense. Par ailleurs, en France, les centrales sont conçues pour résister à 3 ou 4 fois le séisme le plus fort enregistré en France. Si on prend la catastrophe japonaise, le problème est la construction de la centrale elle-même… EDF encourage la création d’une autorité européenne de la sûreté nucléaire. Nous ne pouvons que constater et déplorer ici l’absence de politique énergétique européenne et même de la moindre coordination dans ce domaine.
La technologie nucléaire est un des fleurons de l’industrie française. Peut-on abandonner un secteur économique d’une telle importance ?
Peggy Kançal : On nous a vendu le nucléaire comme un atout pour la balance commerciale française, l’EPR devait s’exporter partout dans le monde. Résultat, pour l’instant nous l’avons vendu à la Finlande. 11 pays étaient intéressés mais ils ont retiré leur offre, on peut donc questionner cet atout. Il y a de très grandes et nombreuses compétences dans ces industries, c’est vrai. Il ne s’agit pas de les éliminer mais de réorienter ces filières.
Antoine Cuerq : Ces informations ne sont pas tout à fait exactes, ce n’est pas aussi simple. Un certain nombre de pays ont confirmé leur option nucléaire. EDF a le projet de construire 4 EPR au Royaume-Uni. En Chine, 12 réacteurs fonctionnent et 24 sont en construction. L’Inde, l’Afrique du Sud et la Finlande ont confirmé cette option, et un certain nombre de pays d’Europe continentale (Belgique, l’Italie, l’Autriche et la Suisse) se pose actuellement la question. La France est le 2ème pays du monde en termes de capacité de production d’énergie nucléaire, derrière les États-Unis. EDF est aussi le premier exploitant au monde, avec 73 réacteurs nucléaires.
D’une manière générale, il faut considérer le nucléaire comme partie intégrante des solutions. Le coût de la sortie du nucléaire serait nettement supérieur.
1. Le 21 décembre 2011 à 11:50, par T En réponse à : L’Europe du nucléaire : débat ou-vert ?
Mix-énergétique : du nucléaire donc, mais également des énergies renouvelables et fossiles !
2. Le 27 décembre 2011 à 11:56, par Giroud Bernard En réponse à : L’Europe du nucléaire : débat ou-vert ?
Faut-il rappeler en premier lieu à quel point l’équilibre biologique, l’équilibre de la vie sur terre est une condition limitée ? Cinq degrés de moins, en moyenne, sur la planète, nous ramènerait à l’ère glacière. Qu’en serait-il de cinq degrés en plus ? Combien de millions, voir combien de milliards de femmes et d’hommes en moins sur notre terre ? Stockage des déchets nucléaires ? La nature a déjà répondu, il y a déjà deux milliards d’années à Oklo, en Afrique.
La plus grande richesse de l’humain est son intelligence et sa sagesse ; Nous sommes fait pour trouver la solution de l’énigme que nous découvrons chaque jour ; Même si l’on peut craindre chaque matin, de ne pas réussir devant un inconnu toujours intimidant, il faut surtout garder ouvertes les portes de la diversité (ici, technologiique) , socle de la stabilité à long terme. Il nous faut donc un peu de confiance en nous même, et aussi un peu de courage quand c’est nécessaire, pour vaincre nos peurs, le plus souvent irrationnelles. Cela n’exclue pas la prudence, mais ne pas vouloir absolument vaincre le pic difficile, aller par moment au bout de ses capacités ou de ses espérances, c’est comme renoncer à vouloir vivre, c’est se condamner à s’éteindre, c’est se condamner à ne pas vouloir partager ce qui par essence même ne s’éteint pas, et qui, bien au contraire, avec ou sans nous, continuera de toute façon son chemin vers son meilleur aboutissement ; Et nous n’y participerions pas ? Avouons, jeunesse, que ce serait trop stupide ! Alors faisons une place à chacun, et à son apport, qui sera une partie de l’ensemble dans la construction commune ; Ainsi l’on s’affermit chacun, pour durer…
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