L’Europe fédérale répond à la crise actuelle de l’Union européenne

, par Fabien Cazenave

L'Europe fédérale répond à la crise actuelle de l'Union européenne

L’Europe de Sarkozy et Merkel est-elle l’Europe que nous voulons ? Les deux dirigeants réussissent, chacun à leur manière, à donner le tempo européen. Mais est-ce vraiment ce que nous voulons pour l’Union européenne ?

Alors qu’Elie Barnavi dans Marianne publiait un papier sous le titre « La crise grecque accouche d’une Europe allemande » [1]. Quelques jours plus tard, c’était le Berliner Zeitung qui publiait une tribune sous le titre "Sarkozy, nouveau maître de l’Europe". Bizarrement, pas de papier du même style sur Zapatero, Leterme, Cameron, et tous les autres dirigeants européens.

C’est un fait, le couple franco-allemand a repris la main depuis les élections d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy. Mais est-ce pour autant un bien pour l’Europe ? Pour le moment, le mode intergouvernemental européen a pris le dessus sur les instances européennes. La faute à des personnalités fortes au Conseil européen utilisant les traités à leur avantage. Avec l’accord de personnalité plus faible, comme José Manuel Barroso, président d’une Commission européenne ne voulant pas faire d’impair face au Conseil européen.

L’Europe rêvée pour les Britanniques ?

L’apparition d’un nouveau leader au Royaume-Uni n’est pas forcément une très bonne nouvelle. David Cameron est mal élu avec son « hung parliament » où il est obligé de composer avec un autre parti pour avoir la majorité. La publication du programme gouvernemental sur l’Europe peut faire craindre le pire tant l’arme nucléaire du « referendum lock » va pourrir les négociations avec les Britanniques. Et quoi de mieux pour resserrer une majorité qu’une affirmation sur la scène européenne ? Cela fonctionne très bien en France et en Allemagne...

Il faut être clair : une Europe des chefs d’Etats et de Gouvernements finit toujours par avancer d’un ou deux centimètres et s’en contentera très facilement. L’exemple de la crise grecque est édifiant : on a perdu des milliards d’Euros avec les spéculateurs boursiers parce qu’il a fallu attendre qu’une élection interne importante soit passée pour Angela Merkel.

Toutes les décisions prises auraient pu l’être dès le Conseil européen du 11 février. Mais on a terminé par se féliciter de la forte décision prise au niveau européen qui montre à quel point nous sommes responsables... Avec une Europe comme ça, l’Europe n’est pas prête d’être fédérale. Messieurs les Anglais, soyez rassurés !

Pourquoi une Europe fédérale serait-elle plus démocratique et plus efficace ?

On ne peut se satisfaire d’une telle Europe. Elle dégoûte les citoyens et n’est pas compréhensible globalement. De plus, elle va droit dans le mur à force d’être incapable de prendre de vraies décisions, rapidement.

Avec une Europe fédérale, nous aurions les moyens d’agir à un niveau européen beaucoup plus rapidement. Parce que le Parlement européen ne laisserait pas le gouvernement européen (la Commission européenne actuelle) dans l’expectative à attendre qu’une élection interne d’un État se déroule. Parce que c’est au niveau européen qu’on peut agir sur des problèmes financiers de l’envergure de la crise grecque.

Les marchés attendent par exemple une réaction politique pour la croissance. L’Union européenne actuelle est incapable de leur donner. Elle est même déconnectée de la réalité : pendant que les Grecs se révoltent dans la rue face à une politique rendue obligatoire par l’incurie de leurs dirigeants successifs, M. Barroso propose une stratégie économique, dite "Europe 2020", reposant sur du vent.

Il devrait avoir honte... Ce n’est pas ça qu’on attend ! D’ailleurs, malgré une communication réfléchie sur la question, aucun média du monde ne parle de cette importantissime annonce ! Les « marchés » ne sont peut-être même pas au courant... Tout du moins, ils montrent par leurs inquiétudes à quel point cela ne répond pas concrètement à leurs attentes.

Un vrai gouvernement européen, voilà ce dont ils ont besoin. Car le gouvernement de l’Europe par les États est par trop limité. Malgré le volontarisme d’un Sarkozy ou d’une Merkel, les décisions arriveront toujours trop tardivement. En 2008, alors que le président français se démenait pour arriver à une réunion du G20, les déclarations du président de la BCE permettaient au marché d’attendre et de ne pas trop plonger...

Pour le coup, avec un gouvernement européen contrôlé par un Parlement européen dont il serait l’émanation, pas besoin d’attendre le bon vouloir de tous les participants à l’aventure européenne.

Enfin, avec une Europe fédérale, nous n’aurions pas une Europe qui interviendrait à tous les niveaux mais sur les problèmes qui nécessitent une dimension européenne. La crise grecque l’a encore prouvé : dans un contexte mondialisé, l’élément national le plus faible se fait attaquer par les spéculateurs. Ces derniers l’auraient-ils fait si nous avions une véritable Europe sans frontières économiques nationales à l’intérieur de la première zone économique mondiale ?

Illustration :
 le drapeau fédéraliste, issu du site Wikipedia
 le drapeau fédéraliste lors du Congrès de La Haye, le 7 mai 1948 sur le site ENA.lu.

Notes

[1Marianne, du 8 au 14 mai 2010, page 32 et 33

Vos commentaires
  • Le 1er juin 2010 à 10:25, par david En réponse à : L’Europe fédérale répond à la crise actuelle de l’Union européenne

    je ne crois pas du tout que « c’est un fait » que le couple franco-allemand ait repris la main. Au contraire. Les propositions actuellement en discussion sont d’origine communautaires et embarrassent pas mal les Etats. En revanche, le couple franco-allemand apparait comme un couple de gamins capricieux. Plutôt que de se lamenter de la situation actuelle et suivre les médias qui claironnent idiotement que c’est merkel et sarko qui mènent la danse, je pense que les pro-européens devraient plutôt se réjouir et défendre les propositions de contrôle budgétaire proposées par le commissaire Rehn ainsi que les excellentes conclusions du rapport Monti sur la compétitivité. La question politique cruciale aujourd’hui est de savoir si les Etats plieront suffisamment face aux propositions communautaires, en gros si les Etats danseront au rythme proposé par Bruxelles, sachant qu’ils n’ont aucune proposition alternative.

  • Le 1er juin 2010 à 11:19, par Fabien Cazenave En réponse à : L’Europe fédérale répond à la crise actuelle de l’Union européenne

    L’impulsion politique est donnée par le couple franco-allemand, et derrière par le Conseil européen. La Commission est en retard et ses propositions arrivent sur le devant de la scène du fait de l’attitude attentiste de Angela Merkel.

    Je ne critique pas les propositions de la Commission sur le « contrôle » budgétaire. Et je ne suis pas « idiotement » les médias cher camarade, puisque cela fait des mois que je le dis dans mes articles sur le Taurillon.

    Pour que les Etats plient devant la Commission, il faudrait un président de la Commission qui soit prêt au combat, ce qui n’est du tout le cas de Barroso, disant encore à Strasbourg pour les EGE qu’il fallait être « tous ensemble », de gauche et de droite, dans un consensus mou dont se délectent les chefs d’Etats et de Gouvernements.

    La vrai solution est à mon avis que le rapport présenté par Monti soit soutenu par une coalition de partis européens. Car sinon, la prochaine conférence intergouvernementale détricotera tout, comme à son habitude.

  • Le 1er juin 2010 à 14:04, par Cédric En réponse à : L’Europe fédérale répond à la crise actuelle de l’Union européenne

    Détrompez-vous. Je pense que celui qui va détricoter le rapport Monti, et notamment abandonner ce qui est son essence-même (négocier globalement sur un paquet « Marché unique » + « Coopération fiscale », sans scinder les différents points), ce sera notre bonne vieille Commission consensualiste. Elle préfèrera le faire elle-même plutôt que de risquer d’accorder ce plaisir au Conseil européen.

  • Le 1er juin 2010 à 16:45, par david En réponse à : L’Europe fédérale répond à la crise actuelle de l’Union européenne

    vous avez vraiment tord de continuer à critiquer la commission qui vient de faire la proposition la plus avantgardiste depuis que je suis en age de suivre l’actualité européenne. Oui, barroso a été nul, oui sa précédente commission a été molle, mais il faut juger les faits pour ce qu’ils sont et pas en fonction d’a priori. On s’en fout de ce qu’a dit barroso à strasbourg. Il aurait été même complètement débile de sa part d’aller dire qu’il était prêt à braquer les Etats pour faire plaisir à un parterre de pro-européens. Autant se faire siffler et continuer à pousser les gouvernements dans leurs retranchements. Ce qui compte vraiment c’est ce que sa commission fait à bxl. Et en ce moment elle travaille très bien. De leur côté, les gouvernements n’ont absolument rien proposé. Rien. Pour une seule et bonne raison : ils n’en ont pas la force. Il n’y a pas une seule proposition française sur la table. Et les propositions allemandes sont un copier coller de ce qu’a proposé la commission (ce qu’a souligné Rehn juste avant que l’Allemagne les rendent publiques). Le reste c’est du blabla pour les journalistes. Je trouve ça complètement à côté de la plaque de continuer à critiquer la commission et de crier au scandale de l’intergouvernemental alors que ce qui progresse à grands pas et en quelques semaines à peine c’est précisément le pouvoir de l’Union. Les Etats ont été mis au pied du mur et commencent à céder (voir les déclarations de Lagarde, très éloignées de celles du sous ministre européen ou des sbires de l’ump). Ce que les pro-européens devraient dire aujourd’hui c’est dénoncer le manque de courage d’une partie de la classe politique (notamment l’ensemble de la gauche ou presque, qui est muette) qui reste frileuse. On doit dire clairement que ce que propose la commission + le rapport monti, c’est la bonne direction. Oublions aussi un instant le Parlement qui dans cette partie n’a vraiment pas grand chose à dire et qui n’a fait que se disqualifier tout seul depuis quelques mois... Si déjà il pouvait soutenir les propositions de la commission se serait bien...

    ps : pour le reste, j’aime bien ton article Fabien, je critique juste le début, qui reprend ce que j’entends ici ou là et qui ne correspond pas du tout à la réalité...

  • Le 1er juin 2010 à 17:19, par Fabien Cazenave En réponse à : L’Europe fédérale répond à la crise actuelle de l’Union européenne

    David, pas de problème, toute critique est la bienvenue.

    Pour ce qui est du fond, je juge Barroso sur les faits quand il me déclare qu’il faut que tous les pro-européens soient ensemble et qu’il ne faut pas de majorité de gauche ou de droite au Parlement européen. Je suis en désaccord avec ça, profondément, et je pense que c’est pour ça qu’on va droit dans le mur. D’ailleurs, je n’ai pas l’impression que tu défendes cette thèse-là de ton côté.

    Sur la proposition de la Commission, tu as raison, elle est très intéressante, mais on voit bien que le débat qu’elle a lancé a été confisqué par les ennuis électoraux de la majorité allemande (alors qu’on aurait pu s’appuyer sur l’Allemagne justement) et un Conseil européen peu enclin à aller dans cette direction.

    Pour que les propositions de la Commission européenne soient intéressantes, il faut qu’elles soient soutenues politiquement par les partis européens, si possible avec des clivages entre gauche, droite, libéraux et verts.

    Nous sommes bien d’accords pour constater que la vision européenne de notre classe politique est mauvaise. Ce n’est pas pour autant qu’il ne nous faut pas rejeter l’intergouvernementalisme car sinon on se fera piéger dans un débat où l’Europe n’existera que par le biais du volontarisme politique (ou non) des dirigeants. Dire aux citoyens qu’il y a une autre voie est très important. Même si cela fait des années qu’on le dit, qu’on le crie.

    Tu connais mon goût pour le consensus, alors je te dirais bien qu’il faut faire les deux : critiquer cette Europe intergouvernementale qui avance si lentement ET dire que les propositions de la Commission vont dans le bon sens.

    Si on a pas ces deux clés, on ne peut pas comprendre pourquoi le président de la Bundes Bank marque sa différence d’un Trichet qui en appelle au fédéralisme budgétaire. Les deux sont liés.

  • Le 1er juin 2010 à 17:31, par Cédric En réponse à : L’Europe fédérale répond à la crise actuelle de l’Union européenne

    En substance, je suis assez d’accord pour dire que la déclaration de Barroso à Strasbourg n’a pas vraiment d’importance. Car il est normal qu’un chef d’exécutif, partisan ou pas, serve un discours très oecuménique : tous ensemble pour le changement... Sarko le fait en permanence, c’était même son slogan de campagne, et cela ne l’empêche pas d’être le politicien qui suscite les plus grands clivages depuis longtemps.

    L’essentiel, ce sont les actes : avoir des candidats alternatifs bien identifiés en 2014, avant le début de la campagne. Pas Barroso contre rien.

    Juste une remarque sur le rapport Monti : ce rapport n’est pas encore un rapport de la Commission. C’est seulement dans quelques semaines que la Commission dira ce qu’elle entend en faire. Et je ne pense pas, mais c’est mon appréciation personnelle, que la Commission mettra tant en avant le point essentiel du rapport : l’idée d’un deal global Marché vs Fiscal (qui équivaut à un compromis Europe Sud - Europe du Nord et Europe centrale).

    Au-delà, la Commission n’aura aucun mal à reprendre tous les autres points du rapport. Elle le fera, j’en suis persuadé. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’intentions louables qui ne sont, en fait, pas des propositions du rapport Monti, mais de réelles propositions de longue date de la Commission elle-même. Sauf erreur de ma part, il n’y a rien de nouveau !

    Quant à savoir qui est à la barre en Europe, je veux bien vous croire.

  • Le 1er juin 2010 à 17:34, par david En réponse à : L’Europe fédérale répond à la crise actuelle de l’Union européenne

    le parlement n’a aucune compétence en la matière. et effectivement seule une initiative transpartisane d’appui à la Commission peut servir à quelque chose en cette phase. La politisation du PE est importante, mais pas dans le cadre du développement des compétences de l’Union. C’est uniquement lorsque la compétence est communautaire qu’il faut défendre une « politisation » du PE, pas dans le cadre des évolutions institutionnelles (ou alors il faut valoriser le clivage pro et anti européens, qui ne correspond pas au clivage des partis).

  • Le 1er juin 2010 à 18:43, par Cédric En réponse à : L’Europe fédérale répond à la crise actuelle de l’Union européenne

    Vous n’avez pas tort dans votre distinction entre compétences communautaires et non-communautaires.

    Toutefois, le consensus européen transpartisan n’est pas sain d’un point de vue démocratique (les régimes consociatifs ne durent jamais longtemps). L’essentiel est qu’un clivage partisan s’exprime pendant la campagne électorale et que les citoyens voient que leur vote compte. Aujourd’hui, vraisemblablement, ils ne le voient pas. Sans clivage, pas d’enjeu, même en brandissant bêtement les 80% de rien du tout.

    N’oublier pas que gouverner, ce n’est pas nécessairement « avoir la maîtrise des majorités et de l’ensemble des canaux de décision ». Gouverner, à la base, ça signifie « contrôler l’agenda ». On le voit aux USA, où Obama n’a plus la majorité, mais gouverne. Les gouvernements minoritaires qui durent, il y en a beaucoup plus qu’on le croit.

    Si vous adhérez à la première conception de l’idée de gouverner, il n’est point de politisation du PE et de la Commission possible. Si vous adhérez à la seconde, leur politisation est possible. Mais seulement si cette politisation aboutit à une majorité non seulement au PE, mais aussi dans les organes qui gèrent l’agenda, l’ordre du jour de l’UE : la Commission, et -malheureusement- le Conseil européen (ou sa présidence - pour commencer !). Une politisation du PE seul ne peut pas marcher, car un Parlement ne sait pas gérer un agenda.

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