Le 7 avril dernier, alors que Barack Obama achevait sa tournée européenne, les Jeunes Européens - Bordeaux ont décidé d’organiser un café européen sur le thème “L’Europe face à une nouvelle Amérique ?”. Jacques Méladeck, professeur agrégé d’anglais à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV et fin connaisseur des Etats-Unis, a accepté pour nous de se prêter au jeu.
Une tendance ancienne à l’isolationnisme
L’exposé de Jacques Méladeck a révélé que, au-delà des alternances démocrate et républicaine que peuvent connaître les Etats-Unis, la politique étrangère de ce pays vis-à-vis de l’Europe a été marquée par un certain nombre de constantes. En premier lieu, une tendance certaine à l’isolationnisme, selon lequel l’Europe ne doit pas faire partie du champ d’intervention des Etats-Unis. Cette idée remonte, comme l’a rappelé Jacques Méladeck, au discours d’adieu du président George Washington en 1796. Il s’agissait en réalité d’une lettre ouverte du président sortant à son peuple, dans laquelle il mettait en garde contre les alliances étrangères permanentes et soulignait la nécessité de rester en dehors des guerres récurrentes entre la France et la Grande-Bretagne.
La deuxième constante vient de la doctrine Monroe dont on retiendra le slogan “L’Amérique aux Américains”. En 1854, celui qui était alors président des Etats-Unis ajoute deux autres principes à celui de Washington : d’une part, le continent américain doit s’opposer à toute velléité de colonisation de la part des Européens ; d’autre part, chaque intervention européenne dans les Amériques sera désormais perçue comme une action hostile aux Etats-Unis. A cette époque-là, il y a une vraie crainte de voir l’Europe faire la mainmise sur cette partie du monde.
“ Je t’aime, moi non plus ”
Par ailleurs, et non sans contradiction, chaque fois que les Européens ont connu une crise grave, les Etats-Unis sont venus à leur secours : c’est là une troisième constante. Comme nous l’explique Jacques Méladeck, il faut bien comprendre que la relation de l’Amérique avec l’Europe est dès le départ très ambiguë, un peu sur le mode “je t’aime, moi non plus”. La création des Etats-Unis est en effet l’oeuvre d’individus ayant quitté l’Europe parce qu’ils y étaient persécutés ou plus généralement parce que le continent ne leur offrait pas de perspectives d’avenir très réjouissantes. En même temps, ces Américains garderont toujours une fascination et une nostalgie pour leur terre maternelle, un sentiment qu’ils transmettront à leurs descendants.
Cela explique que, si la venue en aide aux Européens est certes parfois tardive, elle est cependant quasi-systématique. Que l’on pense aux Première et Seconde Guerres mondiales, aux conflits au Kosovo, en Bosnie, etc… Les Etats-Unis ont d’ailleurs très souvent reproché aux Européens de ne pas faire assez d’efforts pour leur défense.
Parmi les différents enjeux évoqués à propos de la diplomatie américaine, c’est d’ailleurs la question de la défense européenne qui a suscité le plus d’intérêt – et surtout d’interrogations – au sein de l’audience. Le récent retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN n’y est peut-être pas étranger…
L’un des participants a souligné le fait que l’Europe ne sera jamais vraiment prise au sérieux par les Etats-Unis tant qu’elle ne se dotera pas d’une défense digne de ce nom. Ce à quoi un autre participant répondit en demandant s’il était bien pertinent d’envisager la création d’une armée européenne si l’on n’était pas capable de mettre en place une politique étrangère commune, ce qui reviendrait à “mettre la charrue avant les boeufs”. Cela n’est pas sans rappeler un argument déjà invoqué à propos du traité constitutionnel, dont on disait qu’il ne saurait être adopté avant l’existence d’un véritable peuple européen.
La question est alors de savoir si une initiative en matière de défense commune peut accélérer l’harmonisation et la conciliation des politiques étrangères… Face à un participant qui se demandait si les politiques atlantistes de certains pays européens n’étaient pas un frein à l’émergence d’une défense européenne, Jacques Méladeck répondit que ces politiques ne verraient pas le jour s’il n’y avait pas un vide, c’est-à-dire une absence de projet commun de défense. A cet égard, un autre participant nous fit part d’un paradoxe qu’il avait relevé, à savoir que la nécessité pour l’Europe de parler d’une seule voix finissait toujours par un rapprochement de vues avec les Etats-Unis, par un certain atlantisme.
Le retour du multilatéralisme
Etant donné ces tendances lourdes de la diplomatie américaine, que peut annoncer l’arrivée d’Obama au pouvoir ? D’après notre intervenant, le multilatéralisme sera désormais de vigueur, en réaction aux années Bush. Ainsi, lorsqu’un participant chercha à savoir si le résultat du G20, plutôt conforme au point de vue européen, signifiait l’émergence d’une Europe forte ou bien le développement d’une attitude américaine plus favorable à l’écoute des autres acteurs mondiaux clés, Jacques Méladeck opta sans hésiter pour la deuxième interprétation. Celui-ci nota par ailleurs que, étant donné les convictions de Hillary Clinton dans le domaine de l’éducation, les échanges scolaires et universitaires devraient augmenter entre Europe et Etats-Unis. Cela compensera peut-être le fait que la politique d’immigration américaine ne donne plus la préférence aux Européens depuis la présidence Johnson : pour notre intervenant, cela a eu pour conséquence une diminution des liens personnels qu’entretenait l’Europe avec l’outre-Atlantique.
Un autre point important évoqué par Jacques Méladeck est la possibilité qu’Obama devienne un facteur de discorde en Europe. Alors que l’unité était relativement aisée à créer du temps de Bush, il est désormais plus difficile pour l’Europe de se définir une identité spécifique et d’aboutir à un consensus sur les enjeux fondamentaux. A ce sujet, et cela pourrait être une quatrième constante de la diplomatie américaine envers l’Europe, notre intervenant a insisté sur le fait que les Etats-Unis ont toujours profondément voulu l’unité européenne afin d’éviter de nouvelles guerres.
L’un des participants s’est alors interrogé sur la pertinence de l’intervention d’Obama en faveur de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, une question qui non seulement ne semblait pas le concerner directement et qui par ailleurs faisait ressurgir un certain nombre de clivages entre les Etats-Membres de l’UE, loin de favoriser l’unité européenne. Comme l’a expliqué Jacques Méladeck, il est beaucoup plus confortable pour les Américains d’avoir la Turquie en Europe, cela constituant une garantie contre le risque de voir ce pays tomber dans le fondamentalisme.
Pour notre intervenant, l’histoire de la diplomatie des Etats-Unis envers l’Europe suggère à ces deux pôles majeurs de chercher ce qui les rapproche – comme l’héritage des hummanistes et des Lumières – plutôt que ce qui les sépare. Lorsque se posent des sujets de discorde, le mieux serait donc d’en parler sereinement.
Plus généralement, on pourra ajouter que l’observation de la place qui est accordée à l’Europe au sein de la politique étrangère américaine appelle une réflexion plus poussée sur ce que doit être le rôle de l’Union européenne sur la scène internationale.
1. Le 16 avril 2009 à 06:36, par Martina Latina En réponse à : L’Europe face à une nouvelle Amérique
Je dirais volontiers que l’Amérique semble aussi face à une nouvelle Europe, maintenant que le président Obama est venu parler aux jeunes Européens réunis à Strasbourg de « responsabilité » : c’est même une jeune Europe qui peut se lever (en face) de la vieille ! Encore faut-il que les Elections Européennes désormais toutes proches suscitent une mobilisation ou du moins une participation...
Ce qui est en jeu, ce sont bien la multipolarité mondiale, l’efficacité d’une synergie en marche et la lutte contre la guerre comme contre l’injustice. A nous, citoyens EUROPEENS, d’« articuler » le nom propre, donc privé d’article, d’EUROPE avec son héritage de lucidité, d’audace, de circulation et de relations, voire avec une grâce capable d’animer notre masse trop souvent inerte ou indifférente, pour que cet apport millénaire se régénère en même temps qu’il nous fédère, bref pour qu’advienne L’EUROPE !
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